Le gouvernement irlandais de coalition du Fine Gael et du Labour Party (Parti Travailliste) a reçu une véritable claque à l’occasion des élections générales de ce 26 février. La profonde colère de classe ressentie contre la politique d’austérité et, plus particulièrement, contre la trahison du Parti Travailliste a poussé les électeurs à infliger une cuisante et humiliante défaite à ces deux partis. Le résultat n’est pas encore connu pour certains derniers sièges, mais les résultats déjà connus montrent que le Labour a perdu au moins les trois quarts de ses sièges et n’a remporté que 6,6% des votes de première préférence (selon le principe du scrutin à vote unique transférable, NDT), soit une baisse de près de 20% par rapport à 2011. Le Fine Gael (FG) a perdu plus de 10% et plus de 20 sièges. Le paysage politique est totalement chamboulé et fragmenté, avec également la montée en puissance d’une nouvelle gauche socialiste.
Article publié le 29 février sur le site du Comité pour une Internationale Ouvrière, www.socialistworld.net
“Laissez la croissance revenir”
Les partis gouvernementaux ont mené une campagne électorale désastreuse. En dépit des sondages qui n’ont pas montré clairement de perspective d’un gouvernement alternatif, le soutien pour le Fine Gael et le Parti Travailliste a systématiquement baissé au fur et à mesure que le jour du scrutin approchait. Ils ont cherché à se présenter comme la seule option viable, en menaçant les électeurs du chaos que représenterait n’importe quel choix autre que la «stabilité» que seuls eux pouvaient garantir.
Ils n’ont cessé de répéter : «laissez la croissance revenir», avec cette idée que le gouvernement serait parvenu à extraire l’économie irlandaise du marasme et qu’il devait par conséquent être autorisé à poursuivre son travail. Ce slogan a connu un flop retentissant.
Ainsi que l’a expliqué l’Anti Austerity Alliance (au sein de laquelle est activement engagé le Socialist Party – organisation soeur de la Gauche Révolutionnaire en République irlandaise, NDT), ce discours basé sur une reprise économique contrastait massivement avec la réalité et l’atmosphère présente dans les quartiers ouvriers du pays. Ces communautés ont été durement frappées et dévastées par des années de politique d’austérité durant la récession, mais la «reprise» du capitalisme irlandais leur est passée par-dessus de la tête. Tous les avantages de cette reprise ont été empochés par le 1% au sommet de la société alors que les conditions de vie de la majorité de la population stagnent.
Plutôt que d’inspirer de la confiance dans les partis au pouvoir, ce slogan et cette idée ont plutôt renforcé les sentiments d’amertume et d’injustice parmi les masses aux prises avec la lutte quotidienne pour parvenir à joindre les deux bouts et face au constat des inégalités profondément ancrées dans cette prétendue reprise économique.
Voilà la toile de fond derrière les malheurs et misères du gouvernement aux élections. Les menaces de «la stabilité ou le chaos» n’ont en rien amenuisé l’ardente volonté de connaître un réel changement. L’état d’esprit anti-establishment qui existe dans la classe ouvrière en Irlande était suffisamment enraciné que pour vivement couper court au chantage et à l’alarmisme du gouvernement.
Une crise sans précédent de l’establishment politique
Ces élections plongent le capitalisme irlandais dans une crise profonde, comme on l’a déjà observé dans d’autres pays européens touchés par la crise, comme l’Espagne et la Grèce. Les partis pro-capitalistes ont eu le pouvoir, ils ont failli et sont en crise. Ils ne peuvent tout simplement plus continuer à arriver diriger en alternance pour assurer la «stabilité» du système de marché.
En Irlande, cela s’exprimait historiquement par la domination de deux partis conservateurs de droite, le Fianna Fail et le Fine Gael, aux côtés du Parti Travailliste, l’ancien parti social-démocrate. Ces partis ont régulièrement monopolisé à eux seuls environ 90% de l’espace électoral. Mais cette fois-ci, le Fianna Fail et le Fine Gael ont obtenu moins de 50% des voix à eux deux, tandis que le Parti Travailliste était décimé. Les suffrages restants sont fortement dispersés, avec 30% des voix en faveur d’indépendants et de petits partis et un peu moins de 14% pour le Sinn Fein.
Cela ouvre une grave crise politique. À l’heure actuelle, la seule majorité gouvernementale qui semble viable serait composée du Fine Gael et du Fianna Fail, une espèce de «grande coalition» à l’irlandaise. Ces deux partis ont, pour l’instant, exclu qu’un tel scénario puisse voir le jour pour des raisons politiques (ils ne veulent pas voir dominer une plus forte opposition anti-establishment). Mais la pression en faveur de ce scénario sera toutefois intense de la part de certaines couches de l’établissement, y compris au sein de ces deux partis. Diverses possibilités ont déjà circulé, comme celle d’une alternance des deux partis au poste de «Taoiseach» (Premier ministre) ou encore celle d’un gouvernement minoritaire du Fine Gael avec le soutien du Fianna Fail. De nouvelles élections pourraient également être convoquées dans ces prochains mois.
Le Sinn Fein rate son coup
Le Sinn Fein (le parti nationaliste « de gauche », NDT) a renforcé son soutien électoral ainsi que son nombre de sièges, mais bien en-deçà des attentes. L’an dernier, il avait dépassé les 20% dans les sondages et était même considéré capable de contester la place du Fianna Fail comme second parti du pays. Sa direction se présentait comme le potentiel leader du prochain gouvernement. Mais il s’est retrouvé avec moins de 14% des voix, soit environ 10% derrière le FF, et a même perdu un certain nombre de circonscriptions clés, y compris au bénéfice de la gauche socialiste.
Traqué par la presse et les partis de l’établissement au sujet de questions historiques et de sécurité, le Sinn Fein a fait l’effort de courtiser les faveurs de l’establishment pour prouver qu’il pouvait être «responsable». Alors qu’il voulait se présentait comme une véritable alternative à gauche, il a limité son programme électoral à «l’espace fiscal» autorisé par les règles restrictives de la troïka européenne, excluant ainsi dans les faits l’arrivée d’un véritable changement tel que désiré par les travailleurs. Il a également courtisé les partis de l’establishment en tant que potentiel partenaire de coalition, refusant même d’exclure de conclure un accord avec le Fianna Fail (une possibilité rendue impossible par la réalité des résultats électoraux).
Sur la question clé de la nouvelle taxe qui vise à en finir avec la gratuité de l’eau, qui a déclenché un mouvement de masse au cours de ces dernières années, le Sinn Fein s’est vu exposé au grand jour et même dépouillé par la véritable gauche, en particulier par l’Anti Austerity Alliance. Les travailleurs et les jeunes les plus conscients, ceux qui ont joué un rôle actif dans le mouvement de masse contre la taxe sur l’eau et l’austérité de manière plus générale, ont eu tendance à favoriser ceux qui avaient construit le mouvement et l’avaient dirigé sur ceux qui avaient limité leurs efforts à une timide assistance parlementaire. C’est ce qu’illustrent les résultats électoraux et les gains substantiels pour l’Anti Austerity Alliance (AAA) et le Socialist Party (organisation sœur de la Gauche Révolutionnaire, NDT) dans les circonscriptions clés que sont Dublin Ouest, Dublin Sud-Ouest et Cork North Central.
Croissance de la gauche socialiste et remplacement du Parti Travailliste
La crise capitaliste actuelle a conduit à la disparition du Parti Travailliste fondé par le marxiste James Connolly, devenu depuis lors un vicieux instrument au service des patrons et des marchés. Mais la situation actuelle est aussi marquée par l’émergence d’une nouvelle gauche dans laquelle les socialistes révolutionnaires jouent un rôle clé et qui est d’ores et déjà prête pour de nouvelles percées. L’AAA, en alliance avec People Before Profit (PBP), a constitué le plus sérieux défi de la gauche à l’échelle nationale de l’histoire de l’Etat dans ces élections, en se présentant dans plus de 30 circonscriptions. L’alliance a remporté 4% des votes nominatifs de premier choix en ne se présentant que dans un peu moins d’un tiers des circonscriptions. Il s’agit d’un excellent résultat pour une nouvelle initiative socialiste combative.
Au moment d’écrire cet article, il semble que L’Anti Austerity Alliance a réélu avec succès les membres du Socialist Party Ruth Coppinger (Dublin Ouest) et Paul Murphy (Dublin Sud-Ouest) tout en réalisant une percée impressionnante en parvenant à faire élire un autre membre du Socialiste Party, Mick Barry, à Cork Nord-Central. Il s’en est également fallu de peu (270 voix) qu’un siège soit également conquis dans la ville de Limerick avec Cian Prendiville, ce qui aurait été le choc des élections. Cela provient de la campagne fantastique qui a été menée mais aussi de la reconnaissance du rôle de premier plan joué par le Socialist Party et l’AAA dans la construction du mouvement contre la taxe sur l’eau.
L’alliance People Before Profit semble avoir également remporté 3 sièges au moment d’écrire cet article, ce qui signifie qu’un bloc de 6 députés pourra être constitué. Cette plate-forme sera d’une aide précieuse pour la lutte contre l’austérité du prochain gouvernement.
(NB: les six députés de l’Anti Austerity Alliance-Socialist Party et People Before Profit ont bel et bien été élus au Dail, le Parlement, NDT)
Un gouvernement de coalition Fine Gael – Fianna Fail serait désastreux pour la classe des travailleurs en Irlande. Les mouvements de masse qui ont ébranlé le précédent gouvernement devront redoubler d’efforts. Le Socialist Party et l’AAA orienteront leur attention vers la construction de ces mouvements afin d’assurer l’abolition de la taxe sur l’eau et d’arracher un refinancement public massif des soins de santé, de l’enseignement, des logements et l’amélioration des conditions de vie des masses.
Cette lutte doit nécessairement étendre ses objectifs au-delà de «l’espace fiscal» des capitalistes et de la troïka. L’économie doit être réorientée pour satisfaire les besoins de la population au lieu des profits de quelques-uns. Seules des politiques réellement socialistes, basées sur la propriété publique démocratique des secteurs clés de l’économie, représentent une alternative au règne des multinationales. Le soutien pour de telles politiques peut rapidement se développer avec l’aide de la nouvelle gauche socialiste combative qui se lève pour remplacer les vendus du Parti Travailliste.
Par Danny Byrne, Comité pour une Internationale Ouvrière