Brésil : Face à la politique libérale de Lula et du PT. Un nouveau parti se construit, le Parti Socialisme et Liberté !

Deux ans et demi après l’élection du leader historique du Parti des travailleurs, Lula, une nouvelle vague d’attaques néolibérales est lancée par son gouvernement. La situation est à un tournant : une radicalisation à gauche émerge, comme le montre la montée de la popularité du P-Sol ou des oppositions syndicales au sein de la CUT ou déjà à l’extérieur pour certains syndicats…

Article paru dans l’Egalité n°112

De plus, c’est tout un continent qui est en ébullition. Chacun sait ici les tourments de l’Argentine que l’application des plans du FMI a envoyé à la ruine, ou les grèves insurrectionnelles du Pérou ou de la Bolivie contre ces dirigeants qui appliquent avec zèle les consignes du FMI. Sans parler de la situation au Venezuela, où l’atmosphère prend parfois des aspects révolutionnaires. Sous la pression populaire, le président Chavez a même dû procéder à des nationalisations et à des réquisitions de terres pour les paysans.

D’ailleurs, 25 000 personnes avaient fait le déplacement lors du forum social pour venir écouter celui que Bush et son équipe dépeignent comme le principal facteur d’instabilité en Amérique Latine. Recherchant une alternative à Lula et au capitalisme, ces milliers de spectateurs se sont levés bruyamment lorsque Chavez a dit qu’il n’y avait que deux voies possible : « le capitalisme ou le socialisme ». Mais ils n’ont pas trouvé chez le leader populiste du Venezuela de véritables réponses notamment lorsque ce dernier a tenu à saluer ses « amis » Lula et Poutine.

Car la politique de Lula prend un tournant encore plus libéral. Réforme universitaire , réforme du droit du travail, réforme des droits syndicaux… sont les dossiers actuels. Et à chaque fois c’est plus de pouvoir pour les patrons, les universités privées etc. La lutte des sans terre a repris, le MST devant sortir de sa bienveillance vis à vis de Lula et du ministre de la réforme agraire M. Rossetto.

Le 12 février, la missionnaire Doroty Stang, militante aux cotés des paysans, a été assassinée, de même que deux syndicalistes ruraux, dans l’état du Parà. Et les coupables, des milices patronales, ne sont pas inquiétés. L’Université de Sao Paulo n’a toujours pas versé les bourses mais est en train de s’équiper de caméra de vidéo surveillance pour filmer les militants…

Si les premières attaques de Lula ont rencontré une résistance moyenne voire faible, les 6% de croissance de l’économie brésilienne en 2004 et la multiplication des attaques du gouvernement permettent d’envisager une radicalisation des travailleurs et des jeunes. Le haut niveau politique de nombreux participants au Forum social mondial, leur volonté de discuter du socialisme comme alternative au capitalisme en sont le reflet.

Une opposition socialiste à Lula

Lors de la réforme des retraites, trois députés et la sénatrice Heloisa Helenna, ont été exclus du PT pour avoir voté contre, le reste de la « gauche » du PT s’étant abstenu. Avec d’autres courants (dont Socialismo Revolucionnario, section brésilienne du CIO) a été lancé le mouvement pour un nouveau parti, qui restait ouvert à ceux qui critiquaient le PT mais n’avaient pas encore rompu avec lui et à ceux qui l’avait déjà fait. En juin 2004, fut fondé le Partido Socialismo e Liberdade. Sans avoir encore un programme suffisamment clair, le P-Sol se revendique du socialisme et a reçu un soutien sans cesse croissant de la part des travailleurs, des jeunes, des petits paysans… Son cortège à la manifestation d’ouverture du FSM a reçu les encouragements de milliers de personnes et était de loin le plus dynamique. Un nouveau parti est en construction. Il représente un espoir pour le peuple du Brésil et une expérience pour le mouvement ouvrier mondial. Au FSM, se tenait la 2ème rencontre nationale du P-Sol où les courants et les individus ont pu présenter leurs propositions et en débattre.

Le reflet de la situation mondiale

La première partie de la rencontre nationale était consacrée aux salutations des différentes organisations révolutionnaires d’autres pays. Cela fut particulièrement instructif. Alors que le débat central du P-Sol porte sur son programme, c’est à dire sur une définition claire de ce que veut dire le socialisme, les principales organisations d’extrême gauche européennes ou nord américaines n’ont jamais mentionné ce mot. Le SWP britannique en restant au niveau de l’anticapitalisme le plus plat a même prétendu que ce qu’il faisait avec Respect en Grande Bretagne relevait des mêmes orientations que le P-Sol. Quand on sait que Respect ne mentionne jamais le socialisme, et qu’il a fait campagne dans certains quartiers en se présentant comme le « parti des musulmans » (au risque de renforcer divers communautarismes et de donner des arguments aux racistes), la présentation du SWP paraît presque suspecte.

Quant à la LCR, non seulement elle en est restée aux termes vagues « d’anticapitalisme », évitant soigneusement toute référence au socialisme que ce soit à la rencontre du P-Sol ou dans d’autres meetings. La salle était plus avancée politiquement que ses orateurs. Pire encore, le représentant de la LCR ne pouvait pas dire plus que « le P-Sol doit se développer » et pour cause: seule une minorité de Démocratie socialiste, la section brésilienne du secrétariat unifié de la IVème internationale (SUQI) auquel est affilié la LCR, participe au P-Sol autour de Heloisa Helena. La grande majorité est restée dans le PT, malgré l’exclusion d’Heloisa, et n’a aucune intention d’en sortir, ni même de perdre le siège de ministre de la Réforme agraire au sein du gouvernement Lula, qui est toujours détenu par M. Rosseto, membre de DS. Dans une lettre ouverte signée de DS et des autres tendances de gauche du PT, est même réaffirmée la volonté de continuer ce gouvernement d’alliance avec la bourgeoisie. « Il faut que le PT arrive à concilier sa condition de supporter principal du gouvernement avec celle « d’aile gauche » de la coalition qui a élu le gouvernement de Lula et qui lui apporte son soutien » (lettre aux membres du PT, janvier 2005). Non seulement DS ne sortira ni du gouvernement ni du PT mais en plus elle ne remet absolument pas en cause la stratégie actuelle de la direction du PT qui est pourtant celle là même qui a privé le PT de son indépendance de classe et qui a accéléré son glissement à droite. En termes marxistes, c’est un refus de voir que c’est dans la nature même de ce gouvernement d’alliance avec certains secteurs de la bourgeoisie, fussent ils plus modérés que d’autres, que le Front populaire qui est ainsi constitué se transforme en arme pour tenter de paralyser la classe ouvrière. Le SUQI ne pourra pas longtemps être dans un gouvernement qui attaque les travailleurs et dans un parti, le P-Sol, qui veut le combattre.

Tout l’enjeu est bien de savoir si le P-Sol va se développer en tant que parti de combat pour la classe ouvrière et la jeunesse, ou rester au rang de poil à gratter électoral comme l’ont été les candidatures communes ou non de la LCR et de LO, avec la lassitude qui en a découlé pour les travailleurs et les jeunes en France.

Quelle stratégie ?

La deuxième rencontre nationale du P-Sol a confirmé le potentiel qui existe. Alors qu’aucune affiche ni aucun tract spécifique n’avait été édité (la conférence était annoncée dans un matériel plus large au milieu d’autres activités) ce sont 1808 personnes qui se sont faites enregistrer lors de la conférence. Jeunes, syndicalistes, militants des minorités (indiens, noirs, homosexuels…) pendant plus de 10 heures, dans une chaleur étouffante, ils ont participé au débat avec un sérieux à la mesure de la nécessité de construire l’alternative au PT et à Lula.

Deux questions dominaient en fait toutes les contributions, et résument assez bien l’enjeu : nous faut il un parti ou un mouvement ? nous faut il privilégier les élections présidentielles de 2006 (pour lesquelles la principale dirigeante du P-Sol Heloisa Helena est créditée de 3 à 6 %) ou se baser avant tout sur les luttes ?

Dans leurs interventions, les militants du CIO ont défendu une orientation qui avait un large écho dans l’assistance : il nous faut un parti, qui soit réellement socialiste, qui soit un parti de combat pour les jeunes, les travailleurs et les minorités, et qui utilise les élections comme écho et relais des luttes. Celles-ci furent aussi bien défendues lors des salutations internationales par notre camarade Joe Higgins, député du Socialist Party en Irlande, envoyé un mois en prison pour soutien à la lutte contre la Bin Tax à Dublin que par André Ferrare dirigeant de Socialismo Revolucionario et membre du comité exécutif du P-Sol, ou par les autres intervenants de SR.

Il est clair que plusieurs courants veulent privilégier les élections. Mais la salle pensait tout autrement : si la campagne de légalisation doit continuer, c’est néanmoins le débat sur les perspectives concrètes qui intéressait le plus les participants à la rencontre nationale. L’adoption du document final en fut le reflet, toute une série de revendications furent discutées, de même que la stratégie à adopter face aux attaques de Lula. Un congrès de fondation a été programmé pour le mois de décembre prochain, qui doit adopter un programme pour le P-Sol : ainsi, de manière concrète l’orientation socialiste, la construction du P-Sol… vont pouvoir être discutées par chaque militant. Désormais, le débat et la bataille politique ont commencé pour savoir si le P-Sol se prononcera en faveur d’une nationalisation des principaux secteurs de l’économie, du remplacement du capitalisme par une économie socialiste planifiée démocratiquement…

Certes, le P-Sol n’est pas encore le parti qu’il faudra à la classe ouvrière brésilienne pour instaurer le socialisme et il n’est pas sûr qu’il le devienne. Tout dépendra du programme qu’il adoptera, de la participation de milliers de travailleurs et de jeunes. Mais c’est avec enthousiasme que les militants de SR vont continuer ce combat pour que le P-Sol soit vraiment un parti de combat pour la classe ouvrière, avec un véritable programme pour en finir avec la misère dans laquelle le capitalisme maintient le Brésil.

Par Alex Rouillard