Une même Internationale… un journal commun !

Les causes premières de cette publication sont la présidence belge de l’Union Européenne entre le 1er juillet et le 31 décembre, et surtout le mouvement de résistance que nous attendons à cette occasion.

Article paru dans l’Egalité n°88

Au cours de ce mouvement, nous serons confrontés à toutes sortes de questions et de remarques. Il y aura des discussions de nature stratégique et tactique, par exemple sur la question du blocage ou non des sommets et des moyens pour y parvenir. Mais des questions plus fondamentales seront également posées sur ce que nous voulons mettre en place. Le débat sur quelle forme donner à une alternative au capitalisme, qui n’est plus mené depuis presque dix ans, sera relancé. Avec cette édition nous voulons non seulement contribuer à ce débat, mais aussi rassembler nos forces qui peuvent établir la base pour la formation de partis de masse révolutionnaires. Comme Marx, nous maintenons toujours la position selon laquelle il ne s’agit pas d’interpréter le monde, mais de le changer. Mais la condition à cela est un engagement conscient sur la base d’idées claires, portées par la masse des jeunes, des travailleurs et de leurs familles.

Tournant

Le mouvement de ceux qui s’opposent aux grandes institutions internationales – comme l’OMC, le FMI, la Banque Mondiale, l’Union Européenne ainsi qu’aux multinationales – est un phénomène nouveau, une rupture avec les dix dernières années. Depuis la chute du stalinisme à la fin des années ’80, les gens ne croyaient plus dans la possibilité de construire une alternative au capitalisme. Même ceux qui s’étaient toujours opposés au stalinisme en ont subi les conséquences. Nous vivions dans une époque sans idéologie, sans réponse globale, ces dernières étant en général perçues comme doctrinaires et néfastes. Bien que philosophe de troisième rang, Fukujama était capable de s’inscrire dans l’histoire avec son propos « ceci est la fin de l’histoire », autrement dit :  » le capitalisme est le seul système social qui peut encore fonctionner.  » Grand seigneur, on admettait qu’il y avait encore quelques problèmes, dans le Tiers Monde par exemple, ou même dans le Quart Monde occidental. Mais cela n’était qu’une question de temps, essentiellement dû au conservatisme de ceux qui tenaient toujours à leurs acquis. A terme, même ces problèmes disparaîtraient. Aussi ‘Capitaliste’ n’était plus une injure, « libéral » devenait progressiste et  » socialiste  » était synonyme de conservateur ; le syndicalisme de combat était dépassé et le syndicalisme de concertation, moderne.

Ce n’est pas qu’il n’y avait pas de résistance dans la société, mais cette résistance ne visait pas le capitalisme, mais uniquement ses conséquences comme le racisme, la corruption, la violence contre les animaux etc… Et même dans ces mouvements, ceux qui liaient à cette résistance une critique ciblant davantage le système étaient souvent suspects. C’était comme si « changer la société » ne pouvait que rendre les choses encore pires. Une grande partie de ces opposants étaient anti-politiques mais pour cette raison, ils n’étaient pas anti-capitalistes. C’était comme si les politiciens étaient les profiteurs et les capitalistes des citoyens comme tous le monde. Cependant il est apparu que ces politiciens étaient pour la plupart des marionnettes aux mains d’une poignée d’entreprises multinationales. Le clivage croissant entre pauvres et riches, qu’on acceptait avec la croissance économique dans l’espoir que le temps viendrait pour tout le monde, est devenu une source de mécontentement. Le ralentissement de la croissance des derniers mois a fait croître la conscience que ce clivage ne fera que s’élargir. L’insécurité fait que de plus en plus de gens commencent à se questionner sur ce système. Certains espèrent pouvoir faire quelques corrections au système, d’autres visent les grandes entreprises, mais la conviction que ce système n’a rien du tout à offrir croît également, surtout parmi les jeunes.

Confusion

Mais le mouvement reflète toujours la confusion idéologique des dix dernières années. Les multinationales et les gouvernements y réagissent très habilement. Par exemple, après avoir provoqué une catastophe écologique qui a totalement détruit le pays des Ogonis au Nigéria, Shell veut nous jeter de la poudre aux yeux avec la construction d’un complexe pour la génération de l’énergie solaire. Certains en tirent la conclusion qu’on peut rendre le système plus humain avec un peu de pression d’en bas. Afin de pouvoir contrôler ceci un certain nombre d’ONG ne demande pas l’abolition de l’OMC, mais le pouvoir d’y siéger, comme si cela pouvait changer la politique de l’OMC. D’autre part, au sein des syndicats, certains dirigeants ne veulent utiliser la résistance contre les institutions internationales que pour renforcer leur rapport de force dans les négociations. Ainsi, les syndicats européens manifestaient à Nice pour défendre une charte sociale européenne alors que derrière celle-ci se cachait une attaque remettant en cause le droit de grève. D’ailleurs, les directions syndicales sont le plus souvent d’accord avec la politique de démantèlement des dirigeants gouvernementaux sociaux-démocrates. Le manque d’un parti ouvrier avec un programme clair et le refus des directions syndicales de vraiment arrêter la politique d’austérité européenne, mène la majeure partie des opposants aux illusions les plus invraisemblables, tant au niveau du programme qu’en ce qui concerne la forme d’action.

Ouvriers ou universitaires ?

Les syndicats pourraient très facilement bloquer les sommets européens. S’ils appelaient leurs membres à paralyser les environs du sommet en faisant la grève et en manifestant massivement, éventuellement en utilisant leurs outils de travail (camion, tractopelle), le sommet ne pourrait pas avoir lieu, et cela même sans qu’ aucune pierre ne soit jetée. Le gouvernement belge prétend que l’Europe lui « interdit » de sauver les 12.000 emplois chez Sabena, l’oblige à limiter les allocations de chômage dans le temps, à libéraliser les services postaux avec comme conséquence la perte de 11.000 emplois, à augmenter l’âge de la retraite etc., mais malgré tout cela les syndicats pensent qu’il n’est pas opportun de bloquer les sommets européens. Résultat : ce n’est pas le mouvement ouvrier mais c’est seulement quelques universitaires qui tiennent le haut du pavé dans le mouvement anti-mondialisation. Leurs remèdes sont entre autres : des groupes de pression parlementaires (composés d’ailleurs de députés des partis qui sont co-responsables de la politique antisociale), des contre-sommets subventionnés par la Commission uropéenne afin de diriger la résistance dans des canaux sans risque de débordement, la démocratie participative (avant on appelait cela la cogestion) et des actions des consommateurs.

Emeutes

Entre temps des milliers de jeunes cherchent le moyen d’action approprié. Parce que ni les dirigeants syndicaux, ni les universitaires n’offrent de solution, ils s’engagent souvent dans une lutte perdue d’avance avec les services d’ordre. Si les jeunes ne commencent pas les émeutes, la police le fera bien à leur place. Ainsi le premier ministre suédois admettait qu’une centaine de policiers en civil étaient employés à provoquer des émeutes. Les médias faisaient le reste. Même un magazine télévisé politique à la VRT (télévision publique Flamande) comme Terzake ne voulait interviewer « Résistance Internationale » que si nous étions masqués. Nous l’avons refusé en expliquant que nous ne manifestons jamais masqués, ne jetons jamais de pierres et que nous ne participerons qu’à l’émission seulement si nous pouvons expliquer notre position politique. Il n’étaient alors plus intéressés… Mais, entre temps, la criminalisation d’une partie des manifestants a eu l’effet escompté. Les directions syndicales l’utilisent pour manifester séparément, les gouvernements pour créer une rupture entre l’opinion publique et les manifestants, et un grand nombre de groupes l’utilisent pour dire qu’ils n’ont pas envie de se faire tabasser avec 50 à 100 radicaux et qu’ils préfèrent une conférence à une manifestation.

Le contenu

Nous pensons que ces solutions sont fausses. Les gouvernements veulent diviser la population et les manifestants en ne faisant seulement référence qu’à la forme et pas du tout au contenu de la résistance. Nous devons parer cette confusion en expliquant à la population la raison pour laquelle nous agissons. Nous devons faire pression sur les syndicats en intervenant dans les usines, dans les quartiers et dans les écoles pour expliquer la signification de la politique du gouvernement sur les syndicats. Tant que les jeunes resteront les seuls à manifester la police pourra intervenir sans problème. Il faut essayer de mobiliser les gens des quartiers, les ouvriers et leur famille afin de contrer la présentation des manifestants comme des casseurs. De même nous devons lancer dans le mouvement la discussion sur l’inopportunité de porter des masques et de jeter des pierres. Nous devons expliquer qu’un provocateur policier ne peut pas être distingué d’un manifestant masqué et que les masques rendent ainsi le mouvement plus vulnérable.

Pour pouvoir défendre cette orientation, tactique et stratégique, au sein du mouvement il faut que nous soyons organisés. C’est à cet effet que nous avons mis en place la campagne « Résistance Internationale ». Elle lie la mobilisation à l’action et à la discussion. A court terme, cela peut renforcer énormément le mouvement et lui donner une direction. Mais à terme, l’opposition sociale entre travail et capital sera posée de façon de plus en plus aiguë. Sans doute, quand les distributions de l’eau et de l’électricité seront, elles aussi, libéralisées et que la mondialisation sera ressentie dans chaque famille, le besoin d’en finir définitivement avec le système capitaliste va croître ainsi que le besoin d’un parti révolutionnaire avec un programme pour la transformation de la société. Avec cette édition nous voulons lancer cette discussion.

Par Eric Byl (MAS, organisation sœur de la Gauche Révolutionnaire en Belgique)