Angleterre-Pays de Galles : vers la fin des Socialist Alliances

Initiées il y a une dizaine d’année par les militants britanniques du Comité pour une internationale ouvrière et des socialistes indépendants, notamment dans la ville de Coventry, les alliances socialistes (SA) combinaient un regroupement de forces déjà organisées et d’individus ou de militants inorganisés.

Article paru dans l’Egalité n°93

A Coventry, Dave Nellist, membre du Socialist Party (SP, section du CIO en Angleterre-Pays de Galles), fondateur et président national de la SA est de longue date, avec deux autres, conseiller municipal, et a réuni sur sa candidature le meilleur score de toutes les SA lors des dernières élections législatives (7,5 %).

Dans beaucoup d’endroits, les SA se sont constituées de manière ouverte, ne se limitant pas à être un bloc électoral, mais se voulant une structure rassemblant les militants dans les luttes, l’activité syndicale (il existe notamment une Teacher socialist alliance).

Il s’agit de remettre à l’ordre du jour la perspective d’ un socialisme authentique et démocratique tant sur le terrain électoral que dans les luttes.

La structure qui s’est ainsi développée combinait une approche assez souple, de type fédéral, associant des organisations de taille nationale, les nombreux groupes locaux qui se sont créés depuis plusieurs années ou les campagnes locales contre les privatisations, pour la défense des services publics. Car le processus par lequel le Labour Party est passé dans le camp de la bourgeoisie a entraîné de nombreuses initiatives indépendantes mais pas encore la naissance d’un véritable nouveau parti des travailleurs.

Lors de sa dernière conférence nationale, en décembre, un tournant a cependant eu lieu qui risque fort de signer la fin des SA.

L’entrée du Socialist workers party (SWP), dont l’organisation sœur en France s’est appelée successivement Socialisme international, Socialisme par en bas et maintenant l’Etincelle qui intervient principalement dans les comités étudiants d’ATTAC, dans les SA avait inquiété plus d’un militant. Dès le départ, la volonté de se présenter aux élections de manière unilatérale s’est dans certains endroits faite au détriment de listes créées par les travailleurs eux-mêmes. Souvent celles-ci sont plus confuses politiquement mais elles représentent un pas intéressant. Par exemple, la liste des travailleurs du métro londonien, qui souhaitaient ainsi prolonger leur combat contre la privatisation du « Tube ». La London socialist alliance avait préféré se présenter, ce qui avait conduit le SP a ne pas la soutenir. Pour nous, la situation demande plus de souplesse, et le fait que des syndicalistes ou des militants associatifs cherchent à se placer sur le terrain politique et non plus en spectateurs-électeurs est une des voies par laquelle la perspective d’un nouveau parti des travailleurs devient un peu plus concrète.

Lors de la dernière conférence nationale de la SA, le SWP et ses alliés (notamment l’ISG, groupe en Angleterre affilé à la même internationale que la LCR) ont été plus loin encore dans la voie qu’ils avaient initié. Alors que le SP et de nombreux groupes locaux présentaient des plates-formes défendant une SA où chaque groupe local détermine ses candidats et sa plate-forme (dans le cadre de ce que la SA défend), ou chaque organisation et individu se réserve le droit d’effectuer sa propre production de matériel, la proposition de statut du SWP était celle d’une organisation centralisée, avec un exécutif national qui valide les listes, décide des plate forme et des candidats etc.

A l’étape actuelle de l’existence des SA (1700 membres affiliés nationalement, et environ 1000 localement), non seulement cette constitution ferme la porte à l’affiliation de nouveaux groupes et individus, mais cela transforme la nature et l’objectif des SA. Même le parti de la refondation communiste (PRC) en Italie a évolué vers une structure plus souple, avec élection à la proportionnelle dans les différentes instances, et ce parti revendique 100 000 membres dont 10.000 jeunes !

C’est par une majorité de 52 % que le SWP et ses alliés ont fait passer une telle constitution. Si peu de garanties pour les minorités, quelles qu’elles soient, combiné au fait que le principe “d’une personne une voix” qui permet aux grosses organisations de « remplir » une salle pour faire passer leur point de vue a également été adopté, ne peut que transformer la SA en front électoral du SWP.

Dans la période ouverte par la chute de l’Union soviétique, et avec le passage dans le camp de la bourgeoisie des anciens partis socio-démocrates, un nouveau parti des travailleurs ne peut surgir de la simple addition des organisations existantes ni faire l’économie d’une période pendant laquelle les travailleurs et les jeunes se réapproprieront eux-mêmes des formes de lutte et d’organisation. Dans les dernières décennies les partis socio-démocrates, et dans une moindre mesure les partis communistes, ont transformé les militants en électeurs, ôtant de la mémoire collective la référence à la lutte, à l’action et à la démocratie directe. Les travailleurs et les jeunes, de plus en plus, réapprennent cela dans leurs luttes. L’objectif d’une organisation marxiste reste la prise du pouvoir par les travailleurs et la jeunesse, le renversement du capitalisme et la mise en place du socialisme démocratique comme réelle alternative.

En France la grande faiblesse de la liste LO-LCR lors des élections européennes, c’est qu’elle ne permettait pas aux syndicalistes, aux travailleurs, aux jeunes de réellement s’impliquer, de prendre leur place dans une expérience de regroupement large notamment parce que le matériel décidé nationalement était souvent le seul autorisé. La SA risque de prendre le même chemin.

Le SP a préféré quitter cette structure désormais soumise aux décisions trop rigides de la direction nationale (qui a même le droit d’exclure) mais continuera le combat pour la construction d’un véritable nouveau parti des travailleurs. D’ores et déjà, proposition a été faite de trouver un arrangement entre les différentes forces se battant pour le socialisme afin de ne pas se présenter dans les mêmes circonscriptions lors des prochaines élections. Lorsque de véritables luttes d’ampleur se produiront en Grande Bretagne, le fait qu’elles débouchent sur le terrain politique deviendra central. C’est à cela que nos camarades du S.P. travaillent dès maintenant, refusant les alliances où les structures ne se prêtent qu’à une concurrence permanente et stérile entre les organisations.

Par Alexandre Rouillard