Algérie : le peuple se mobilise

Dessin A MedjaniL’Algérie est gagnée, d’Est en Ouest et du Sud au Nord, et depuis ce mois de février par un bouillonnement social inouï. Des millions de personnes sont descendues dans les rues, femmes et hommes de tous âges, tous pour scander : « Boutef (BOUTEFLIKA) dégage », « système dégage »,etc. Le mouvement commence à prendre de plus en plus d’ampleur et gagne plusieurs tranches de la société. En parallèle il est de plus en plus structuré et organisé.

Alger

À Alger, la mobilisation a été grandiose, dès l’acte I du vendredi 22 février 2019. On parle de plus d’un million de personnes qui ont envahi les rues de cette belle ville blanche au ciel bleu. Étant la première ville estudiantine du pays et un fief de toutes les grandes luttes qu’a connu l’Université algérienne, depuis l’indépendance du pays à nos jours, les étudiants n’ont pas tardé à s’organiser et à faire appel à la création de comités autonomes, avec des revendications sociales, économiques et politiques. Parmi les étudiant(e)s les plus impliqué(e)s dans ce mouvement, Nahla Nait Gacem qui nous revient avec ce petit témoignage de cette formidable mobilisation étudiante à Alger : « Les étudiants ont joué un grand rôle dans la mobilisation citoyenne à Alger. Ils étaient impliqués depuis la première manifestation du 22 février. On a réussi à monter une cellule autonome des étudiants d’Alger, le 26 févier 2019, qui a fait appel à la création d’un collectif national regroupant toutes les structures autonomes estudiantines. En parallèle, on a vivement dénoncé les structures parasitaires implantées par le régime dans les cités et centres universitaires. Notre tâche est de les destituer et créer des comités estudiantins libres et démocratiques. On a mis aussi l’accent sur le volet économique et social, tout comme on a essayé de faire un travail de proximité auprès des jeunes des quartiers algérois. »

Tizi Ouzou

Capitale de la Kabylie et épicentre de la première révolte contre le régime algérien dans l’Histoire de l’Algérie post-coloniale, en 1963, Tizi Ouzou est totalement paralysée par des mouvements de grèves et de désobéissance civile suivis dans les quatre coins du département. Des petits artisans, étudiants, avocats, enseignants et particulièrement les femmes qui n’ont pas raté l’événement le vendredi 8 mars pour descendre dans les rues de la ville pour crier elles aussi leur ras-le-bol et réclamer l’égalité. « La femme a toujours marqué sa présence en Kabylie, depuis la guerre d’Algérie et les différentes épreuves qu’a connu le pays après l’indépendance. Mais cette fois-ci, on n’a pas les mots pour qualifier cette énorme participation et implication des femmes. Elles étaient de partout, venues malgré la grève des transports, assister aux différents rassemblements et manifestations. Une société sans femme reste infâme et notre espoir est en une Algérie laïque et égalitaire. », nous a confié Amel Atmane, une militante et activiste féministe de Tizi Ouzou.

Béjaïa

Bastion des luttes sociales, Béjaïa (Bgayet) a marqué cet événement historique avec une grande mobilisation en touchant tous les secteurs. Particulièrement le secteur économique, sachant que le département de Béjaïa regroupe les plus grandes zones industrielles d’Algérie. Les ouvriers et autres travailleurs se sont mis en grève et ont déserté leurs unités de production. Leur détermination a même fait peur à certains industriels qui ont joué la tactique de la poudre aux yeux en rejoignant le mouvement de grève et de contestation.

Un travailleur de la laiterie Soummam de la zone industrielle d’Akbou nous a confié tout en gardant l’anonymat : « Dans notre entreprise, qui emploie l’équivalent de 1000 travailleurs et une capacité de production qui couvre tout le territoire national (une partie des produits est même exportée à l’étranger – Libye et Qatar), les conditions de travail sont dures : harcèlement au quotidien, chantage sur les travailleurs, salaires précaires par rapport à un travail dur, pas de syndicat, etc. Aucun respect de la dignité du travailleur de la part d’un patron qui a fait le pèlerinage pour masquer son caractère esclavagiste. On veut le changement ! Soit ajedell nagh lharga (soit le changement, soit l’émigration). »

Les travailleurs-ses des filiales des deux grandes entreprises publiques, Sonatrach et Sonelgaz, sont en grève depuis le 10 mars 2019. Ils ont envahi les rues de Béjaïa pour dénoncer le système en place, demander son départ et dénoncer l’usurpation des richesses du pays. Béjaïa vit son ère prolétarienne et de lutte anticapitaliste.

Comme l’art est une expression d’un malaise et une voix de révolte, on laisse la parole à Ahmed Medjani, caricaturiste et journaliste engagé, pour conclure notre reportage : « J’espère que cette fois-ci, les Algériens auront de la suite dans les idées, qu’ils continueront ce mouvement sans oublier les erreurs du passé. L’Histoire est en marche et elle écrira de belles choses sur notre peuple. »

Amar Benhamouche