150 ans de la Commune de Paris (2/4) : La commune de Paris, de l’élection du 26 mars à la semaine sanglante

Au soir du 18 mars et du soulèvement de l’est et du nord de Paris, le gouvernement Thiers fuit à Versailles. Le pouvoir était tombé aux mains du prolétariat sans qu’il n’en ait pleinement conscience. Mais c’est avec enthousiasme, énergie et générosité que les communards organisèrent la nouvelle société qui pouvait voir le jour grâce à eux.
L’assemblée municipale (qui comportait une majorité de 85 élus du monde du travail : ouvriers, artisans…) était représentative des divers courants révolutionnaires qui existaient alors : 20 néo-jacobins (partisans de la Constitution de 1793, comprenant encore mal le rôle nouveau du prolétariat), 9 partisans de Blanqui (toujours en prison, il ne pourra pas siéger), 15 Internationalistes (membres de l’AIT, dont plusieurs partisans de Marx)… Si tous étaient révolutionnaires, (sauf 15 élus partisans d’une conciliation avec Thiers qui démissionneront rapidement), seule une minorité autour des Internationalistes avait une analyse de classe : Malon, Frankel, Longuet, Varlin… Le drapeau rouge devint le drapeau de la Commune.

Ceci est la deuxième partie de notre dossier sur la Commune de Paris, paru dans l’Egalité n°204 (Mars-Avril 2021). Cette partie raconte la déroulement de la Commune, et l’œuvre de celle-ci. La première partie est ici

Dès le lendemain de son installation à l’Hôtel de Ville le 28 mars, la Commune commence son immense travail politique : fin du financement public des cultes, instauration d’un salaire maximum pour les fonctionnaires et leur éligibilité et révocabilité, y compris pour la Justice et la Police. Elle organise aussi le ravitaillement (Paris est toujours sous le siège de l’armée prussienne) et liste les ateliers fermés par les patrons.

Le 16 avril, Frankel organisera la réouverture d’une partie d’entre eux, pour créer une fédération publique des ateliers, et ceux-ci pourront élire des délégués pour se passer de patrons. Les services publics, comme la poste ou la santé, seront gérés par des comités d’arrondissement. Boucheries municipales, ravitaillement en pain… seront organisés pour assurer la distribution de nourriture.

Politiquement, il y aura un foisonnement de journaux, plus de 70, et de nombreux clubs politiques dont le fameux « club de la Révolution » de Louise Michel et surtout, l’Union des femmes pour la défense de Paris et les soins aux blessés qui était en fait la première organisation ouvrière féminine, revendiquant (notamment contre les anarchistes proudhoniens), le droit au travail et l’égalité salariale pour les femmes.

La Commune voulut étendre le suffrage universel aux femmes (plus de soixante ans avant que la bourgeoisie ne l’accorde à son tour) mais elle fut écrasée avant d’avoir pu procéder à des élections.

Face à la contre-révolution

Mais la Commune n’avait pas organisé son armée de défense de manière centralisée face à une armée versaillaise qui se reconstituait. Elle perdit du temps dans des décisions comme la destruction de la colonne Napoléon place Vendôme (deux nuits de débats) ou avec les conciliateurs, comme Jourde qui ne voulait pas nationaliser la Banque de France.
Malgré les efforts de certains, dont les partisans de Marx, l’extension de la Commune ne réussit pas : Paris était trop en avance sur le pays. La politique de certains anarchistes n’a pas arrangé les choses. Bakounine, qui s’était réfugié en Suisse, vient à Lyon en s’emparant de l’hôtel de ville. Sans aucune analyse de la situation, il proclame à lui tout seul « l’abolition de l’État », puis se met à la tête d’un gouvernement non élu. Son autoritarisme et la réaction des troupes de l’État bourgeois – qui ne s’était pas laissé abolir par une proclamation – mettront fin à l’aventure. Bakounine s’enfuira en Italie sans plus résister.

À Paris, le gouvernement Thiers a désormais les mains libres : il a signé la capitulation avec la Prusse le 10 mai, récupérant plusieurs milliers de soldats prisonniers.

Mur des fédérés, dans le cimetière du Père Lachaise

Semaine sanglante

Les troupes de la Commune sont hétérogènes et certaines sont indisciplinées. À Versailles, Thiers dispose d’une armée de 120 000 hommes qui, le 21 mai, sera lancée sur Paris. L’objectif n’est pas que de vaincre la révolution, il s’agit aussi de procéder à un véritable massacre. D’autant que les communards, « montés à l’assaut du ciel » comme l’écrivait Marx, refuseront jusqu’au bout l’enfer capitaliste. Des barricades tiendront jour et nuit notamment dans l’Est parisien. Place Blanche, la barricade de l’Union des femmes, avec Nathalie Le Mel et ses partisanes, se défendit jusqu’au bout. Les communards sont exécutés dans les ruelles, souvent à genoux. Au cimetière du Père Lachaise, 147 d’entre eux sont fusillés devant le mur des « Fédérés ». Le quartier de Belleville sera le dernier à tomber, le 28 mai.
3 000 à 4 000 communards sont morts au combat, 15 000 à 20 000 exécutés, y compris des enfants. La barbarie de la société bourgeoise se mesure à ce flot de sang.

La commune de Paris fut certes une terrible défaite pour le prolétariat, mais elle marque la première révolution prolétarienne et a établi, pendant 72 jours, une société démocratique et égalitaire. Ses points forts et ses avancées, ses erreurs, ses faiblesses, telles l’absence d’une réelle direction politique organisée, serviront d’exemple pour la suite, et doivent nous inspirer.

« Le parti ouvrier – le vrai – n’est pas une machine à manœuvres parlementaires, c’est l’expérience accumulée et organisée du prolétariat. C’est seulement à l’aide du parti, qui s’appuie sur toute l’histoire de son passé, qui prévoit théoriquement les voies du développement, toutes ses étapes et en extrait la formule de l’action nécessaire, que le prolétariat se libère de la nécessité de recommencer toujours son histoire : ses hésitations, son manque de décision, ses erreurs. Le prolétariat de Paris n’avait pas un tel parti. » Trotsky

Vive la Commune !

Par Rachel Simon et Alex Rouillard

L’Œuvre de la Commune

Le programme mis en place par la Commune de Paris est marqué par la volonté de construire une société par les travailleurs, libre et égalitaire.

Les droits démocratiques étendus

Marx parle de la Commune comme le « gouvernement des producteurs par eux-mêmes ». Le droit de vote universel (certes encore masculin) est établi. Les responsables sont élus partout, y compris dans la garde nationale et si le représentant trahissait les décisions, alors il pouvait être révoqué. Un élu pouvait être de nationalité étrangère car la Commune se reconnaissait de la « République universelle ». Les rémunérations des élus sont plafonnées, à un maximum proche du salaire d’un travailleur.

Projet d’émancipation des travailleurs et des mesures sociales

Dès le premier jour, les élus de la Commune mettent en place la séparation de l’Église et de l’État. L’éducation n’est plus dans les mains de l’Église, elle est rendue publique et les programmes sont établis en commun entre enseignants, parents et élèves. Elle est émancipatrice, commençant dès la naissance et répondant aux besoins des enfants : crèches avec des jardins, jouets, volières… Des premières écoles professionnelles sont créées pour que chaque enfant puisse choisir son métier. Les orphelins sont « pris en charge » par la société avec une pension jusqu’à 18 ans.

Comme une partie des patrons avait fermé ateliers et fabriques, le 16 avril, ceux-ci sont recensés et regroupés au sein d’une fédération unique. Leur contrôle par les anciens ouvriers est envisagé. Les bureaux de placement pour l’emploi (auparavant tenus par des exploiteurs et la police) sont fermés. Le travail de nuit des apprentis boulangers est interdit.

Ce qu’il a manqué pour un programme socialiste et victorieux

Si les objets déposés au Mont-de-piété (crédit sur gage aux plus pauvres qui serraient le cou des ouvriers et des petits producteurs) ont été restitués, la Commune s’est limitée à gérer la Banque de France plutôt que de la nationaliser, se privant ainsi de fonds énormes.

Enfermée dans Paris, la Commune, malgré les nombreuses activités et propositions notamment des partisans de Marx, n’a pas cherché à mettre en place un programme national révolutionnaire pour tout le prolétariat et la paysannerie. Il n’y a pas eu de réforme agraire (collectivisation ou partage des terres), alors que la paysannerie très appauvrie s’agitait dans le pays.

Malgré ses limites, l’expérience révolutionnaire de la Commune démontre les capacités de notre classe. Toutes ces mesures ont été menées en 72 jours seulement, en étant harcelé par les troupes de la bourgeoisie, voilà un exemple de la puissance d’un embryon d’État ouvrier.

Par Yohann Bis

Différents exemples de décrets pris par la commune :