ViaSystems : Quand les salariés ne font pas partie des actifs de l’entreprise

Ce slogan retenti depuis plusieurs semaines, et pour plusieurs encore, dans les rues de Rouen, rythmant les manifestations des salariés qui refusent la fermeture de leur entreprise. Le groupe américain ViaSystems (téléphonie, électronique…) est une de ces nombreuses multinationales qui se sert de ses sites de production comme pompe à fric. Et lorsque la pompe n’est plus assez rentable, on la jette.

Article paru dans l’Egalité n°97

Dans l’Egalité n°90, nous avions déjà interviewé Franck Lequien, Délégué du Personnel et militant CGT. A cette époque la direction venait de prendre les premières mesures de chômage technique. Cette année, une fois de plus durant les vacances d’été, la direction de ViaSystems a annoncé la fermeture complète du site. Mais ce qui a changé, c’est que les salariés sont entrés en action. Plusieurs jours de grèves ont déjà eu lieu, et une multitude d’actions. De plus, on en sait un peu plus sur ce genre de groupes qui multiplie les filiales pour mieux faire remonter les bénéfices au sommet.

De surprise en surprise sur les magouilles du groupe

La fermeture du site de Déville-lès-Rouen, et ce, malgré des commandes encore en cours et surtout, le fait que 413 salariés y travaillent, faisant vivre de nombreuses personnes, a soulevé une colère immédiate des salariés. Cette colère s’est renforcée quand ceux-ci ont découvert de multiples choses. Par exemple, ViaSystems France n’existe pas, c’est une société par actions simplifiée, c’est à dire qui est la propriété d’un actionnaire unique, basé au Canada. Impossible de savoir qui est le PDG et d’avoir un interlocuteur valable avant plusieurs semaines.

Le responsable, David Webster traînait quelque part au Texas. Ensuite, la découverte que Lucent Technologies, qui avait cédé le site de Déville à ViaSystems avec l’engagement que 30 mois de travail existait, n’a en fait pas pu honorer son contrat. Lucent doit donc verser 25 millions de dollars. Mais à qui ? la logique serait que ce soit au site de Déville, mais l’argent n’a pas l’air d’être là… En fait, les comptes de 2001 montrent bien un versement de 5 millions d’euros, mais celui ci, rendant les comptes positifs d’environ 4 millions d’euros, est remonté comme bénéfices au siège au Canada. Restaient les 100 000 euros d’impôts sur les bénéfices pour l’Etat, et les 115 000 euros de prime d’intéressement sur les bénéfices à répartir entre les salariés. Et on passera sur l’embrouillamini d’adresses, qui font que les interlocuteurs sont tantôt basés au Luxembourg, tantôt aux USA ou au Canada. « Et bientôt on découvrira une adresse aux îles Caïmans » ? comme demandait le secrétaire de la CGT Claude Etienne.

Les salariés ne font pas partie des actifs…

Enfin, après une première grève bloquant la production, des interlocuteurs ont commencé à se manifester. Un premier protocole a été envisagé, que Webster et ses amis ont cherché à ne pas respecter quelques jours après. Et lors de la dernière rencontre obtenue, « pendant 3 heures, ils ont parlé des actifs, de la transformation du stock en production », dit Franck Lequien. « Ça a été une vraie claque, les salariés, ça n’existe pas pour eux ».
Mais la venue des salariés bloquera les représentants américains et les obligera à s’engager par écrit à une nouvelle rencontre le 16 septembre.
Supplétif du PDG, Lubert, directeur du site a pour seul souci de conserver les clients, avec l’argument de « convaincre » le groupe de rester avec eux. Tous ces arguments font le jeu de la direction, puisque sitôt la production terminée, le site sera certainement fermé. Et quant à les convaincre, les dirigeants américains connaissent très bien les très bonnes compétences techniques des salariés du site de Déville. Mais leurs profits exigent de le fermer, c’est la froide réalité du capitalisme, où les sentiments humains n’ont aucune place.

Ce qui chiffonne les américains c’est que deux commandes doivent être honorées et qu’elles sont difficilement transférables sur un autre site. Et c’est ce qui avait déjà motivé une première grève avec blocage de la production. Des salariés ont fait remarqué que « c’est comme ça qu’on les tient ». Les prochaines semaines verront ce genre d’initiatives doit se reproduire c’est ce que Webster et ses amis craignent le plus.

Non à la fermeture !

Dans ce combat contre un géant qui donne ses ordres du fin fond du Texas ou du Canada, les armes des salariés sont réelles. « Vous voyez ce que signifie la mondialisation » a fait remarqué l’avocate. Des salariés avait déjà plusieurs jours auparavant, envoyé des mails à toutes les adresses du groupe pour sensibiliser un maximum de salariés. Cet envoi a symboliquement été fait le 2 septembre, « Labor day » (jour du travail) aux Etats Unis.

Au niveau de la Gauche révolutionnaire, nous avons également envoyé des mails d’informations à nos camarades dans les villes où il y a des sites de production de ViaSystems comme à Coventry en Grande Bretagne où nous avons deux conseillés municipaux. Mondialiser la lutte face à la mondialisation des attaques capitalistes, c’est une arme réelle.
De même, une série de plan de licenciements sont en cours ou vont avoir lieu en Haute-Normandie, et pas seulement dans les nouvelles technologies.

Construire et élargir la mobilisation

Labelle (chaussures), Sagem, Alcatel AE… autant d’entreprises qui connaissent soit des licenciements soit même des fermetures. La question de manifestations ensemble se posent, de même qu’il faudra s’adresser aux autres entreprises de l’agglomération pour en appeler à leur solidarité, financière ou militante. Une longue grève, cela peut se financer avec des caisses de soutien, mais également, la solidarité concrète dans la lutte permet à la fois d’encourager celles existantes mais aussi de préparer les suivantes, lorsque d’autres entreprises connaîtront les mêmes problèmes. Une première manifestation sur l’agglomération, puis des initiatives de soutien, et pourquoi pas des journées de grèves en commun avec toutes les entreprises qui peuvent s’y lancer, voilà qui permettrait de construire un rapport de force.

Jusqu’à maintenant la CGT a fait circuler la pétition de soutien et les signatures sont nombreuses. C’est déjà ça mais ça n’est pas suffisant. Des dizaines de milliers de salariés travaillent sur l’agglomération rouennaise. Comme dirait Franck, « le syndicat devra franchir le pas correct du politique, c’est à dire s’impliquer dans les questions qui intéressent toute la société ». Aucune question, économique, sociale ou politique n’est en effet indépendante l’une de l’autre.
Que ce soit pour le maintien des emplois ou pour obtenir un maximum lors du plan de licenciement, les salariés sont bien décidés à faire payer les patrons américains.

Les salariés du site de Déville sont déterminés dans leur lutte. Hors de question de demander à l’Etat de remplacer le patronat, même si tous les pouvoirs publics sont interpellés pour qu’ils contraignent les patrons à payer et à respecter leurs engagements. Cependant, cela doit se faire sans illusion, sans oublier notamment que ce gouvernement comporte des ministres issus du MEDEF, dont F. Mer, responsable de milliers de licenciements dans la sidérurgie.

De nouvelles expertises comptables ont montré qu’au cours de l’année 2002, de l’argent avait de nouveau transité par ViaSystems France, avant de repartir on ne sait guère où. Pour une entreprise en « difficulté », les magouilles financières ont l’air en pleine vigueur. A croire que le but du jeu était de mettre l’entreprise en difficulté.

Il y a pour au moins deux mois de production, cela laisse de la marge aux salariés pour organiser leur lutte. Une lutte dans laquelle les salariés de Déville sont entré brillamment et avec énergie. « C’est souvent ceux qui avait l’air le plus « dans les clous » qui sont les plus remontés », ajoute Franck. Normal, quand on se rend compte que tout ce qu’on nous raconte sur la valorisation du travail des salariés c’est des bobards pour endormir la combativité des travailleurs.

La population a un sentiment de sympathie pour les grévistes de Déville, mais ce n’est pas cela qui fera plier des patrons qui sont souvent à des milliers de km des salariés. La tâche centrale des instances locales et départementales des syndicats, comme celle de tous les militants, et des salariés en lutte eux-même, est d’élargir la lutte et le soutien. Cela renforcera les salariés de ViaSystems dans leur lutte, leur donnera plus de détermination et d’intransigeance. C’est à cette tâche que nous nous sommes attelés, parce que ViaSystems-Déville ne doit pas être une de plus dans la longue liste des entreprises qui ferment ou licencie, mais un moyen de reconstruire le rapport de force qui fait qu’on empêche les licenciements, qu’on refuse d’être rabaissé par ces parasites au rang d’unité comptable tout juste bonne à produire.

Par Alex Rouillard