Un continent en révolte

Mieux que le golf, huit présidents en Amérique latine l’ont testé : la fuite par hélicoptère pour échapper aux masses devient un sport régional très prisé par les élites ! La région connaît en effet une augmentation des luttes dont l’ampleur et la traduction politique en font le fer de lance du renouveau des idées socialistes.

Le début des années 80 et la transformation des dictatures militaires en  » démocraties  » ont vu également une dépendance croissante des pays d’Amérique latine vis à vis des impérialistes, notamment américains, et des exigences du FMI. La région devint ainsi pour les capitalistes un véritable laboratoire des méthodes néolibérales avec une série d’attaques majeures à l’encontre des travailleurs et de leurs maigres acquis : casse des accords salariaux, casse de tous les budgets sociaux, privatisations, ouverture du marché, pillages accrus des ressources nationales par les multinationales, développement exponentiel de la dette. Aujourd’hui en Equateur chaque enfant qui naît a à son cou une dette de 1200 $ !

Révolution et contre-révolution

Ce continent a toujours été en ébullition et a toujours été le terrain d’un affrontement entre révolution et contre-révolution. Ainsi en 200 ans d’histoire indépendante de la Bolivie, il y a eu 200 coups d’état ! Actuellement on assiste à la remontée des luttes et à une opposition clairement ouverte aux attaques des classes dirigeantes locales et des impérialistes. Au Guatemala 98 % de la population s’est déclarée contre les privatisations et dans quatre autres pays limitrophes ce chiffre avoisine les 90 %. De même, alors que les médias prétendent que 70 % des Colombiens soutiennent leur président, Uribe a reçu une gifle flagrante avec l’échec de son référendum (seulement 18% de  » oui « ) sur son plan de paix, transformé en véritable demande de plébiscite de sa politique néolibérale. En 2003 en Bolivie, Lozada connut les joies de la fuite par hélicoptère direction Miami et en 2005 son successeur Mesa dut lui aussi démissionner face à la colère des masses. Quant à l’Equateur, le président Gutierrez, élu en 2003 a dû lui aussi fuir par la voie des airs en 2005 face à un mouvement d’ampleur contre sa politique au service du FMI, contre la privatisation et pour la nationalisation de l’électricité (son prix avait augmenté de 500 % ! ).

Ce sont des luttes qui sont le produit d’une montée de la conscience de classe

Car ce sont de véritables mouvements de masse insurrectionnels qui se sont développés, remettant pratiquement en cause le pouvoir des classes dirigeantes, en occupant le parlement, en occupant la capitale en Bolivie (voir le numéro 114 de l’Egalité). Dans certains endroits il y a eu des éléments de double pouvoir, création de structures auto-organisées par les travailleurs contre le pouvoir d’Etat.

Un élément important est le caractère autoorganisé de ces luttes. Le parti réformiste Mas (mouvement pour l’avancée socialiste) bolivien fut à la traîne du mouvement des travailleurs de 2003 et a peiné pour arriver à le stopper en 2005. En Equateur ce fut une radio indépendante,  » La Luna  » qui fut le point rassembleur des manifestants. C’est que de plus en plus de travailleurs récusent tout appareil politique traditionnel perçu comme traître et corrompu et vont chercher dans leurs propres forces les moyens de lutter. Un autre est l’importance du rôle de la classe ouvrière dans ces nouvelles luttes et la perception de ce rôle et de sa force par la classe ouvrière elle-même. Alors qu’auparavant, du Mexique à l’Equateur, la région était marquée par des mouvements indigènes impliquant essentiellement des paysans indiens. Ainsi l’Equateur a connu une nette évolution entre 2003 où le mouvement indigène réclamait des réformes, et le mouvement de 2005 où des meetings massifs ont voté des motions pour un gouvernement ouvrier et paysan. Les comités locaux n’ont pas seulement organisé la lutte mais ont aussi commencé à gérer la société (distribution de nourriture, etc.).

Malgré le manque d’un parti indépendant qui lui soit propre, la classe ouvrière a commencé à prendre conscience de son rôle pour pourvoir s’allier l’ensemble des couches opprimées de la population dans un mouvement de masse insurrectionnel.

Un nouveau parti : une nécessité indépassable

La nécessité d’un tel parti reste, cependant, absolue. Car en définitive son absence empêche la classe ouvrière d’accomplir sa tâche historique du renversement du capitalisme. C’est ainsi que les bourgeoisies locales ont pu sauver leur peau en s’appuyant sur les leaders réformistes. Le leader du Mas, Morales, élu au parlement en 2003, derrière des aspects combatifs, avait déjà renoncé aux luttes et ne visait qu’une carrière. Candidat pressenti comme victorieux aux prochaines élections, il ne va pas rompre avec le capitalisme, se voyant d’ores et déjà comme un nouveau  » Lula  » !

De même ce n’est certainement pas les guérilleros Zapatistes au Mexique ou la guérilla maôiste des Farc en Colombie qui peuvent répondre aux aspirations des travailleurs et de l’ensemble des opprimés. Ces dernières années ont une nouvelle fois montré l’échec de la stratégie de la guérilla. Se focaliser sur le mouvement paysan, se couper de la population urbaine, c’est se substituer et se couper de la classe ouvrière, qui est pourtant seule capable de contrôler l’économie, de structurer et d’organiser la riposte contre les capitalistes jusqu’au renversement de ce système.

Des fauteuils éjectables Une donnée nouvelle est l’extrême rapidité des événements actuels et des étapes du rapport de forces entre révolution et contre-révolution. L’ arrivée au pouvoir de leaders réformistes ou populistes de gauche intervient dans la tactique de la bourgeoisie pour décourager les masses, faire perdre confiance à la classe ouvrière, et reprendre la main par les élections comme au Nicaragua avec la chute du régime sandiniste. Mais d’un autre côté ces mêmes leaders vont avoir très certainement et rapidement à se confronter à de nouveaux mouvements. Comme en Argentine où Kirchner ne fait guère illusion, déjà des dirigeants de la lutte bolivienne dénoncent le piège du réformiste Morales. A côté du réformisme et de sa trahison de plus en plus perçue par les travailleurs, déjà de nouveaux partis au Brésil et au Venezuela cherchent à se construire autour du programme socialiste. La résurgence des idées socialistes n’ est qu’à son tout début. Le Comité pour une internationale ouvrière (CIO) en est d’ores et déjà partie prenante de ce processus.

Par Geneviève Favre, article paru dans l’Egalité n°116