Après presque quatre semaines de grève à la SNCM contre la privatisation, les marins ont repris le travail mi-octobre et le gouvernement a ainsi le feu vert pour la privatisation. Malgré la combativité des marins, malgré leur détermination d’aller jusqu’au bout, le gouvernement a pu gagner ce conflit.
Dès le départ, le gouvernement Villepin a déclaré la guerre aux marins en annonçant une privatisation de la SNCM à 100 % au seul bénéfice du groupe financier Butler. Cette attaque avait deux objectifs : continuer la politique en faveur des capitalistes en réussissant une privatisation et infliger une défaite exemplaire à la classe ouvrière marseillaise qui est aujourd’hui le centre de la résistance aux politiques néolibérales et aux attaques patronales (luttes des travailleurs de Nestlé, de la RTM (transports publics) et du Port autonome de Marseille).
Le gouvernement a pu lancer ce défi car il savait que les directions syndicales, notamment celle de la CGT, n’iraient pas jusqu’au bout, ne s’opposerait pas entièrement à la privatisation. Mais il savait aussi que les marins sont plus combatifs que les bureaucrates de la CGT.
Une lutte courageuse, mais…
Face à l’attaque du gouvernement, les marins ont construit une grève puissante qui a paralysé entièrement les liaisons avec la Corse et l’Afrique du Nord. Ils sont bien conscients qu’une privatisation entraine des licenciements (400 annoncés par le groupe Butler) et une dégradation des conditions de travail. En plus, les travailleurs du Port autonome de Marseille (PAM) ont rejoint le mouvement de grève par solidarité, mais aussi pour lutter contre les débuts de la privatisation du port. Leur grève bloquait des marchandises et faisait pression sur les entreprises. Dans ce contexte de lutte, la manifestation du 4 octobre rassemblait 90000 travailleurs et les salariés de la RTM reconduisaient la grève. Le point de départ était donc plutôt favorable pour généraliser le conflit de la SNCM sur toute la région de Marseille, mais aussi sur tout le pays. La combativité et la détermination pour pouvoir gagner ce conflit existaient. Mais l’attitude des dirigeants locaux et nationaux de la CGT n’a pas permis aux marins d’être armés politiquement avec des revendications correctes, ni avec une stratégie pour leur lutte, elle n’a pas permis une extension de cette lutte qui aurait été nécessaire pour vaincre le gouvernement.
…une CGT désastreuse
Les dirigeants de la CGT des marins de Marseille ont mis en avant dès le début de la grève que l’Etat devrait rester majoritaire dans la société SNCM, c’est à dire garder au moins 51 % des actions. Autrement dit : la CGT a accepté une privatisation partielle, une ouverture du capital au lieu de revendiquer que l’entreprise reste à 100 % publique et que l’Etat fournisse des moyens financiers pour maintenir et améliorer ce service public. Ainsi, la CGT des marins s’est placée au niveau politique et idéologique sur le terrain du gouvernement et du patronat. Or, chaque lutte jusqu’à aujourd’hui l’a démontré : on ne peut pas gagner si on ne se bat pas pour des revendications propres aux travailleurs qui sont toujours directement opposées à celles du gouvernement et des capitalistes. L’approche des dirigeants CGT a aussi permis au gouvernement d’appliquer une double tactique : entraîner le mouvement sur une négociation pas à pas et intimider les grévistes par l’envoi des CRS au port de Marseille et des forces spéciales de l’armée (GIGN) contre les marins corses qui avait réquisitionné le bateau Paoli. Quant à la direction nationale de la CGT, l’attitude était encore plus catastrophique. Thibault, secrétaire général, allait tranquillement négocier avec Villepin au moment où les marins sur le Paoli se faisaient menotter par le GIGN. La demande du secrétaire de la CGT des marins, Jean-Paul Israël, de généraliser le conflit était rejetée par la direction nationale. Ensuite, celle-ci a tout fait pour convaincre la CGT locale de pousser à la reprise du travail et d’accepter la proposition du gouvernement : l’Etat maintient 25 % des actions et donne 9 % aux salariés.
L’attitude de la CGT a souligné que la politique de co-gestion, la volonté d’être négociateur privilégié du gouvernement et le fait d’accepter un des fondements de la politique néolibérale -privatiser les services publics pour garantir des profits aux capitalistes- entraîne des défaites pour les luttes.
Quelle stratégie pour une lutte victorieuse ?
Sur la base de la revendication « Non à la privatisation« , la CGT aurait pu réellement organiser la lutte des marins contre le gouvernement et les investisseurs privés derrière. Il aurait été nécessaire de généraliser le conflit à plusieurs niveaux. Des grèves de solidarité dans la même profession, dans les entreprises publiques et privées dans la région marseillaise (la CGT a suffisamment de poids dans la région pour organiser cela), des grèves dans d’autres secteurs menacés par la privatisation comme EDF, et le lien avec des luttes dans le privé auraient permis de créer une pression forte sur le gouvernement et le patronat. Le fait qu’il n’y avait pas de suite à la journée du 4 octobre a pesé lourd aussi sur la lutte à la SNCM. Un mouvement de grève générale aurait pu obliger le gouvernement à reculer, aussi sur la privatisation de la SNCM.
Même si le gouvernement a pu emporter une victoire partielle, la SNCM n’est pas encore privatisée et la construction d’une lutte d’ampleur avec des revendications correctes et une véritable stratégie reste nécessaire pour les marins.
Par Olaf van Aken, article paru dans l’Egalité n°116