C’est avec une profonde tristesse que nous annonçons le décès de Peter Taaffe, décédé le 23 avril 2025 des suites d’une longue maladie. Sa disparition porte un coup dur au mouvement ouvrier et au trotskisme international. Depuis son engagement dans le mouvement révolutionnaire en 1960, Peter a apporté une contribution indispensable, tant théorique que pratique, au dur labeur nécessaire à la construction d’un parti et d’une internationale révolutionnaires. Peter a été un membre éminent du Secrétariat international du Comité pour une Internationale Ouvrière (CIO), secrétaire politique du Parti socialiste (Socialist Party) d’Angleterre et du Pays de Galles, et pendant de nombreuses années son secrétaire général.
Article paru le 23 avril sur www.socialistworld.net
Comme à son habitude, Peter a mené un combat acharné contre de nombreuses maladies ces dernières années, ce qui lui a permis de profiter un peu plus longtemps de ses dernières années. Au nom du CWI du monde entier et du Parti socialiste d’Angleterre et du Pays de Galles, nous adressons nos plus sincères condoléances à son épouse, Linda, à ses filles Nancy et Katie, à ses petits-enfants et à son arrière-petit-fils, ainsi qu’à toute sa famille et à ses amis.
Originaire de Birkenhead et issu d’un milieu ouvrier extrêmement pauvre, Peter s’est orienté vers le marxisme et la politique révolutionnaire. N’ayant jamais fréquenté l’université, travaillant un temps pour la municipalité de Liverpool, il s’est formé au travers du mouvement et de l’expérience révolutionnaires. Fin connaisseur de littérature et de marxisme, il n’était pas ce que certains considèrent souvent comme le théoricien stéréotypé issu d’un milieu petit-bourgeois. De ce fait, Peter était une source d’inspiration, surtout pour ceux qui n’étaient pas eux-mêmes issus d’un milieu universitaire ou petit-bourgeois : il démontrait ce dont les personnes issues de la classe ouvrière étaient capables, tant sur le plan théorique que culturel. L’une de ses forces résidait dans son attachement constant à la classe ouvrière et aux opprimés, en tant que leader ouvrier. Il a continué à ressentir la douleur et la souffrance qu’ils subissaient. L’un des plus grands orateurs de sa génération, avec son accent et son style oratoire caractéristiques du Merseyside, Peter savait immédiatement toucher un public, petit ou grand. Peter résumait les horreurs du capitalisme et les luttes de la classe ouvrière, expliquant les idées marxistes de manière accessible.
Entrer dans le mouvement
Peter s’intéressa d’abord à la Socialist Labour League, devenue plus tard le Workers Revolutionary Party, dirigée par Gerry Healy à l’époque. Cependant, il fut rebuté par le mélange d’ultra-gauchisme et d’opportunisme, ainsi que par ses méthodes. Peter rejoignit ensuite le précurseur de Militant, Socialist Fight, un petit groupe trotskiste composé en grande partie de travailleurs, dont la revue paraissait peu fréquemment. À Birkenhead et dans le Merseyside, il participa à la construction des Jeunes Socialistes, intervenant dans de nombreuses grèves et luttes, dont la grève des apprentis en 1964, aux côtés d’autres militants.
L’une des premières contributions théoriques importantes de Peter fut, avec d’autres, le développement d’une analyse marxiste claire de la révolution cubaine qui renversa la dictature de Batista en 1959. Cet événement allait voir certains membres de la gauche trotskiste et révolutionnaire désorientés et fascinés par Castro et ses forces de guérilla victorieuses, ce qui les conduisit à prôner les fausses méthodes de la guérilla comme voie vers la transformation socialiste de la société.
Le groupe qui a précédé Militant était un groupe quelque peu instable, impliquant notamment Ted Grant, les frères Deane, Jimmy et Arthur, et Keith Dickinson, mais ses membres étaient majoritairement issus de la classe ouvrière. Grant avait joué un rôle clé dans le mouvement trotskiste, analysant la nouvelle situation mondiale de l’après-Seconde Guerre mondiale. Cependant, il n’était ni un organisateur ni un bâtisseur de parti. Dans une situation de plus en plus favorable, Peter joua un rôle décisif dans le redressement de l’organisation et saisit les opportunités qui se présentaient.
Au début des années 1960, le groupe était principalement basé à Liverpool, Londres, Tyneside et quelques autres villes. Les ressources étaient rares. Initialement encore dans le Merseyside lors du lancement de Militant en 1964, dont il était le rédacteur en chef, Peter s’installa à Londres. Des efforts titanesques furent nécessaires, en grande partie sous sa propre direction. À un moment donné, comme il le racontera, après son installation à Londres, il dormit sous le bureau pendant un certain temps. Les « salaires » étaient versés par intermittence, en fonction des fonds récoltés. Plus tard, avec d’autres, Peter participa efficacement à la reconstruction d’un bâtiment, acheté grâce à une collecte de fonds, à Bethnal Green, où des canalisations furent creusées, des murs érigés et des planchers posés.
Cette détermination acharnée à surmonter tous les obstacles était caractéristique de Peter et fut essentielle pour permettre à Militant de franchir des étapes décisives dans les années 1970. Il était déterminé à saisir toutes les occasions de renforcer nos forces tout en défendant et en développant le programme du marxisme. Cela se manifesta dans de nombreuses discussions que Peter eut avec des militants, et parfois avec des dirigeants ouvriers, en Grande-Bretagne et à l’étranger.
Les années 1960 ont été marquées par d’importants changements dans la situation en Grande-Bretagne et à l’international. Après la Campagne pour le désarmement nucléaire (CND), sont apparus le mouvement contre la guerre du Vietnam, le mouvement des droits civiques des Noirs américains et des Black Panthers, la grève générale en France, les soulèvements de 1968 dans ce qui était alors la Tchécoslovaquie, ainsi que les soulèvements révolutionnaires en Asie, en Afrique et en Amérique latine. En Grande-Bretagne, l’expérience du gouvernement travailliste d’Harold Wilson, et notamment ses propositions antisyndicales « In Place of Strife », ont suscité une opposition croissante menée par les délégués syndicaux. Tous ces éléments anticipaient des événements et des bouleversements encore plus importants dans la lutte des classes des années 1970. Ces évolutions ont élargi l’audience, tant auprès des militants en place que de ceux qui cherchaient des réponses et un moyen de s’engager politiquement.
Dans ce contexte, marqué par le début d’une montée de la lutte des classes et d’une radicalisation politique en Grande-Bretagne, les partisans de Militant obtinrent en 1970 la majorité au sein des Jeunes Socialistes du Parti Travailliste (LPYS). À l’époque, ce n’était qu’une coquille vide. Elle commença à se développer grâce à nos activités et à nos idées. Sous la direction des partisans de Militant, elle se transforma et compta environ 10 000 membres, principalement de jeunes travailleurs. La grande force de Peter résidait dans sa capacité à accompagner systématiquement les jeunes camarades et à leur donner la possibilité de participer au développement de ce travail, tout en les encourageant. Encourager, cependant, ne se limitait pas à les féliciter. Peter relevait leurs faiblesses et leurs erreurs, parfois avec acharnement, ce qui était nécessaire en tant que leader révolutionnaire. Mais c’était toujours dans le but d’aider les jeunes camarades à se développer et à développer leur travail. L’une des grandes qualités de Peter était sa capacité à constituer des équipes et à faire ressortir le meilleur de ses collaborateurs.
Peter a toujours cherché à se développer politiquement, lui et les autres, ce qui se reflétait dans la quantité de documents que Militant commença à produire. Devenu rédacteur en chef de Militant, puis secrétaire général de la Tendance Militante, il rédigea régulièrement des rapports politiques sur nos activités et l’actualité politique. À cette époque, il s’intéressa particulièrement au mouvement des droits civiques en Irlande du Nord, à la guérilla et au mouvement des Noirs américains, notamment au Black Panther Party, et écrivit sur chacun de ces sujets. Peter devint ensuite un critique littéraire régulier, attirant l’attention des lecteurs sur les dernières avancées et idées et y répondant. Mais tout en se tournant vers l’avenir, il comprit également l’importance de s’inspirer du passé et de tirer les leçons de l’histoire, notamment en écrivant un livre sur la Révolution française.
Internationaliste
Dans les années 1960, les partisans de Militant se heurtèrent de plus en plus à la direction du Secrétariat unifié de la Quatrième Internationale (SUQI), autour de personnalités comme Ernest Mandel et Pierre Frank. En 1965, notre groupe britannique fut exclu de cette organisation. Les divergences portaient sur des questions cruciales concernant les révolutions en Asie, en Afrique et en Amérique latine, la scission sino-soviétique de l’époque, ainsi que les perspectives et le programme de la classe ouvrière en Europe, aux États-Unis et ailleurs. Peter joua un rôle important dans ces débats et fut délégué, aux côtés de Ted Grant, au Congrès mondial qui déclassa Militant.
Plus tard, Peter joua un rôle central dans les étapes décisives menant à la création d’une nouvelle organisation internationale, qui serait fondée en 1974 sous le nom de Comité pour une Internationale Ouvrière/CWI. Il allait jouer un rôle crucial, aux côtés d’autres camarades voyageant fréquemment pour contribuer à la formation de ce qui allait devenir les sections du CIO/WI. Il fut à l’origine de l’intervention politique que nous menâmes en Irlande à la fin des années 1960 et au début des années 1970 afin de rallier des soutiens à notre programme et joua un rôle crucial dans le développement de la position unique du CIO/CWI sur la question nationale, là-bas comme ailleurs. Cela impliqua des déplacements à Derry et Belfast au plus fort du conflit armé. Un jour, il dut abandonner son discours et la grande réunion sur un campus universitaire lorsqu’une bombe explosa à proximité.
Sa contribution théorique à la question nationale a été parmi ses plus importantes, non seulement en Irlande, mais aussi au Sri Lanka, en Espagne, en Israël/Palestine, dans les Balkans et en ex-URSS, ainsi qu’en Écosse. Comme Peter le soulignerait, il ne s’agissait pas du travail d’une seule personne, mais d’une réflexion collective. Cependant, dans toute équipe, certains joueurs jouent un rôle crucial. Initialement, le rôle et la présence de Peter ont été cruciaux dans des pays comme l’Irlande, la Grèce, le Sri Lanka, l’Inde, l’Espagne, l’Afrique du Sud et, plus tard, ailleurs.
Parallèlement à son action internationale, Peter a piloté la croissance et le développement de Militant en Grande-Bretagne. Dans les années 1970 et 1980, les événements, notamment la montée de la lutte des classes et la radicalisation politique, ont permis à Militant de se constituer une base beaucoup plus large parmi des pans importants de la classe ouvrière. À cette époque, la radicalisation au sein du Parti travailliste a permis à Militant de jouer un rôle majeur et d’empêcher, jusqu’au milieu des années 1980, les tentatives de l’aile droite pro-capitaliste du parti de remporter une victoire décisive dans la lutte entre la gauche et la droite. Dans certaines régions du pays, Militant a été, à des degrés divers, l’épine dorsale de la gauche au sein du Parti travailliste. Ce phénomène s’est ensuite reproduit, dans une certaine mesure, au sein de certains syndicats. Grâce au soutien que nous avions acquis au sein du Parti travailliste, trois sympathisants de Militant – Pat Wall à Bradford, Dave Nellist à Coventry et Terry Fields à Liverpool – ont été élus députés. Militant avait ainsi acquis une position dominante au sein du Parti travailliste à Liverpool. Finalement, Militant a réussi à construire la plus grande organisation trotskiste jamais vue en Europe, avec une adhésion majoritairement issue de la classe ouvrière et un historique de luttes.
Campagnes de masse
Grâce aux positions conquises, des campagnes de masse furent lancées. Deux d’entre elles, surtout, reflétaient le soutien acquis : la bataille entre Thatcher et le conseil municipal de Liverpool au milieu des années 1980, puis la lutte contre la « poll tax » tant détestée, impliquant des millions de personnes, qui conduisit à la défaite de Thatcher. Au cours de ces luttes, Peter démontra non seulement ses capacités théoriques, mais aussi sa grande maîtrise de la tactique, de l’initiative et de la stratégie lors des luttes importantes, ainsi qu’une approche marxiste de la politique fondée sur des principes. Il était particulièrement sensible à l’état d’esprit et aux perspectives des travailleurs. Surtout, il fit preuve d’une grande flexibilité, tant sur le plan politique qu’organisationnel, sans jamais abandonner une position marxiste fondée sur des principes.
Dès le début des années 1980, la direction du Parti travailliste s’orienta vers la droite, notamment sous la direction perfide de Neil Kinnock. Ce furent d’abord les cinq membres du comité de rédaction de Militant, dont Peter, qui furent exclus en 1983, mais des centaines d’autres subirent ensuite le même sort pour avoir défendu un programme socialiste. À Liverpool, après une lutte acharnée contre le gouvernement Thatcher, les partisans de Militant commencèrent à être expulsés du parti à partir de 1986, tandis que les conseillers municipaux étaient sanctionnés et démis de leurs fonctions. Le LPYS fut amputé en tant qu’organisation militante en 1987. À la fin des années 1980 et au début des années 1990, les expulsions s’accélérèrent.
Une question cruciale soulevée lors de la lutte contre la poll tax concernait les députés soutenant Militant : devaient-ils refuser de payer leur poll tax ? La menace d’expulsion du Parti travailliste et la perte de leurs sièges parlementaires étaient alors évoquées. Ce fut le signe avant-coureur d’une lutte politique qui se développa au sein de Militant et du CIO/CWI.
Peter était catégorique : les députés ne pouvaient pas exiger que des millions de personnes refusent de payer, sous peine d’emprisonnement, et ensuite payer eux-mêmes pour conserver leur siège au Parlement. Cette politique fut finalement acceptée, mais Grant et d’autres dirigeants du Militant de l’époque s’y opposèrent. Une chasse aux sorcières s’ensuivit, les sympathisants du Militant étant expulsés pour s’être opposés à la taxe par capitation et avoir soutenu son non-paiement. Le député Terry Fields fut emprisonné et exclu du Parti travailliste.
Durant la chasse aux sorcières, Peter participa à de nombreuses émissions télévisées comme Face the Press, Panorama et d’autres, débattant avec des dirigeants de gauche comme de droite du mouvement ouvrier. Le mouvement ouvrier était le milieu naturel de Peter et des idées de Militant. Néanmoins, plus tard, il débattit au sein de l’élite Oxford Union, où il défendit des arguments si convaincants qu’il remporta la motion sur la supériorité du socialisme sur le capitalisme.
Un monde en mutation
À la fin des années 1980 et au début des années 1990, la situation mondiale traversait un changement fondamental. Ce changement allait avoir un impact direct sur la gauche révolutionnaire et le CIO. Cette nouvelle donne imposait une réévaluation de la situation mondiale, des tâches et des tactiques nécessaires à la construction d’un parti révolutionnaire. Ce ne fut pas une tâche simple. Pourtant, ces changements révélèrent une qualité essentielle que Peter incarnait : une ouverture d’esprit pour percevoir les changements et être prêt à s’y adapter. Il répétait souvent que la répétition d’une formule devenue obsolète ne suffisait pas et devenait dangereuse. Ainsi, lui et d’autres étaient ouverts à la possibilité d’une restauration capitaliste en Europe de l’Est dans les années 1980, notamment après la visite de Thatcher en Pologne en 1988, une question débattue lors du congrès mondial du CIO à la fin de cette année-là.
Cette perspective allait se confirmer à mesure que les événements se déroulaient en Europe de l’Est, puis en ex-URSS, en 1991-1992. Peter allait diriger la majorité du CIO, reconnaissant l’existence d’une restauration capitaliste et explorant les conséquences qui en découlaient. Grant et une minorité du CIO persistèrent à s’accrocher à une formule dépassée et à nier la réalité, même si Trotsky avait évoqué la possibilité d’un effondrement de l’URSS dans le capitalisme dans son livre La Révolution trahie dans les années 1930.
Concrètement, les processus à l’œuvre se reflétaient également au sein du Parti travailliste britannique, des partis sociaux-démocrates et de nombreux partis « communistes » à l’échelle internationale. Cela exigeait un changement de position et l’adoption de ce que l’on appelait le « tournant ouvert » – ne plus œuvrer au sein de la social-démocratie, mais construire des partis révolutionnaires indépendants. Ce changement découlait de la bourgeoisification des partis sociaux-démocrates. Grant et ses partisans rejetèrent cette idée, arguant qu’elle constituait « une menace pour quarante années de travail » et que « le parti révolutionnaire en Grande-Bretagne se construira par l’intermédiaire des syndicats et du Parti travailliste – il n’y a pas d’autre voie en Grande-Bretagne ». Ces divergences culminèrent avec une scission du CIO en 1992. S’adapter à cette situation mondiale radicalement différente et être suffisamment conscient et ouvert pour anticiper les changements en cours fut, à bien des égards, l’une des contributions politiques les plus importantes de Peter. Cela permit au CIO de se préparer à la nouvelle donne et d’y intervenir.
Peter était également autocritique. Il demandait souvent à ses collaborateurs : « Que ferait Trotsky dans une telle situation ? » Il pensait que Trotsky aurait sévèrement critiqué Militant pour ne pas avoir lancé un « virage franc » au plus fort du mouvement contre la poll tax, ou même plus tôt, lorsque nous avons été chassés du Parti travailliste à Liverpool.
Les années 1990
Les années 1990 furent une période difficile pour les révolutionnaires. Les obstacles et les difficultés engendrés par l’effondrement des États staliniens furent immenses. Le soutien aux idées socialistes fut temporairement remis en cause. Des conflits et des guerres éclatèrent, parallèlement aux luttes des jeunes et des travailleurs. Les guerres en ex-Yougoslavie et l’éclatement de l’ex-URSS permirent à Peter de produire à nouveau d’importants documents traitant de la question nationale dans ces régions. Il joua un rôle crucial dans l’analyse de ces événements et de ces évolutions. Il poursuivit son travail à l’international. Peter contribua à engager des discussions avec d’autres courants politiques afin d’échanger des expériences et de déterminer s’il existait une base politique pour une action commune. Dans les années 1990 et 2000, il se rendit dans de nombreux pays d’Europe et d’ailleurs, notamment en Russie, au Kazakhstan, aux États-Unis, au Chili, au Brésil, en Inde, au Pakistan, au Sri Lanka et en Afrique du Sud, pour contribuer à ses travaux.
La situation objective, bien qu’explosive au moment de la « Grande Récession » de 2008 et après, demeurait complexe en raison de la faiblesse, voire de l’absence, d’organisations politiques de la classe ouvrière et de sa conscience politique. De nouvelles tensions et tensions se sont développées au sein du CIO. Une section, frustrée par la situation, a cherché des raccourcis, a capitulé de manière opportuniste face aux pressions identitaires et s’est détournée de la classe ouvrière organisée. Cela a finalement conduit à une nouvelle scission au sein du CIO.
Une fois de plus, Peter a démontré sa compréhension des tenants et aboutissants de cette évolution, reflétant une fois de plus les changements et la complexité de la situation objective. Dans les deux grandes divisions au sein du CIO, les opposants ont d’abord tenté d’esquiver les divergences politiques apparues. Ils se sont retranchés derrière des accusations d’un prétendu « régime » interne au parti, attaquant Peter pour une prétendue « intolérance », reprenant un argument maintes fois avancé par certains de nos opposants politiques et l’ennemi de classe. Le débat politique a en effet été intense au sein du CIO dès sa fondation, avec de nombreuses discussions sur, par exemple, la question nationale au Sri Lanka, la nature de la classe dirigeante indienne, les perspectives de l’Union européenne et de l’euro, la nature de classe de la Chine, la mondialisation, ainsi que l’abandon de la construction d’un parti révolutionnaire par certains membres écossais qui ont eux-mêmes fini par quitter l’internationale, la théorie économique marxiste et la tendance à la baisse du taux de profit, entre autres sujets.
Pour Peter, les échanges parfois vifs étaient politiques et non personnels. Nos adversaires de gauche comme de droite ne manqueront pas d’aborder ce sujet et d’autres similaires. Ce faisant, ils ne font que démontrer leur manque de substance, se réfugiant dans des questions secondaires pour éluder les questions politiques fondamentales. Il était conscient des accusations d’« intolérance » et d’« autoritaire » et y répondait parfois par écrit, soulignant que ces accusations n’étaient pas nouvelles. Les mêmes dénonciations furent adressées à Lénine et à d’autres socialistes révolutionnaires.

De nombreuses vies
Peter a vécu non pas une, mais plusieurs vies. Dévoué à la classe ouvrière et à la politique révolutionnaire, il avait néanmoins d’autres aspirations et une dimension profondément humaine. Leader révolutionnaire, Peter, fort de l’engagement, du temps et des sacrifices nécessaires au cours de décennies de lutte, fut le premier à reconnaître le soutien incroyable dont il avait besoin de sa famille. Ce soutien, il le reçut sans réserve, notamment de sa femme et camarade, Linda, elle-même membre dirigeante du Socialist Party, de ses filles Nancy et Katie, et du reste de leur famille.
Toujours soucieux du bien-être et de la situation personnelle de ceux qui combattaient, Peter était attaché à la vie humaine. Toujours désireux d’entrer en contact avec l’humanité sous toutes ses formes et doté d’une connaissance globale étonnante, il s’inspirait de toutes ses rencontres avec des personnes de tous horizons. Il appréciait les occasions sociales de toutes sortes, du théâtre aux galeries d’art en passant par les soirées au bar avec un groupe folklorique.
Peter et Linda ont accueilli chez eux des générations de socialistes révolutionnaires du monde entier. Leur générosité est reconnue et appréciée par les membres du CIO, qu’ils soient de longue date ou plus récents. L’autorité de Peter n’a jamais entravé sa capacité à s’engager avec camaraderie et amitié.
Sa passion pour le football et son Everton adoré était inébranlable. Le Match du Jour était toujours plus attendu lors des victoires d’Everton, surtout contre ses rivaux du Merseyside. En cas de défaite, il lançait « ce n’est qu’un jeu », tentant en vain de dissimuler son amère déception. Dans les années 1970 et 1980, il incitait ses collaborateurs à jouer au football à l’heure du déjeuner, ayant été un joueur utile à l’école, et ayant même été sélectionné pour jouer avec les garçons de Birkenhead à Goodison Park. Les matchs étaient parfois l’occasion de discussions et de débats politiques, souvent résolus dans la bonne humeur autour d’une bière au pub du coin. L’équipe du Militant a même affronté plusieurs clubs du Parti travailliste, dont le Parti travailliste parlementaire, et même des journalistes du Times. Dévoué à sa famille et fier de leurs exploits, il s’appuyait souvent sur cette expérience lors des discussions.
Toujours ouvert à la rencontre et au dialogue, y compris avec ceux qui ne sont pas impliqués dans la lutte, il affirmait souvent que les marxistes pouvaient apprendre quelque chose de la plupart des individus, quel que soit leur milieu. C’était pour lui un outil pour comprendre et évaluer la société sous tous ses aspects. Un jour, alors qu’il revenait d’une réunion à Barcelone, l’ancien député conservateur et ministre Jonathan Aitkin monta à bord de l’avion. Aitkin rangea sa mallette dans le compartiment à bagages, qui faillit lui tomber dessus. Peter, assis derrière lui, se leva d’un bond et s’empara de la mallette. À l’insu d’Aitkin, la blessure fut évitée grâce à un trotskiste de premier plan ! Peter, à l’époque, avait regretté ne pas avoir parlé à Aitkin, ne serait-ce que pour mieux comprendre la nature de nos adversaires. De même, en 2016, lors d’une visite aux studios de la BBC pour une discussion télévisée avec l’ancien journaliste de gauche Paul Mason, il s’entretint avec le conservateur de droite pro-Brexit, John Redwood, qui lui confia que si le Premier ministre David Cameron perdait le référendum sur l’UE, il était « fichu » !
Malheureusement, notre mouvement a perdu Peter, son dynamisme et son enthousiasme hors du commun. Cependant, sa contribution perdurera dans ce qu’il laisse derrière lui, tant sur le plan politique que théorique, notamment dans ses nombreux articles et ouvrages, qui constituent une ressource inestimable pour les générations futures qui entreront en lutte et découvriront les idées socialistes et marxistes capables de changer le monde. Son apport durable réside également dans le rôle décisif qu’il a joué pour accompagner le développement politique de ceux qui continueront à bâtir le CIO en son absence. Son héritage perdurera donc – un témoignage durable de la contribution unique de Peter Taaffe à la lutte de la classe ouvrière et au mouvement socialiste révolutionnaire.
Tony Saunois, Bob Labi, Hannah Sell, Niall Mulholland, TU Senan, Judy Beishon, Sean Figg