La population de la ville minière de Jerada, dans le nord-est du Maroc, est mobilisée depuis plus de trois mois contre la misère, la marginalisation économique et la répression d’Etat. Le 22 décembre dernier, c’est le décès de 2 frères, Houcine et Jedouane, dans un puits de charbon désaffecté, qui a transformé une colère latente en révolte ouverte. Dans les semaines qui ont suivi, deux autres jeunes sont morts dans des circonstances similaires.
Par Alternative Socialiste (CIO-Tunisie)
La région de Jerada, une des plus pauvres du pays, est sinistrée depuis la fin des années 1990 suite à la fermeture des mines de charbon. Cette situation désespérée a forcé des centaines d’anciens mineurs et jeunes chômeurs à risquer leur vie dans les « puits de la mort », en extrayant du charbon dans des conditions dangereuses, et en le revendant clandestinement pour une poignée de dirhams à des négociants profiteurs, communément appelés les « barons » – qui sont bien souvent aussi des politiciens locaux corrompus, ou des affairistes ayant des liens avec des multinationales énergétiques opérant dans la région.
Fournissant autrefois plus de la moitié des besoins en énergie du pays, les habitants de Jerada se plaignent aujourd’hui de factures d’électricité et d’eau totalement inabordables, du chômage de masse et du mépris des autorités monarchiques.
Après une première vague de mobilisation impliquant des manifestations quotidiennes et des actions de grève, l’élite dirigeante, craignant que la mobilisation s’étale au-delà de son épicentre et fasse des émules dans le reste du Maroc, a proclamé un « plan d’urgence » pour la ville en février.
Mais la population locale a vite compris que les promesses faites par le gouvernement n’étaient que de la poudre aux yeux visant à étouffer leurs revendications plutôt qu’à les satisfaire. Depuis la reprise des mobilisations fin février, la réponse du régime s’est résumée à la répression policière brutale, y compris l’arrestation massive de militants, ciblant en particulier les dirigeants du mouvement. Plus de 300 personnes ont été détenues depuis le début des mobilisations à Jerada, dont au moins 17 mineurs.
Suite à une grève générale bien suivie dans la ville le 12 mars, le ministère de l’Intérieur a ordonné l’interdiction de toute manifestation locale à partir du lendemain. Des vidéos postées sur les réseaux sociaux ont montré depuis des camions de police fonçant sur la foule de manifestants qui bravaient cette interdiction arbitraire. La majorité des blessés par cette violence policière ont dû se soigner chez eux, évitant l’hôpital par peur d’être arrêtés.
A présent, la ville se trouve de fait en état de siège, avec une présence policière à tous les coins de rue. Malgré cela, radicalisée davantage par la répression, la population locale, comme celle des villages alentour, continue à chercher à se mobiliser ; des appels à une nouvelle grève générale et à une marche vers Rabat, la capitale du Maroc, sont évoqués.
Pendant ce temps, des centaines de protestataires croupissent encore dans les prisons du royaume pour leur participation au mouvement social de l’an dernier à El-Hoceima, dans la région voisine du Rif. Ce qui se passe à Jerada n’est que le dernier épisode en date de mouvements récurrents exprimant des revendications similaires à travers le pays: le droit au travail des jeunes, à des infrastructures publiques décentes, à une vie digne. En octobre dernier, des « manifestations de la soif » contre les coupures d’eau avaient aussi éclaté à Zagora, dans le Sud, en raison de la surexploitation des nappes phréatiques au profit des gros agriculteurs. Le régime avait également répondu à ce mouvement par la force, et quadrillé la ville.
La lutte en cours à Jerada a pris le nom de « Hirak de Jerada » (« mouvement de Jerada ») : une référence directe aux manifestations d’El-Hoceima, illustrant le sentiment largement partagé d’une convergence d’intérêts entre ces luttes.
L’enjeu est de matérialiser ce sentiment par la construction d’une lutte d’ensemble. C’est en faisant cause commune que ces mouvements ont une chance d’avancer et de rompre la politique d’encerclement et d’isolement pratiquée par le régime. Certaines organisations associatives et syndicales ont à juste titre fait un appel pour une mobilisation nationale en solidarité avec le « Hirak de Jerada » le 2 avril. Cet appel pourrait servir d’opportunité pour chercher à étendre la lutte, et à mobiliser le mouvement ouvrier et la jeunesse partout dans le pays sur la base d’un cahier de revendications plus large, touchant au cœur des politiques antisociales du régime. Une grève de 24h, en solidarité avec Jerada et pour la libération des prisonniers politiques, mais intégrant aussi des revendications claires pour l’emploi, le rehaussement des salaires, la fin des privatisations et des attaques sur les subventions,…serait un pas important en vue de construire une telle dynamique.
Les revendications des habitants de Jerada ont en effet une portée nationale. Car c’est uniquement en s’attaquant au cœur du pouvoir économique et politique dans le pays que les revendications des localités marginalisées peuvent trouver une satisfaction durable, et que la demande d’une « alternative économique » brandis par les manifestants de Jerada peut trouver tout son sens. Pourquoi les chômeurs, les pauvres et les travailleurs devraient-ils accepter de s’enfoncer dans la misère et de risquer leur vie pour nourrir leurs familles, alors que le ‘Makhzen’, ainsi qu’une poignée d’entreprises et d’affairistes mafieux qui lui sont proches, s’enrichissent grassement à leurs dépens ?
Une lutte de masse impliquant les travailleurs et la jeunesse de tout le pays est nécessaire pour exproprier la monarchie et les grosses entreprises, marocaines et étrangères, qui contrôlent et pillent l’économie du pays, et pour réorganiser la vie économique sur la base des besoins sociaux de la majorité de la population. Cette alternative, c’est celle du socialisme, que les partisans du CIO défendent face à la misère, aux injustices et à la barbarie du système capitaliste mondial.
Le CIO affirme sa solidarité complète avec la lutte en cours à Jerada. Nous demandons :
- L’arrêt de la répression étatique et de la criminalisation des mouvements sociaux, à Jerada comme dans le reste du Maroc ; la libération immédiate de tous les prisonniers politiques et la fin des procédures pénales à leur égard
- Le développement de comités d’action locaux afin de coordonner démocratiquement la lutte par la base, et d’organiser la défense du mouvement face à la répression policière
- La préparation d’une grève générale de 24h dans tout le Maroc : en solidarité avec Jerada en lutte, pour l’emploi, contre la répression des mouvements sociaux, et contre les politiques néo-libérales du gouvernement
- Des emplois publics, décents et bien rémunérés pour tous. Un vaste programme de construction et rénovation des infrastructures dans les régions marginalisées, financé par l’Etat, et coordonné démocratiquement par les populations concernées
- Pour des services publics de qualité, accessibles à tous et toutes – arrêt immédiat des privatisations et maintien de toutes les subventions sur les produits de base
- Nationalisation, sous contrôle démocratique des travailleurs et de la population, des secteurs-clés de l’économie, en vue d’une planification des ressources répondant aux besoins sociaux
- Soutien aux travailleurs et jeunes en lutte au Maroc, en Tunisie, en Algérie…pour une fédération socialiste, démocratique et volontaire des peuples du Maghreb.