L’Ukraine : un pays secoué par les tensions inter-impérialistes

Après la « victoire » dans les présidentielles de Ianoukovitch (candidat pro-russe) fin novembre, une crise profonde s’est développée en Ukraine. A Kiev entre 200.000 et 500.000 personnes ont manifesté pendant plusieurs jours contre la fraude des élections et pour soutenir Ioutchenko (candidat pro-occidentale). D’un autre côté des milliers de supporters de Ianoukovitch se sont mobilisés aussi. Tout le pays était profondément polarisé et la division entre l’Ouest et l’Est (très industrialisé, avec une minorité russe forte) s’est agrandie. Quels sont les enjeux derrière cette crise qui a amené le danger des conflits ethniques et même la possibilité d’une guerre civile ?

Article paru dans l’Egalité n°111

Depuis l’effondrement de l’URSS, des nombreux conflits nationaux et tensions ethniques se sont produits dans les anciennes républiques soviétiques. La guerre barbare menée par l’armée russe contre la Tchétchénie en est illustration. Après la restauration du capitalisme dans toute l’ex-URSS, après la transformation des anciens apparatchiks en agents des capitalistes (comme Poutine) ou en capitalistes, l’impérialisme russe tente de maintenir le contrôle soit économique soit militaire sur la région. En même temps, les pays impérialistes occidentaux, tout d’abord les Etats-Unis, ont commencé la conquête des anciens pays staliniens et des anciennes républiques soviétiques : élargissement à l’Est de l’OTAN, nombre grandissant des bases militaires de l’armée américaine en Asie centrale, élargissement de l’Union européenne à l’Est, installation des nombreuses multinationales dans ces pays pour exploiter une main d’œuvre qualifiée et bon marché…

La bataille pour le contrôle des marchés, pour le contrôle des pays stratégiquement importants, pour l’accès libre aux ressources riches de la région est en plein cour entre l’impérialisme russe, l’impérialisme américain et les pays dominants de l’UE. C’est ce champ de haute tension qui est à l’origine de la crise en Ukraine, un des pays européens le plus grand et le plus peuplé (48 millions habitants), avec une grande importance géostratégique dans une région riche aux ressources de pétrole, de gaz et aux autres ressources naturelles.

Ni Ianoukovitch ni Ioutchenko

Le conflit entre Ianoukovitch et Ioutchenko est l’expression directe des divergences entre deux fractions de la bourgeoisie sur la question : « Faut-il s’allier à l’impérialisme russe pour maintenir et agrandir les profits, pour défendre les intérêts des capitalistes ou aux pays impérialistes occidentaux ? » Evidemment, les deux candidats ne la posaient pas ouvertement. Ils ont joué sur les craintes et les mécontentements des masses. Ioutchenko s’est appuyé sur la colère des manifestants notamment à Kiev contre la fraude des élections, contre les méthodes de la classe dirigeante. Ianoukovitch a obtenu le soutien des masses à l’Est du pays, fortement industrialisé et plus pauvre que l’Ouest, en se présentant comme défendeur des emplois dans l’industrie et en jouant sur les craintes de la minorité russe d’être discriminée sous Ioutchenko. Il leur a proposé d’introduire le russe comme deuxième langue officielle. Dans la campagne électorale qui était extrêmement polarisée, et les USA et la Russie sont intervenus ouvertement.

L’ambassade américaine a publiquement soutenu Ioutchenko et Poutine s’est déplacé à Kiev afin de faire campagne pour Ioutchenko, mais aussi pour souligner qui est le chef au niveau économique : les capitalistes russes contrôlent presque toute l’industrie ukrainienne. Ces interventions accompagnées d’une propagande énorme des deux côtés dans les médias avant et après les présidentielles ont aggravé les tensions entre les deux camps. Car ni les USA ni l’Union européenne ni la Russie voulaient risquer une guerre civile et une division du pays, les négociations ont été mises en place et ont résulté en des nouvelles élections. Fin décembre, celles-ci ont été remportées par Ioutchenko. Pour les travailleurs et les jeunes en Ukraine ceci ne signifie nullement un pas en avant. Au contraire : Ioutchenko représente une politique ultra libérale ce qu’il a déjà prouvé auparavant. En tant que chef de la Banque centrale et Premier ministre dans les années 90, il a massivement attaqué les conditions de vie et de travail de la classe ouvrière. Avec résultat que l’Ukraine est un des pays les plus pauvres de l’Europe de l’Est avec un PIB par habitant de 970 $ (Banque mondiale, 2003). A la suite des événements de novembre et décembre, Ioutchenko et la fraction de la classe dirigeante qu’il représente sont encore plus dépendants de l’impérialisme américain et ne vont pas hésiter à agir en faveur des intérêts des USA et des multinationales occidentales.

Pour un parti des travailleurs en Ukraine

Les militants du Comité pour une Internationale ouvrière (CIO) en Ukraine ont appelé les travailleurs et les jeunes à ne voter pour aucun des deux candidats. Ils ont mis en avant que les travailleurs et les jeunes doivent lutter contre la politique néo-libérale des deux courants de la bourgeoisie ukrainienne. Ils ont également argumenté pour la construction d’un véritable parti des travailleurs qui pourra organiser et mobiliser la classe ouvrière, forte en nombre mais faible politiquement. Un tel parti se battra contre l’exploitation capitaliste du pays par qui que ce soit et pour une société socialiste. En même temps, il se battra pour les droits de toutes les minorités en Ukraine, pour la libre expression de leur langue et de leur culture. Les régions comme la Crimée ou des parties de l’Ukraine de l’Ouest auront le droit d’autodétermination si elles le souhaitent et il leur sera proposé de faire partie d’une fédération démocratique socialiste. C’est ainsi que l’Ukraine deviendra réellement indépendante.

Par Olaf Van Aken