Dans la foulée des révoltes de la jeunesse et des travailleurs qui se déroulent de par le monde, du Népal au Pérou, en passant par le Maroc ou l’État d’Assam en Inde, il n’aura fallu que 18 jours de mobilisation à Madagascar pour renverser le pouvoir. Un pouvoir corrompu, au service des plus riches, des entreprises et des multinationales – 5 jours pour dégager le gouvernement, 13 jours supplémentaires pour que le président franco-malgache Andry Rajoelina fuie le pays. Mais sans programme socialiste et de parti pour le porter, l’armée en a profité pour prendre le pouvoir.
Madagascar, pillée, l’un des pays les plus pauvres et pourtant si riche
Le taux d’extrême pauvreté (moins de 3 dollars/jour) était de 69,2 % en 2021. En 2022, le taux de pauvreté du pays atteignait 75 %. Selon un rapport de La Banque mondiale d’avril de cette année, il serait monté à 80 % en 2024. L’inflation globale est passée de 6,9 % en juin 2022 à 11,3 % en juin 2023 avant de passer à environ 8,5 % en 2024-2025. L’une des conséquences de cette pauvreté est que Madagascar est devenue une destination d’un ignoble « tourisme sexuel », impliquant des mineurs, comme sur l’île de Nosy Be.
Si le taux de croissance reste relativement élevé – 4,7 % en 2024-2025, avec un PIB de 17,42 milliards de dollars en 2024 – le développement économique ne profite pas pour l’essentiel aux Malgaches. Le pillage des ressources naturelles malgaches par les multinationales, notamment les ressources minières et le bois précieux, est généralisé. Les zones franches sont également des sources d’énormes profits pour les entreprises, sur le dos des salarié-es surexploité-es, sous-payé-es et sans aucun droit.
Il faut dire que le pays est riche de ses ressources naturelles qui servent à l’exportation : riz de luxe, café, cacao, poivre, tapioca, girofle, bois précieux, pêche (en particulier de la crevette), pierres précieuses ou semi-précieuses, uranium, nickel, cobalt, chromite, ilménite, or, bauxite et même pétrole, etc., sans parler de la biodiversité unique au monde.
Par exemple, pour mettre en exergue l’emprise de l’impérialisme capitaliste sur Madagascar, le nickel et le cobalt de l’est du pays sont exploités par une coentreprise formée entre Sumitomo (Japon) et Komir (Corée du Sud). L’ilménite (principal minerai de titane), présente dans le sud de l’île (Fort-Dauphin), est exploitée par QMM (QIT Madagascar Minerals), une filiale du groupe anglo-australien Rio Tinto. Concernant le pétrole, TotalEnergies est impliquée dans la distribution et la logistique de l’exploitation de cette ressource.
Les raisons immédiates et les moyens de la colère malgache
Le 25 septembre, des manifestations éclatent dans le pays à la suite des coupures d’eau et d’électricité récurrentes, entrainant la jeunesse pauvre et sans avenir dans la lutte, la Génération Z (Gen Z). Une grande partie de la population doit vivre avec ces pénuries régulières d’eau et d’électricité dans un pays particulièrement corrompu, se classant 140e sur 180. La colère est immense alors que les élites vivent dans le luxe.
La capitale Antananarivo est touchée mais aussi des villes comme Tamatavea, Majunga, Tuléar ou Antsiranana (Diego Suarez). Ces manifestations prennent un caractère d’émeutes, avec des centres commerciaux pillés et incendiés. Elles sont durement réprimées, faisant de nombreuses victimes dont 22 morts, puisque les forces de répression tirent à balles réelles sur la foule.
Dès le 29 septembre, les manifestants exigent la démission du président Andry Rajoelina. Le 1er octobre, il tente à la fois de faire diversion en limogeant le gouvernement mais aussi de montrer qu’il entend accroitre la répression en nommant 4 militaires aux postes-clefs du nouveau gouvernement : le Premier Ministre et les ministre des Armées, de la Sécurité publique et de la gendarmerie. Mais ce faisant, Andry Rajoelina s’oppose personnellement à la mobilisation, sans l’intermédiaire de fusibles à faire sauter, le cas échéant.
La réponse de la rue est claire, en lançant un appel à la grève générale en riposte le jour même et en donnant rendez-vous au centre de la capitale.
Le mouvement de révolte continue donc pour obtenir le départ du président et s’amplifie le 9 octobre avec l’entrée dans le combat de la principale plateforme syndicale : « Solidarité syndicale de Madagascar ». À son tour, elle réclame la démission du président Rajoelina en appelant à la grève générale, qui est un véritable succès.
Dès le 11 octobre, des gradés de l’armée appellent au cours d’une conférence de presse à rejoindre les manifestants pour les protéger de la répression policière. L’état-major, quant à lui, appelle au calme. L’armée, corps central du pouvoir d’État se désolidarise donc du pouvoir politique à ce moment, révélant les fissures au sein de l’État bourgeois. Mais aussi, dès lors, la possibilité qu’elle prenne le pouvoir. Le temps de la présidence Rajoelina est compté, d’autant que ce mouvement de défiance vis-à-vis du pouvoir politique est rejoint par la gendarmerie dès le 12 octobre.
Le 14 octobre 2025, Le président en exil Andry Rajoelina publie un décret dissolvant l’Assemblée nationale. L’Assemblée nationale refuse de s’y conformer et vote sa destitution, par 130 voix sur 163, soit plus que la majorité des deux tiers requise. La Haute Cour constitutionnelle, ayant « constaté la vacance » du poste de président, invite « l’autorité militaire compétente incarnée par le colonel Michaël Randrianirina à exercer les fonctions de chef de l’État ».
Qui était Rajoelina ?
C’est donc ce 12 octobre, que le Président Rajoelina décide de fuir le pays, avec l’aide de l’État français – vieille habitude de l’État néocolonial bourgeois français d’aider les dictateurs et présidents déchus. Le parcours d’Andy Rajoelina se sera donc fini comme il avait commencé en 2009.
Andry Rajoelina était un chef d’entreprise, de l’événementiel puis de la publicité. En 2007, il se fait élire maire d’Antananarivo et entre en confrontation avec le pouvoir de l’époque. Il a le profil de l’aventurier en politique gouvernant sur le mode du bonapartisme, autoritaire, se plaçant soi-disant au-dessus de la mêlée.
En 2009, sur des questions de coupures d’eau et d’électricité (déjà !), il appelle à la mobilisation. Cette mobilisation fera chuter le président d’alors, Marc Ravalomanana, avec l’aide de l’armée malgache (et particulièrement de la CAPSAT, une unité d’élite de l’armée influente au sein de l’appareil sécuritaire du pays) et de l’État français. Lequel obtiendra en retour que l’énergie, télécommunications, banques, et surtout extraction minière et pétrolière soient réorganisées au profit d’entreprises et de capitalistes français (Total, Bolloré).
Andry Rajoelina devient en 2009 le Président de la Haute Autorité de transition. Cette transition dura juqu’à l’élection présidentielle de janvier 2014, à laquelle il ne peut se présenter. Il revient au pouvoir en 2019, au profit de nouvelles élections présidentielles, puis de nouveau en 2023. Les mandats de Rajoelina seront marqués par son autoritarisme, la remise en cause de la démocratie, l’emprisonnement abusive d’opposants, l’accroissement de la pauvreté, l’inaction, malgré les alertes, face à la famine de 2021, des prises de position aberrantes lors de la pandémie de COVID-19…
Une révolte qui a fait chuter le régime, mais pas de révolution

L’armée, avec le soutien pouvoir législatif et la Cour constitutionnelle, a donc lâché le pouvoir politique en place et l’a pris entre ses mains pour sauver l’essentiel : le système d’exploitation capitaliste et le pouvoir de la bourgeoisie malgache. Le colonel Michaël Randrianirina, chef de la CAPSAT, est donc nommé Président de la Refondation la République le 17 octobre. Ce dernier nomme Herintsalama Rajaonarivelo, comme Premier Ministre, un civil, technocrate, lui aussi banquier et chef d’entreprise, sur proposition de l’Assemblée. Lui aussi promet une « rupture » mais il ressemble plus à un Rajoelina bis qu’autre chose.
La Gen Z, à l’origine de la révolte populaire, réclame des garanties réelles pour le respect de ses aspirations. Cependant, l’histoire dans le pays et dans le monde, a montré que l’armée, à la tête d’États capitalistes, a plutôt servi à écraser la lutte des classes, sauf cas exceptionnel au Burkina Faso sous la brève présidence du militaire Thomas Sankara, pour la bonne raison qu’il était militant socialiste/communiste et révolutionnaire, et a rarement elle a rendu le pouvoir pacifiquement.
La jeunesse et la classe ouvrière doivent donc s’organiser s’ils ne veulent pas se voir spolier de leur révolte et voir leurs revendications satisfaites. Cette révolte a fait chuter le régime, mais il a manqué un programme socialiste et révolutionnaire, ainsi qu’un parti qui les organise et pour le porter, pour que la révolte se transforme en révolution. Pour en finir avec la corruption et la pauvreté, pour que les richesses bénéficient à la population et non aux capitalistes et aux multinationales impérialistes, un gouvernement socialiste aura pour programme et pour tâche de nationaliser/exproprier les plus grands secteurs de l’économie (énergie et eau, industrie, exploitation minière, banques pour annuler la dette…) sans compensation pour ceux qui volent les richesses et exploitent les travailleurs, en lien avec les syndicats et organisations de travailleurs pour que ces derniers contrôlent l’économie et les richesses de manière démocratique, avec des responsables et élus sans privilèges. C’est comme cela que Madagascar pourra être libre, comme le revendiquent des portes-paroles du mouvement Gen Z.
Un espoir qui met l’Afrique en ébullition
Il n’en demeure pas moins que ce que la Gen Z et la classe ouvrière malgache ont fait, c’est démontrer que la lutte de masse pouvait mettre à bas les régimes capitalistes et que ceux-ci ne sont pas aussi forts qu’ils n’y paraissent. La jeunesse et la classe ouvrière est partout en ébullition, et l’exemple malgache est dans toutes les têtes : en Côte d’Ivoire, des manifestations importantes ont eu lieu le 11 octobre contre un 4e mandat du président Alassane Ouattara, malgré la répression (237 arrestations). D’importantes manifestations ont lieu au Cameroun après que Paul Biya, âgé de 92 ans, s’est auto-proclamé vainqueur des récentes élections pour un huitième mandat, après 43 ans au pouvoir ! La jeunesse kényane, en révolte depuis un an, a repris les manifestations le 16 octobre à Nairobi pour rendre hommage à Raila Odinga, figure importante de l’opposition, dont le cercueil a été rapatrié aujourd’hui.
Au Nigeria, où la section-sœur de la Gauche révolutionnaire, le Democratic Socialist Movement, se bat avec courage pour le socialisme, en particulier actuellement avec la campagne contre la répression du mouvement #EndBadGovernance et les droits démocratiques, les étudiants et les enseignants ont appelé à une grève nationale de 15 jours contre la dégradation des conditions d’études (salaires non payés, des bâtiments qui tombent en ruine, des droits restreints, des budgets toujours plus réduits, etc.). La Confédération syndicale nationale (NLC) menace de grève générale si le gouvernement ne satisfait pas les revendications. En même temps, le mouvement « Take-it-back », qui appelait à imiter les Malgaches, appelait à des manifestations partout le 17 octobre et le syndicat étudiant NANS à une journée nationale de grève et manifestation le 20 octobre pour la libération du leader d’un mouvement indépendantiste du peuple Igbo du Biafra.
En Afrique comme ailleurs, le feu révolutionnaire est dans la plaine, et l’embrasement se généralise face à un capitalisme en crise structurelle qui nous mène toutes et tous dans le mur. Luttons pour le socialisme maintenant !
Par Yann Venier
