Le peuple argentin nous montre la voie : Résistance !

Les raisons de la colère

L’Argentine vit une récession depuis 4 ans. La crise économique mondiale actuelle l’a touchée de plein fouet. Mais l’importance de cette crise, qui a mené le pays à la faillite complète, est à rechercher dans les différentes politiques économiques et sociales menées par les différents gouvernement depuis 1976 au moins : politique de surendettement puis de privatisation. Une véritable politique de détournement des fonds publics de la part de la classe dirigeante et des capitalistes argentins et étrangers.

Cette politique, menée sur près de trente ans, fut soutenue et organisée par le FMI, la Banque fédérale américaine, les institutions financières et industrielles internationales et l’administration américaine, qui voyait là un moyen d’accroître son influence sur un pays difficilement contrôlable tant politiquement qu’économiquement durant la période de Péron. Pour la dictature militaire cette aide financière était une véritable manne sans laquelle le régime n’aurait pu se maintenir ni mener sa politique répressive contre le mouvement ouvrier et social.

La dictature des généraux entre 1976 et 1984 mena donc, d’une part, une politique d’endettement public et privé. D’autre part, la politique d’évasion de capitaux devint un véritable sport national des capitalistes argentins, qui ont placé dans les pays capitalistes avancés et les paradis fiscaux plus d’argent qu’il n’en a été emprunté dans le même temps.

Durant les années de dictature la dette s’accrut considérablement : +5,14% en 1976, +16,9% en 1977, +29,1% en 1978, +52,32% en 1979, +42,23% en 1980, +31,76% en 1981 etc.

Après la dictature, le gouvernement Alfonsin continua la politique de dette.

Il décida de faire racheter la dette privée par l’Etat. Parmi ces entreprises bénéficiaires on compte Renault Argentine, Mercedes-Benz Argentine, Ford Motor Argentine, la Chase Manhattan Bank, la Deutsche Bank etc. Toutes ces firmes avaient contracté des dettes envers leur maison-mère. Alfonsin faisait ainsi supporter le remboursement des dettes privées datant des années de dictature aux travailleurs argentins. Il n’est d’ailleurs pas impossible que ces entreprises créèrent de toute pièce des dettes par simple jeu d’écriture !

Au début des années 90, le gouvernement du péroniste Carlos Menem commença une politique sans précédent de privatisation des entreprises publiques, en prenant le prétexte de leur surendettement. Bien sûr, l’Etat conservera les créances des entreprises. Celles-ci qui seront sous-évaluées par des organismes d’expertise financière étrangère, comme la banque américaine Merril-Lynch qui, par exemple, réduira délibérément dans son rapport de 30% les réserves de pétrole de la compagnie pétrolière publique Yacimientos Petroliferos Fiscales. Ces réserves manquantes réapparaîtront subitement après la vente à l’entreprise espagnol Repsol.

Dans le même temps le gouvernement décida de la dollarisation du peso : un peso argentin vaut un dollar. Cette mesure interdit au gouvernement argentin d’émettre de la monnaie. Les seuls moyens de financement furent l’augmentation de la dette par de nouveaux emprunts, accentuant à la fois la dépendance de l’économie argentine envers les groupes financiers et industriels étrangers et le manque de compétitivité des produits argentins. Actuellement plus de 80% de la dette argentine appartiennent à des créanciers privés et Il est estimé actuellement que 100 milliards de pesos argentins sont placés dans des places offshore ou circulent tous simplement en dehors du pays suite à la fuite des capitaux.

La dette a atteint 147 milliards de dollars fin 2000, soit plus de 50% de PIB. Le paiement de l’intérêt de la dette représente 22% des dépenses publiques. Entre 1976 et aujourd’hui la dette a été multipliée par 20 et les contribuables argentins ont remboursé 25 fois la dette de 1976, soit 200 milliards de dollars. Des pans entiers de l’industrie sont laissés à l’abandon, le taux de chômage atteint 18,3%. Le sous-emploi dépasse 14%. 15 millions d’Argentins sur les 36 millions que compte le pays vivent en dessous du seuil de pauvreté.

De la crise économique à la crise politique

La situation ne pouvait pas continuer ainsi. Pourtant, lorsque le FMI refusa de payer la dernière tranche d’aide de 1,264 milliards de dollars au gouvernement de De La Rua parce qu’il n’avait pas réussi à tenir ses engagements, un déficit budgétaire nul, le ministre des Finances, Cavallo, décida d’accentuer les coupes sombres dans le budget public, alors que déjà de nombreux fonctionnaires n’étaient plus payés depuis des mois. La colère s’exprima par la 8ème grève générale en un an.

Ce fut le début de la révolte du peuple argentin : émeutes de la faim, manifestations et blocages de route dans tout le pays. La répression ne se fit pas attendre ; on dénombra une trentaine de morts et l’état d’urgence fut institué aussitôt vaincu par une manifestation immense à Buenos Aires. Le mouvement permit de faire tomber d’abord Cavallo puis le gouvernement entier et le président radical De La Rua, remplacé, pour 7 jours seulement, par le péroniste Adolpho Rodriguez Saa, démissionné à la fois par la rue et par son propre parti qui refusa de le soutenir. C’est de nouveau un péroniste – Edouardo Duhalde – qui a été nommé.

Duhalde, qui a mis en place un gouvernement d’union nationale, avec en son sein, Alfonsin, l’un des responsables de la situation actuelle vient de décider de rompre avec la dollarisation du peso et de dévaluer la monnaie. Cette mesure ne peut calmer les travailleurs, les chômeurs et tous les pauvres du pays : en effet une dévaluation va entraîner une baisse du pouvoir d’achat et une inflation. Déjà certains commerçants ont augmenté leurs prix de 40% ! Cette mesure est accompagnée d’autres, tout aussi impopulaires, comme le maintien des restrictions de retraits bancaires.

Combien de temps tiendra ce gouvernement qui n’a rien à proposer aux travailleurs, aux chômeurs, à toutes les victimes du capitalisme en Argentine ? La question se pose d’autant que les manifestations continuent réclamant de nouvelles élections. Duhalde n’est pas plus populaire que ces prédécesseurs. Tous les politiciens sont corrompus et les Argentins n’en veulent plus ! D’ailleurs Duhalde commence à mettre en garde les Argentins contre un éventuel « bain de sang » et contre « l’anarchie » !

« El puebo unido jamas sera vencido ! »
(« le peuple uni ne sera jamais vaincu ! »)

Si les Argentins rejettent massivement la vieille classe politique corrompue jusqu’à la moelle, l’alternative tarde à arriver.

D’un point de vue marxiste, il y a en Argentine beaucoup d’éléments objectifs d’une situation révolutionnaire : crise économique et sociale inextricables, crise de confiance du peuple envers la classe dirigeante totalement discréditée, divisée et hésitante, et surtout incapable de proposer une solution, et enfin une volonté de la part de larges couches de la population d’en découdre. Mais si ces éléments objectifs sont présents, les éléments subjectifs principaux sont encore absents : la compréhension par les masses laborieuses de la nécessité d’en finir avec le capitalisme et pas simplement de virer tel ou tel gouvernement, ainsi que la présence d’un parti révolutionnaire, défendant le socialisme comme seule alternative concrète au système.

Les directions syndicales ont essayé de jouer la carte de la tempérance et elles sont dépassées par leurs bases. C’est ainsi, par exemple, que le 27 décembre, à La Plata, une manifestation de 2000 fonctionnaires, principalement des professeurs se rendit au Ministère du Travail. Une délégation fut reçue. Les principales revendications des manifestants ne furent pas satisfaites, comme le paiement des jours de congés. La direction du ATE – principal syndicat de fonctionnaire – proposa de réunir des assemblées délocalisées dans les jours suivants. Les manifestants refusèrent et décidèrent de marcher vers le Palais du Gouvernement de la province de Buenos Aires. Le gouverneur de la province accepta immédiatement de débloquer 500.000 dollars pour payer les jours de congés. Certaines manifestations sont autant contre les différents gouvernements que contre les leaders syndicaux bureaucrates.

Autour de la place de Mai, au mois de décembre se sont déroulées de grandes actions. Plusieurs fois lors des grandes manifestations anti-gouvernementales, la police a tenté de reprendre la place mais les travailleurs, les jeunes, tout le peuple argentin a résisté des heures entières et est sorti victorieux à chaque fois. Malgré les morts et les blessés, la bravoure et l’énergie des travailleurs argentins montrent à quel point ils en ont assez de ces classes dirigeantes corrompues et de leur système capitaliste.

Les organisations de gauche et d’extrême-gauche bien que présentes, ne jouent pas de rôle réellement dirigeant dans cette révolte. Elles ne sont pas réellement à l’offensive. Par exemple, sur la constitution d’un nouveau pouvoir, Izquierda Unida, et en son sein le MST (extrême-gauche), ne vont pas au delà de la revendication d’exiger du Congrès qu’il organise, sous un mois, l’élection d’une assemblée constituante (voir leurs tracts sur leur site : www.mst.org.ar). Si une assemblée unique, concentrant les pouvoirs exécutifs et législatifs, serait un pas en avant démocratique et correspond certainement à l’aspiration des masses, cela ne suffit pas. Pour appliquer toute une série de mesures sociales (nationalisation des banques, refus du paiement de la dette, etc.), il faut que les comités qui ont commencé à se développer dans certains endroits soient étendus à tout le pays, notamment à l’industrie et n’hésitent pas à se donner les moyens de prendre des décisions.

La classe ouvrière argentine seule a débuté spontanément le mouvement de révolte. Mais pour réellement sortir le pays de sa crise, de la misère et des injustices, elle a besoin un programme révolutionnaire socialiste. Si cette perspective peut sembler encore très lointaine, le peuple argentin voit peu à peu que c’est en fait tout un système qui était en place et que tout ce qui arrive est dû non à la seule personnalité des dirigeants mais au système capitaliste en lui même. Pour ne pas retomber dans les ornières capitalistes des classes dirigeantes, pour ne pas être désarmée face à une éventuelle répression, la classe ouvrière doit continuer avec la même audace et le même héroïsme que pour la défense de la place de Mai mais en s’organisant, en mettant en place des comités de lutte dans les entreprises, les services publics et les quartier se fédérant démocratiquement au niveau local, régional et national. Un gouvernement de toutes les classes opprimées, ouvrier et populaire, devrait rompre avec le capitalisme, seule voie possible pour en finir avec la misère et le chômage. Ni le FMI, ni les multinationales ne voudront le refus du paiement de la dette. Ce gouvernement aurait à mettre en place un programme d’urgence en refusant de payer la dette extérieure et en organisant l’expropriation des banques et des multinationales, leur nationalisation sous le contrôle et la direction des travailleurs au moyen de comités démocratiques et en lien avec les assemblées de quartier.

Les travailleurs argentins sont à la croisée des chemins. Il est de notre devoir, au sein de nos syndicats et de nos organisations de leur apporter notre soutien.

Par Yann Venier et Alex Rouillard