La France insoumise a été ces deux dernières années la force la plus visible face à Macron. Forte des 7 millions d’électeurs pour Mélenchon en 2017, la FI avait acquis une certaine audience, et les manifestations massives appelées par le mouvement ou soutenues par celui-ci (comme la manif « fête à Macron » du 5 mai 2018) ont montré le potentiel qui existe et le rôle que peut jouer une nouvelle force politique défendant les intérêts des travailleurs et travailleuses, des jeunes et de la majorité de la population. Mais le score fait aux européennes déçoit, car la FI passe de 2,5 millions d’électeurs aux législatives de 2017 à 1,4 à cette élection. Alors quelles leçons ? Que proposer ? Le potentiel que représente la FI est-il encore suffisant pour rebondir ?
La campagne présidentielle de Mélenchon avait permis de s’adresser à des couches larges dans la population, popularisant un programme qui rejette le capitalisme. En ce sens, la création de la France insoumise a été un vrai pas en avant, que beaucoup de forces qui veulent (ou disent vouloir) en finir avec le capitalisme auraient pu aider à faire car le cadre était entièrement ouvert. Même si on trouve d’importantes limites au programme « l’avenir en commun » ou que l’on peut reprocher au « personnage » Mélenchon des exagérations, (bien que cela est secondaire), l’existence de la FI permet la défense des intérêts du plus grand nombre face à ceux des capitalistes incarnés par Macron, la droite, le PS et le FN.
Nous participons en tant que Gauche révolutionnaire à l’activité locale de la France insoumise quand cela est possible. Lors de notre congrès fin mars 2019, nous écrivions : « la France insoumise est toujours la principale opposition à Macron mais risque de perdre son potentiel ». Les résultats des Européennes ont fait éclater la crise au sein de la FI.
Fonctionnement démocratique
De plus en plus, le mouvement a montré des difficultés de fonctionnement, des décisions tombant d’en-haut, les insoumis étant sans cadre pour exprimer leur accord ou désaccord autre que leur groupe local, lesquels se sont réduits en nombre et en taille. Le groupe parlementaire a une activité très importante mais cela ne compense pas les besoins de discussion à tous les niveaux et la nécessité de transparence. Des responsables nationaux existent sur toute une série de thématiques et questions techniques, mais qui les a nommé, comment tout cela fonctionne-t-il, mystère…
Ce fonctionnement n’est pas adapté aux besoins d’une force de lutte contre la politique de Macron. Et quand on veut changer la société, la rendre plus démocratique, que toutes et tous s’impliquent, cela doit s’appliquer à notre propre mouvement.
Les groupes d’appui, devenus groupes d’action, ont réuni les militants insoumis et ont attiré du monde. Mais ils n’ont jamais pu devenir des cadres de structuration de notre militantisme. Ils ont été dépourvus du pouvoir de décider collectivement, car les décisions les plus importantes et les positionnements politiques tombent d’en-haut.
En réalité, le mouvement, sans structure, n’a jamais été géré « horizontalement », et même de fait, il est très vertical, dépendant finalement des déclarations de figures nationales. Ceci ne permet pas de construire un mouvement suffisamment fort. A sa manière, le mouvement des gilets jaunes a eu affaire au même problème, le rendant incapable de prendre des décisions centrales communes. De plus, n’ayant aucune structure, la FI n’a aucune réalité régionale ou départementale ce qui empêche d’être efficace sur bien des sujets. Entre la base et le sommet il y a un vide qui fait que le mouvement reste très faible.
Les campagnes sont proposées sans prise en compte de la situation réelle et de fait à contre-temps. Alors que beaucoup d’insoumis ont participé au mouvement des gilets jaunes, aucune discussion collective n’a été impulsée, ni même aucune proposition de base revendicative qui aurait permis au mouvement de se renforcer. Alors que la Convention de novembre 2017 avait décidé d’une campagne sur la pauvreté, celle de Bordeaux de décembre 2018, en plein mouvement des Gilets jaunes, n’en n’a pas rediscuté alors que cela aurait été le moment de la relancer pour coller à la situation en discutant du matériel et des revendications comme le blocage des prix, l’augmentation des salaires, la gratuité des transports…, en proposant des initiatives, etc.
Les conventions nationales ont tant bien que mal soulevé ces difficultés et contraint le national en décembre 2017 à accepter la possibilité d’AG locales ou régionales d’insoumis ainsi que plus tard la création d’une assemblée représentative.
JLM a dit : « Le mouvement c’est la forme organisée du peuple (…) le but du mouvement de la France insoumise n’est pas d’être démocratique mais collectif ». Tout ceci est totalement erroné. Le cadre ne peut être collectif longtemps s’il ne prend jamais de décisions. Il doit être démocratique, sinon il est voué à l’échec. On le constate dans toute l’histoire des luttes jusqu’à Nuit debout ou le mouvement des gilets jaunes. L’unité et la consultation à échéances régulières ne suffisent pas, il faut une implication et un contrôle par les militant-e-s. Le tirage au sort est inefficace (il est d’ailleurs systématiquement accompagné dans la FI par la désignation, on ne sait par qui, de « responsables ») car on ne peut pas combattre un plan organisé des capitalistes pour nous dépecer en s’en remettant au hasard.
Une force politique structurée et de lutte
Politiquement, les insoumis mais aussi plus largement, celles et ceux qui regardent avec sympathie la FI ont besoin d’autre chose. Le besoin d’avoir à leur service un outil, une force sérieuse qui permet de s’organiser vraiment, est devenu crucial face à l’offensive de Macron. Dans les entreprises, les quartiers, les lieux d’études, les gens ont besoin de quelque chose de solide, de combatif, qui soit le fruit d’une réflexion collective, et une force de proposition et d’organisation.
Nous ne pouvons nous contenter de campagnes d’opinion et de campagnes électorales. On peut s’étonner que les milieux populaires, notre électorat principal, n’ait pas voté aux européennes. Mais on doit se dire : à quoi servons-nous pour ces mêmes milieux, à quoi servent ces élections ? Notre campagne ne faisait pas assez le lien avec la réalité que vivent les travailleurs, les jeunes, les retraités. Elle ne présentait pas assez notre envie de changer la société et de nous débarrasser du capitalisme et sa dictature du profit. Pour celles et ceux qui subissent l’exploitation, la crainte de l’avenir au quotidien, la FI n’est pas apparu comme un outil. C’est de cela qu’il faut discuter dans la période à venir, en combinant la résistance contre Macron aux autres campagnes (municipales, référendum sur les aéroports).
Les insoumis ont pu être parmi les premiers militants à gauche à se joindre au mouvement sans précédent des Gilets jaunes. Mélenchon avait fort justement poussé dans ce sens dès la fin octobre. Mais La France insoumise en tant que force politique n’a pas su apporter de propositions ni de stratégie : aucune proposition pour faire la jonction avec le mouvement ouvrier organisé, aucun pas pour structurer les débats. Tout comme dans le mouvement syndical, les militants combatifs de la FI ne sont pas coordonnés, et celles et ceux qui regardent vers nous n’ont pas vu l’apport d’être à la FI.
Dans la France insoumise, le débat n’est pas fondamentalement autour d’un « méchant » Mélenchon et son staff qui ne voudraient pas partager le pouvoir. Le débat, que nous, Gauche Révolutionnaire, posons depuis le début de la FI, c’est celui d’assumer le lancement d’une véritable force politique, une force de frappe, un parti pour la majorité des travailleurs et des jeunes, large, ouvert et inclusif qui se bat contre le capitalisme. C’est un débat sur l’outil politique qui serait le plus à même de porter la colère, et son programme, une force politique de lutte et de masse, rassemblant les travailleurs, les jeunes, les retraités, pour construire une société démocratique : le socialisme.
Le niveau de violence de la classe bourgeoise, avec son ambassadeur Macron, est monté d’un cran, acculant les travailleurs et les jeunes à courber le dos ou à se révolter, comme l’éruption des gilets jaunes l’a montré, et comme d’autres mouvements le montreront à l’avenir. Il nous faut une force solide, un mouvement structuré qui permettre de construire une opposition forte face aux capitalistes.
En définitif, c’est bien la question du programme qui est posée dans la crise de la FI. L’Avenir en commun a permis de regrouper autour d’un programme électoral présidentiel mais ce n’est pas un programme pour une force qui doit se construire et agir au quotidien sur le terrain. Ce n’est pas un programme politique de lutte suffisant quand il s’agit de combattre de telles attaques. Il faut en fait à la fois affiner nos revendications, discuter de la tactique dans les luttes, et présenter systématiquement notre combat pour changer la société et en finir avec le capitalisme.
Il faut avancer
Un échec de la France insoumise ne serait pas une bonne nouvelle pour les insoumis et les insoumises, c’est sûr, ni pour toutes celles et ceux qui veulent résister et lutter contre la contre-révolution sociale de Macron et des capitalistes. Celles et ceux qui, à gauche, feraient ce calcul se trompent. La FI reste la seule force assez large dans laquelle chaque courant pourrait prendre sa place, proposer ses idées et les soumettre à une discussion fraternelle.
Les acquis de la FI qui ont été son indépendance face au PS, sa volonté de s’en prendre aux inégalités sociales, écologiques, économiques et politiques du capitalisme ne doivent pas disparaître dans des alliances dites de gauche sans fond politique. Le PS à 6 % ne fait pas de lui un allié désormais raisonnable et à nouveau dans le camp des travailleurs et de la majorité de la population, pas plus qu’une EELV surfant sur la vague Climat mais restant en fait une force qui accepte le capitalisme.
Nous ne pouvons plus faire l’économie de discussions politiques sur le programme de combat nécessaire face à Macron et à sa politique pour les capitalistes. Une force réellement solide doit être non seulement anticapitaliste, luttant contre la destruction de l’environnement, contre toutes les discriminations et pour les besoins vitaux de la majorité contre ceux de la minorité d’ultra-riches. Mais elle doit aussi porter le combat pour changer la société. Le socialisme authentique, démocratique, est la seule alternative capable de transformer le monde. C’est en en finissant avec l’exploitation et la dictature des multinationales qu’on réglera les problèmes qui se posent à l’humanité. Ces débats sont nécessaires et cruciaux pour qu’une véritable force puisse challenger politiquement une situation politique inédite et instable. C’est le sens de la contribution des militant-e-s de la Gauche révolutionnaire à la FI depuis novembre 2016 et nous invitons toutes celles et ceux qui veulent construire une force politique de lutte et de masse sur ces bases à en discuter avec nous.
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