La lutte pour un parti révolutionnaire aujourd’hui

Extraits d’un article du secrétaire général du Comité pour une Internationale ouvrière (CWI/CIO) Tony Saunois, publié le 29 mars 2024 sur www.socialistworld.net

La crise prolongée du capitalisme mondial, s’accompagne d’une crise sans précédent dans la direction et en partie dans l’organisation de la classe ouvrière. L’absence de parti de masse a laissé un énorme vide politique. Le besoin d’une alternative de masse pour le socialisme, pour que la classe ouvrière ait une indépendance politique et puisse montrer la voie vers cette alternative, est énorme. 

Un monde différent après l’URSS

La question a commencé à se poser plus largement dans les années 1990. Elle découlait des conséquences de l’effondrement des anciens États staliniens et de la restauration du capitalisme dans ces pays. Cela a accéléré le processus de bourgeoisification des anciens partis de masse sociaux-démocrates et de certains Partis communistes.
Ces partis avaient un caractère double depuis des décennies. Ils avaient un nombre de membres et une base de masse, et étaient enracinés dans la classe ouvrière. Pourtant, ils avaient aussi une direction réformiste pro-bourgeoise. Et alors qu’ils allaient de plus en plus à droite, un point de bascule a été atteint dans les années 1990. Les Partis communistes d’Italie et de Grande-Bretagne se sont tous deux dissous en 1991.

Malgré le caractère dégénéré, répressif et corrompu des régimes staliniens, ceux-ci rendaient crédible l’idée qu’un système social alternatif, le « socialisme », était possible. La situation mondiale, transformée après l’effondrement des régimes staliniens, amenait un changement fondamental dans les relations mondiales. Elle a provoqué des débats, des divisions et des scissions dans toutes les organisations de la gauche pro-socialiste, y compris au sein du CIO. La majorité des militants du CIO a conclu qu’il était nécessaire que la classe ouvrière lutte pour construire de nouveaux partis ouvriers. En même temps, nous avons souligné la nécessité pour les révolutionnaires de continuer à construire leurs propres forces. 

La revendication de nouveaux partis de travailleurs

Comme Marx et Engels l’ont défendu en 1850 dans leur Adresse du Comité central à la Ligue des communistes, leur formation représenterait une avancée importante. C’est comme ça que les trotskystes aux US ont traité la question quand ils ont mis en avant le slogan d’un Parti du travail (Labor Party) suite à l’explosion dessyndicats ouvriers de masse au milieu des années 1930. 

Mais la formation de tels partis n’est pas une fin en soi. Quand on soulève cette revendication, il est important que ce soit lié à l’explication de ce que ces partis devraient faire, de quel programme pour le socialisme ils auraient besoin. Ils ne devraient pas être une machine électorale, mais ils devraient activement construire une base et intervenir dans les luttes de la classe ouvrière et les luttes locales.

Là où il n’existe pas de parti ouvrier, la création d’un parti indépendant de la classe ouvrière, même sans programme marxiste ou socialiste, serait une avancée importante. Les marxistes soutiendraient un tel développement, avec une intervention directe dans le parti, malgré ses faiblesses programmatiques. Parce que cela refléterait le fait que la classe ouvrière commence à agir politiquement comme une classe indépendante et à devenir une classe pour soi.

Le retard dans la formation de nouveaux partis ouvriers est dû à deux facteurs cruciaux. Premièrement, l’effondrement idéologique de la gauche pro-socialiste en général. Deuxièmement, la conscience politique actuelle de la classe ouvrière, y compris ses couches combatives plus avancées. 

Les nouvelles forces de gauche et le populisme

Cependant, dans certains pays où ces crises ont éclaté, de nouvelles formations de gauche ont émergé. Syriza en Grèce, Podemos en Espagne puis plus récemment la France Insoumise en France.

Par contre, ces formations n’étaient, ou ne sont, pas des partis de masse des travailleurs. Leur base principale n’est pas parmi la classe ouvrière, et il manque de structures et d’organisation. Un puissant sentiment « anti-parti », « anti-centralisé » existait en réaction aux trahisons et au caractère des anciens partis. Prétendument plus « démocratiques », ces nouvelles formations le sont en fait bien moins dans la pratique. Souvent, les décisions finales sont prises par le noyau dur autour des leaders.

Cela se reflète également dans les politiques et les programmes défendues, plus proches d’une aspiration à quelque chose de meilleur que d’un programme visant la rupture avec le capitalisme. Ils ont plus pris un caractère populiste de gauche qu’un caractère socialiste. Le populisme est par nature vague et revêt une certaine absence de forme, en plus d’une confiance et d’une dépendance envers un leader individuel – Tsipras, Iglesias et Mélenchon. 

Cependant, elles sont ensuite mises à l’épreuve sur les mers houleuses de la crise capitaliste et de la lutte des classes. Le populisme qu’ils ont épousé était totalement inadapté aux exigences de la situation. Les espoirs suscités sont brisés, l’un après l’autre, au fur et à mesure qu’ils étaient testés dans l’action sur le terrain politique. Tsipras a capitulé devant l’UE et le FMI par exemple.

L’échec et leur trahison ne signifient pas que l’idée de nouveaux partis ouvriers de masse n’est plus posée ou actuelle. Le vide politique est massif. La situation objective exige de nouveaux partis ouvriers. Mais il ne suffit pas de proclamer un parti. Il est nécessaire de le construire sur le terrain par une intervention active dans la lutte des classes.

Les partis socialistes révolutionnaires et les nouveaux partis de masse des travailleurs 

La remontée récente et importante des grèves dans certains pays européens et aux États-Unis est un facteur positif, le début important d’une conscience de classe qui se développe. Cependant, ce n’est qu’un début au niveau des luttes ouvrières. Cela doit encore se traduire politiquement, par des mesures concrètes que doivent prendre les travailleurs. Les marxistes ont la responsabilité d’essayer de les atteindre. C’est un travail de préparation à des bouleversements et séismes politiques, y compris l’émergence de nouveaux partis ouvriers de masse. Les marxistes ne peuvent pas juste attendre que les événements se développent. 

Si la création de partis plus larges de la classe ouvrière peut constituer une étape importante sur la voie de la construction de partis socialistes révolutionnaires de masse, ce n’est pas la seule voie possible dans tous les pays. En cette période de crise capitaliste intense et de lutte des classes, une couche de travailleurs et de jeunes peut également être gagnée directement à un parti socialiste révolutionnaire et à son programme.

Historiquement, de grands partis trotskystes révolutionnaires de masse ont été créés et sont devenus les principaux partis des masses. Au Sri Lanka par exemple, le LSSP, avec un noyau trotskiste, a été le premier parti formé dans le pays et a été pendant un certain temps le premier parti de la classe ouvrière. Ce n’est pas la perspective la plus probable dans la plupart des pays mais si le processus de création de nouveaux partis ouvriers s’avère encore plus long qu’il ne l’a déjà été, les partis socialistes révolutionnaires peuvent encore se développer et faire des bonds qualitatifs cruciaux

Il est donc important de ne pas interpréter la revendication de nouveaux partis ouvriers comme étant la condition préalable à la construction de partis socialistes révolutionnaires forts. La question cruciale est qu’il faut lutter pour construire des partis révolutionnaires, qui sont indispensables à la révolution socialiste. En cette ère de populisme politique, une lutte idéologique est essentielle pour reconquérir le soutien à la nécessité d’une voix politique indépendante, et d’une organisation de la classe ouvrière avec un programme visant à abolir le capitalisme et à mener à bien la transformation socialiste de la société. Tel est le défi auquel est confrontée la génération d’aujourd’hui. Une tâche plus urgente que jamais.