La durée du temps de travail est un enjeu pour les capitalistes. Pour faire du profit le patron a à sa disposition des matières premières, des locaux, des machines. Tout ceci ne sert à rien si aucun ouvrier ne travaille pour transformer les marchandises en un produit vendable.
Article paru dans l’Egalité n°109
A moins, bien entendu, que M. Seillère et consorts ne s’achètent un bleu de travail. Le patron achète donc la force de travail de l’ouvrier et fixe le salaire et s’il veut que l’ouvrier accepte, il doit lui donner le salaire qui lui permet de garder ses forces et de faire vivre sa famille, en tenant compte des habitudes de chaque société. Et rien de plus ! Mais rien n’indique véritablement combien de temps cet homme doit travailler pour le salaire qu’on lui donne. Le patron fixe donc la durée de travail et là où, en toute justice, il devrait faire travailler ses employés 4 heures, il leur imposera une journée de huit heures. Ce surtravail de 4 heures est non payé et grâce à ce système d’exploitation, le patron tire son premier revenu avant même de faire des profits en vendant sa marchandise. Les patrons cherchent donc, par tous les moyens, à augmenter le temps de travail sans augmentation de salaire, pour réaliser plus de profit sur le dos des travailleurs.
Rapidement les travailleurs ont eux aussi perçu l’importance de ces revendications qui vont à l’encontre des intérêts du patronat. Réduire la durée du travail sans réduction de salaire revient à réduire l’exploitation en prenant sur les profits énormes des capitalistes. Ce qui importe aussi ce sont les conditions de vie, la santé, les loisirs… pour permettre à chacun d’en profiter. Et surtout, dans l’esprit de nombreux travailleurs, c’est le souci de partager le travail avec ceux qui n’en ont pas, pour en finir avec le chômage. Encore une idée opposée aux intérêts capitalistes pour qui un fort taux de chômage facilite les baisses de salaire, les pressions diverses sur des ouvriers qui craignent le licenciement.
8 heures de travail, 8 heures de repos, 8 heures pour ce qu’on veut !
Après les premiers acquis sur le travail des enfants, les revendications sur la journée de travail de huit heures sont apparues. Dans les mines stéphanoises, en 1869, la grève de Firminy éclate et est durement réprimée (13 morts, 72 arrestations). Forts d’un total de 18 000 grévistes, ces mineurs obtiennent la journée de 8 heures. Des grèves très dures vont ensuite éclater dans les autres bassins miniers : grève de Fourmies le 1er mai 1891 (9 morts), à Carmaux en 1892, 4 mois, etc…
Ces rapports de force perpétuels qu’imposent les mineurs leur permettent, dès 1905, d’obtenir la journée de 8 heures. Il faut attendre 1919 pour qu’une loi générale sur les 8 heures de travail, 6 jours sur 7, soit votée. Mais c’est un leurre ! Seule la multiplication des grèves pour la réduction du temps de travail sans perte de salaire va permettre de faire plier le patronat. Les cheminots la réclament dès 1919, suivis par les ouvriers minotiers et ceux du bâtiment.
Les mineurs continuent de porter cette revendication, pour l’étendre à tous les travailleurs et pour la conserver dans leur secteur. En 1919 les mineurs vendéens sont en grève un mois pour protester contre le vote de leurs députés sur cette question; puis en 1921 contre le retour aux journées de dix heures. Malgré cette combativité, la revendication reste encore insatisfaite en 1928. Les dockers charbonniers travaillent douze heures; les monteurs, les tourneurs, les ajusteurs 10 heures.
1936 : un rapport de forces historique en faveur des travailleurs
1936 a été marquant par la victoire fulgurante des travailleurs sur une série de revendications ouvrières : semaine de 40h, congés payés, conventions collectives, hausse des salaires de 7% à 15%.
Depuis les années 20, les travailleurs n’ont pas cessé de voir les profits et la productivité s’accroître tandis que leurs conditions de travail s’aggravaient sous le coup de la rentabilisation des gestes et des cadences infernales. La crise financière de 1929 entraîne de nombreuses faillites et sonne la fin de l’industrie ancienne inadaptée. Cette crise entraîne des licenciements sans précédent parmi les ouvriers les moins qualifiés, les plus âgés, les femmes et les plus jeunes.
Comme au XIXème siècle, les bastions des ouvriers de la métallurgie et des mines partent en grève pour la hausse des salaires, la semaine de 40h, contre les licenciements. Les travailleurs demandent leur dû. Ils veulent travailler moins pour que les chômeurs soient embauchés, être mieux payés et avoir accès aux loisirs. Par peur d’un « lock-out » patronal et de licenciements, les travailleurs décident spontanément d’occuper leurs usines pour obtenir satisfaction. Comme l’a dit un gréviste : « Hors de l’usine, nous ne serions plus que des chômeurs ».
Le rapport de forces est en leur faveur, les patrons n’ont plus accès à leurs stocks, l’économie est bloquée ! Le patronat cède vite mais les directions politiques et syndicales « socialistes » et « communistes » au pouvoir, suite aux élections du Front Populaire, s’empressent de signer des accords et de faire redémarrer l’économie capitaliste.
Daladier (radical-socialiste) puis Reynaud, en 1938, démantèlent les 40h hebdomadaires sous le prétexte de la défense nationale. La réduction du temps de travail a été concédée en 1936 par peur d’une révolution en France. Mais faute de perspective socialiste et de parti révolutionnaire, les ouvriers qui occupaient les usines ont entretenu les machines sans les redémarrer pour leur compte. La victoire s’est effilochée dès que le rapport de forces est revenu dans les mains du patronat. En 68, la semaine de 40h devient la durée légale du temps de travail en France.
Réduction du temps de travail : 35h hebdo sans perte de salaire, avec embauches !
Depuis 1982, c’est par des lois que le temps de travail a changé en France. En 1997-98, les lois Aubry sont votées soi-disant comme la durée légale du temps de travail en France. Négociées avec le patronat branche par branche les conditions d’application introduisent une flexibilité sans précédent notamment dans les boites du privé. Ces lois profitent au patronat qui peut entamer la destruction des conventions collectives, individualiser les contrats des travailleurs… La Gauche plurielle a fait croire que les capitalistes en France acceptaient de réduire leurs plus-values, sans sourciller, avec une loi. En fait, ils acceptaient d’en passer par une réduction « légale » pour faire passer la pilule amère de la flexibilité, des cadences plus importantes et de l’annualisation du temps de travail ! Personne n’a été dupe longtemps, surtout pas les chômeurs qui sont restés privés d’emplois.
Certaines luttes en 1993 dans le privé revendiquaient les 35H sans perte de salaire à côté de la hausse de 1500F, mais elles n’ont pas été relayées. Ce qui a manqué pour gagner une réelle réduction de 35h sans perte de salaire ce sont des luttes, un rapport de forces collectif. Faute de direction claire, le mouvement ouvrier a jusqu’à présent toujours buté sur la baisse du temps de travail au profit des travailleurs. De 1936 à 1998, les directions syndicales et les partis traditionnels (PS-PC) ont contourné cette offensive en maintenant ou en faisant basculer le rapport de forces dans le camp des capitalistes.
La réduction du temps de travail et la lutte pour le socialisme !
Toutes ces luttes confirment que le temps de travail est le résultat du rapport de forces entre travailleurs et capitalistes. Il s’agit non seulement d’une question d’amélioration immédiate des conditions de vie des travailleurs mais aussi d’une bataille contre le système d’exploitation capitaliste.
Peu importe aux travailleurs la « possibilité » ou « l’impossibilité » pour les capitalistes de mettre en place la réduction du temps du travail. Il faut frapper fort contre le chômage et l’exploitation et aller le plus loin que le rapport de forces nous le permet. Au fond, la revendication du droit au bien être s’oppose directement au système d’exploitation capitaliste.
La bataille pour le partage, entre tous, du travail nécessaire aux besoins de la société, sans perte de salaire est question d’un rapport de forces qui ne peut être résolu que par la lutte pour le renversement du capitalisme. En supprimant le système du profit et en se basant sur les besoins de tous, en décidant ensemble démocratiquement des besoins, une société socialiste pourra assurer de telles aspirations – le capitalisme, non.
Par Luc de Chivré et Leïla Messaoudi