Élections du 7 mai au Chili, une nouvelle défaite pour la caste politique et la droite patronale

Les élections du 7 mai nous montrent une fois de plus que le peuple est fatigué de la caste politique corrompue que nous avons au Chili. Lors de ces élections, il y a eu plus de 34% de votes nuls, de votes blancs et d’abstentions, c’est-à-dire qu’un tiers des électeurs a manifesté son mécontentement ou son désintérêt pour la caste politique et ses affaires au nez et à la barbe du peuple, dans un pays où le vote est obligatoire.

Par Celso Calfullan, article publié le 23 mai sur socialismorevolucionario.cl le site de l’organisation sœur de la Gauche Révolutionnaire au Chili

D’autre part, on ne peut nier que lors de ces dernières élections, l’extrême droite (les Républicains) est sortie gagnante de ces élections, c’est elle qui a fait élire le plus grand nombre de candidats au Conseil Constituant, mais beaucoup de ces votes sont aussi l’expression de la colère de la population contre la caste politique traditionnelle.

Manifestation au Chili, 2019

On ne peut pas non plus nier que les partis de « centre-gauche », l’ancienne coalition « Concertación » et les partis traditionnels de droite ont réalisé des scores assez négatifs. Des partis qui ont été au pouvoir au cours des trois dernières décennies. Les démocrates-chrétiens (DC) et le parti populaire démocratique (PPD) n’ont même pas obtenu assez de voix pour élire un conseiller.

Parmi les partis qui soutiennent l’actuel gouvernement de Boric, le seul qui a obtenu un vote légèrement supérieur à la moyenne est le Parti Communiste qui a obtenu un peu plus de 5% des voix, mais il ne faut pas oublier que ce pourcentage est calculé par rapport aux votes valablement exprimés, il ne prend pas en compte l’ensemble de l’électorat, et ceci s’applique également au vote de l’ultra-droite (les Républicains).

Les élections du 7 mai ont été une véritable fraude

L’Accord pour le Chili prévoit au moins quatre étapes, la première concerne les « limites constitutionnelles » dans lesquelles il y a 12 points qui ne peuvent pas être modifiés même d’une virgule, or ces 12 points sont l’essence de la constitution de la dictature et ont pour seul objectif de protéger les intérêts de la caste politique et de la classe dirigeante.

Il y a ensuite une deuxième étape qui implique la nomination de « 24 experts » par les sénateurs et les députés, dont il faut rappeler qu’ils sont les pires et les moins représentatifs de la majorité des citoyens de ce pays. Les « 24 experts » nommés sont ceux qui sont déjà en train de rédiger la nouvelle constitution depuis le 6 mars 2023.

Une troisième étape prévoit l’élection de 50 conseillers (7 mai), tous les candidats ont été triés sur le volet par les partis. Quel sera le rôle des 50 conseillers élus ? Si les  » limites constitutionnelles  » et la constitution rédigée par les  » 24 experts  » existent déjà, le  » Conseil constitutionnel  » élu est censé pouvoir modifier le texte rédigé par les  » experts  » et éventuellement incorporer de nouveaux articles, à condition qu’ils soient approuvés par 60 % des conseillers, en d’autres termes, ils n’ont pas la possibilité de changer quoi que ce soit.

La quatrième étape et la cerise sur le gâteau de toute cette fraude est donnée par le « Comité Technique de Recevabilité » de 14 membres qui est également nommé par le Parlement et qui a parmi ses attributions de mettre son veto à tout article approuvé par le « Conseil Constitutionnel », qu’ils considèrent comme contraire aux « frontières constitutionnelles », les fameux 12 points du principe auquel on ne peut pas toucher.

Tout cela témoigne d’une véritable panique face à l’expression de la souveraineté populaire par la bourgeoisie et la caste politique chilienne. Ce nouveau processus constituant avec son Conseil constitutionnel est aux antipodes d’une Assemblée constituante libre et souveraine.

En d’autres termes, lors des élections du dimanche 7 mai, les citoyens de ce pays n’ont absolument rien décidé, il s’agissait d’un exercice électoral absolument frauduleux et antidémocratique, ainsi qu’inutile, ou comme certains le disent, la seule raison de ces élections pourrait s’expliquer par le besoin des partis de gagner de l’argent, chaque vote représentant pour eux une somme d’argent qui entre dans leurs coffres, ou peut-être aussi pour essayer de donner l’impression que ce processus constitutionnel est démocratique, ce qui ne peut pas être plus éloigné de la vérité.

La caste politique corrompue ne nous a pas laissé d’autre choix que d’appeler à l’abstention/vote blanc dans cette élection antidémocratique et frauduleuse, il est clair que cette fraude constitutionnelle ne pouvait pas être avalisée. La somme des votes nuls, des votes blancs et des abstentions exprime le rejet d’un véritable coup d’État constitutionnel par les forces politiques institutionnelles du Congrès.

Une chaîne de télévision annonçant la « victoire » du parti républicain le soir de l’élection des conseillers constitutionnels a parlé du triomphe du « centre droit », dans un effort évident pour tenter de laver l’image de l’ultra-droite chilienne, qui a obtenu 35,42%. Parmi les votes « valablement exprimés », les votes nuls et blancs ne sont pas pris en compte dans le calcul du pourcentage. La coalition au pouvoir Unité pour le Chili, composée du FA (Front Large), du PC et du PS, n’a obtenu que 28,7% des voix.

L’accord conclu au Congrès ayant sanctionné l’élection des conseillers constitutionnels des régions les plus peuplées au profit des régions moins peuplées considérées comme plus conservatrices, ces pourcentages ont été multipliés en faveur de l’extrême droite lors de l’élection des conseillers.

Les grands perdants sont les « progressistes »

Le gouvernement progressiste de Boris, qui se définissait comme « progressiste » et « féministe », a brandi des bannières identitaires telles que le « féminisme », l' »indigénisme », la cause LGBT, qui lui ont permis de gagner des voix et de la popularité, mais qu’il a rapidement perdues lorsqu’il s’est opposé à ce que les femmes qui travaillent puissent bénéficier de la pension universelle garantie (PGU) à l’âge de 60 ans, et avec l’application de l’État d’Exception, avec la militarisation du territoire du peuple mapuche en permanence pendant toute la durée du mandat de ce gouvernement.

Comme l’a déclaré Natalia Piergentili, présidente du PPD (parti au pouvoir), après la défaite aux élections du 7 mai : « Si vous voulez continuer à parler aux singes poilus, aux 30 % que vous avez, à vos compañeres, je ne pense pas que vous ayez la volonté de faire votre autocritique. Vous continuez à vous adresser à ce secteur avec l’agenda de l’identité de genre et de sexe et toutes ces conneries… ».
Les votes des dernières élections peuvent être interprétés comme un vote contre le gouvernement Boric, parce qu’il a mené une mauvaise administration, plutôt en zigzag, qui ne résout pas les problèmes fondamentaux de la majorité de la population, ainsi que la question de la sécurité publique, qui a été fortement mise en avant par les médias contrôlés par la droite économique et qui demandent au gouvernement de faire preuve de fermeté.

Mais ce que l’élite dirigeante ne comprend pas, c’est qu’en l’absence de politiques sociales, les lois et politiques répressives de lutte contre la criminalité ne sont qu’une déclaration de guerre contre les secteurs populaires, contre les pauvres. Le système judiciaire a recours à des figures juridiques à sa discrétion pour répondre brutalement à l’exercice légitime de protestation et de manifestation exercé par les organisations sociales, les militants politiques et les peuples indigènes. C’est pourquoi nous disons non aux lois répressives contre les travailleurs.

Les revendications sociales d’octobre 2019 sont toujours pleinement d’actualité et très bien installées dans la majorité de la population, surtout dans les secteurs populaires, ceci est renforcé même par les Républicains (ultra-droite) qui répètent un discours en faveur de la justice sociale, de meilleurs salaires, de plus d’hôpitaux et de l’accès au logement pour les secteurs les plus démunis de la population.
Les 34 % d’électeurs qui n’ont voté pour aucune option ont encore un poids très important, surtout si l’on tient compte du fait que parmi les votes nuls et blancs, il y a un secteur important de la gauche dure et radicale qui s’est engagée dans cette voie lors des dernières élections.

Tout ce processus électoral n’a jamais atteint une grande popularité ni réussi à mobiliser des secteurs importants de la population, ce qui se reflète dans le fait que la participation électorale a été beaucoup plus faible que ce que la caste politique et la droite économique avaient espéré, dans leur tentative actuelle de légitimer la fraude.

Le soir du scrutin, lors du dépouillement dans les premiers bureaux de vote, les présentateurs des chaînes de télévision ont souligné le nombre record de votes nuls et blancs. La consigne éditoriale adressée aux médias a alors été prise en compte et a rapidement cessé d’être mentionnée dans les directs des chaînes.
Selon le Servel (service électoral chilien), avec 99,44% des votes dépouillés, les votes nuls ont atteint 16,98% des votes, les votes blancs 4,55% et à eux deux, ils ont totalisé 2 673 525 suffrages, soit 21,53% du total. Il convient de rappeler que les votes comportant des phrases offensantes et des dessins grossiers, qui témoignent clairement d’une volonté d’annuler le vote, sont considérés comme des votes blancs au Chili. Ce vote dépasse largement la majorité des secteurs de droite et pro-gouvernements. Ainsi le Partido de la Gente (Parti des gens) s’est dégonflé avec 5,48%, Todo por Chile qui regroupait le PPD, DC et PR (Parti radical) a atteint 8,96% et a subi une défaite retentissante et la droite traditionnelle de Chile Vamos rebaptisée Chile Seguro a obtenu 21,07% et a été largement dépassée par les proto-fascistes du parti républicain.

Certaines analyses ne prennent pas en compte le caractère de sanction et de protestation du vote contre la caste politique institutionnelle et le gouvernement dans son ensemble, et le vote de rejet de la majeure partie de la liste électorale, nous avons entendu des opinions franchement absurdes de la part de certains communicants, experts et universitaires en sciences politiques disant que le vote nul ou blanc est le fait de personnes qui ne savent pas comment voter, ou d’électeurs qui ne se soucient pas du résultat. Cela n’explique évidemment pas la forte augmentation des votes nuls et blancs.

La campagne « anulazo », diffusée avant le vote dans les réseaux sociaux et les sondages, a donné lieu à des campagnes désespérées accusant le vote nul de « faire le jeu de la droite » de la part de militants et d’opérateurs politiques des partis au pouvoir. Un effort totalement infructueux. La grande majorité du vote nul n’était pas un vote d’ignorance, mais au contraire un vote hautement politisé.

Le gouvernement et ses partis ont provoqué une défaite attendue avec ce processus constituant frauduleux qu’ils ont soutenu sans aucune nécessité, si ce n’est leur désir quasi pathologique de clore le cycle de « dégagisme » qui s’est ouvert avec le soulèvement populaire d’octobre 2019 et des années suivantes. Le résultat est sans aucun doute mauvais pour le gouvernement et surtout pour les partis de l’arc politique centriste (DC, PR, PPD), qui ont subi une nouvelle fois une nouvelle défaite électorale puisqu’ils n’ont élu aucun de leurs candidats. Nous ne pouvons pas ne pas mentionner que le système des partis politiques dans son ensemble au Chili souffre d’une profonde crise de décomposition et de légitimité.

Le gouvernement de Boric souffre d’une érosion permanente, avec une situation sociale marquée par l’inflation et les bas salaires. L’exécutif a abandonné nombre de ses promesses de campagne, en poussant à l’approbation du Traité de partenariat transpacifique, en poursuivant la militarisation de la région de l’Araucanie, en approuvant la loi Nain-Retamal, populairement connue sous le nom de « loi de la gâchette facile », et en oubliant son programme de refondation des Carabineros de Chile, les forces de police du pays. La promesse de la loi des 40 heures tant célébrée par le parti au pouvoir est restée essentiellement dans le titre de la loi pour devenir une loi de flexibilité du travail qui ne sert que le patronat. La prétendue annonce de la nationalisation du lithium a enthousiasmé plus de gens à l’extérieur du Chili qu’à l’intérieur de notre pays. Tout le monde sait qu’il s’agit d’une annonce vide de sens, car il ne s’agit que d’une annonce concernant le futur appel d’offres pour les licences d’exploitation de la ressource, qui n’a aucune chance de progresser en tant que nationalisation au Congrès, et qui garantit les licences d’exploitation déjà accordées à Soquimich (SQM) de Julio Ponce Lerou, ainsi qu’à la multinationale Albermale. Il n’est donc pas surprenant qu’à l’exception des politiciens qui ont voulu profiter de ces deux nouvelles, personne d’autre ne s’est enthousiasmé pour elles et qu’elles n’ont pas eu d’effet sur les résultats des élections.

Voter contre et construire une nouvelle alternative politique et sociale

Les plus de 2,6 millions de votes nuls et blancs de la dernière élection constituent une base suffisamment large pour lancer une campagne de rejet du plébiscite prévu en décembre 2023, mais cette campagne devrait également servir à lancer une alternative politique et sociale qui représente réellement un large secteur de la population qui ne se sent représenté par aucun des partis traditionnels qui continuent d’exister aujourd’hui en l’absence d’une véritable alternative politique à tout ce qui existe déjà.

Il est déjà nécessaire d’organiser une nouvelle force politique sociale qui représente les revendications des travailleurs, des pauvres, des secteurs populaires en général, qui nous aidera à organiser les futures manifestations de masse dans une nouvelle poussée inévitable des luttes sociales, en donnant une direction claire pour la prise du pouvoir par la classe ouvrière, pour construire un gouvernement des travailleurs, en pensant aux grandes majorités, et ainsi mettre fin au système capitaliste néfaste et à ses injustices.

Celso Calfullan. Comité pour une Internationale Ouvrière, CIO-Chili.


À regarder aussi : vidéo du programme « débat public » : « Analyse de la situation après le 7 mai » avec notre camarade Patricio Guzmàn S. (Vidéo en espagnol).