Confinement en Afrique du Sud : pour l’organisation des quartiers et de la classe ouvrière

Des membres du Parti des travailleurs marxistes
(CIO en Afrique du sud)

Des files d’attente de plus de 3 km pour les colis alimentaires. Corruption et favoritisme dans leur distribution. Des magasins pillés. Des écoles vandalisées et brûlées. Les revenus des ménages qui s’effondrent. Confusion dans l’accès aux aides sociales. Des dizaines de milliers d’arrestations et d’amendes. Harcèlement, passages à tabac et même meurtres perpétrés par les forces de l’État. La pandémie de Covid-19 et le confinement ont aggravé la misère des communautés ouvrières sud-africaines qui souffrent depuis longtemps.

Déclaration du Marxist Workers Party, Parti Marxiste des Travailleurs, l’organisation sœur de la Gauche Révolutionnaire en Afrique du Sud, publiée sur socialistworld.net le 6 mai 2020

Avant la pandémie, les protestations des communautés sur les logements indécents et les services explosaient régulièrement. À tel point que l’Afrique du Sud a été désignée comme la capitale mondiale de la contestation. Mais le déclin de la fédération syndicale Cosatu et l’effondrement de l’Organisation civique nationale sud-africaine, aligné sur le parti au pouvoir, l’ANC, ont laissé les protestations isolées et non coordonnées. Cela a limité les résultats et a permis aux politiciens capitalistes d’ignorer plus facilement les revendications des communautés. Néanmoins, dans le vide, des comités locaux d’éducation civique indépendants ou de crise et d’autres forums communautaires ont proliféré. Beaucoup ont disparu aussi vite qu’ils ont surgi. D’autres ont été plus stables et plus durables, comme le mouvement des habitants des bidonvilles, Abahlali baseMjondolo (« The People of the Shacks »).

À d’importantes exceptions près, la plupart des communautés manquent d’organisations communautaires massives, démocratiques et fédératrices. Par conséquent, dans le cadre de l’État de catastrophe, le vide est comblé par la répression de l’État capitaliste, les aumônes des ONG, des organisations caritatives et des églises (et même des bandes criminelles !) et les réseaux de mécénat d’élus locaux corrompus. La classe ouvrière et les pauvres ne sont pas les maîtres de leurs propres communautés.

Le chaos économique provoqué par Covid-19 et le confinement a tout changé. La faim et la pauvreté, qui étaient à peine tolérables hier déjà, sont maintenant une crise sociale à part entière. Le glissement vers la barbarie n’ayant été que ralenti par les mesures « d’urgence » inadéquates du gouvernement. Les changements rapides dans la vie quotidienne et la prise de conscience que la « nouvelle norme » est bien pire que l' »ancienne norme » ont un effet profond sur les perspectives de millions de travailleurs et de pauvres. Cela signifie que si la pandémie est un désastre pour les communautés, elle est aussi l’occasion de faire progresser l’organisation indépendante de la classe ouvrière.

Les travailleurs du secteur des travaux publics

De nombreuses organisations de la classe ouvrière et de la gauche ont présenté des programmes de revendications utiles que les communautés peuvent adopter et utiliser. Mais la question clé est de savoir comment et par qui ces programmes seront mis en œuvre. Le Marxist Workers Party travaille avec nos membres, sympathisants et alliés politiques au sein du Forum des Travailleurs du Programme de Travaux Publics Étendus de la Province de Gauteng (EPWP – un programme gouvernemental de formation et de travaux publics) pour essayer de mettre en place les grandes lignes d’organisations communautaires dans les différents townships et « quartiers » informels où vivent les travailleurs.

Ce Forum représente environ 3 000 travailleurs et a mis en place des structures d’organisation et de direction dans les cinq « corridors » du Gauteng, à savoir Tshwane (Pretoria), Johannesburg, Ekurhuleni, Sedibeng et West Rand. En février, le Forum, en alliance avec le syndicat du secteur public Nupsaw, a dirigé une marche et une veillée nocturne de milliers de travailleurs du Programme de travaux public et de la Santé dans Union Buildings – le siège de la présidence – à Pretoria pour soutenir la revendication des travailleurs pour des emplois permanents et un salaire de décent de 12 500 rands (soit 618€) par mois.

Le Forum a écrit au gouvernement provincial du Gauteng et à ses départements de la santé et de l’éducation pour proposer que le programme de Travaux publics soit réorienté et réorganisé pour aider à l’organisation de la communauté pendant la pandémie. C’est un terrible gaspillage de ressources humaines que d’avoir toute cette main-d’œuvre inactive. Au lieu de cela, ils pourraient être mis au travail pour nettoyer en profondeur les écoles et autres lieux de travail avant leur réouverture, aider au traçage des contacts et s’assurer que la distanciation sociale est respectée dans les salles d’attente des cliniques et des hôpitaux, et devant les écoles et des points de distribution de colis alimentaires.

Le Forum propose que le gouvernement provincial du Gauteng fournisse aux travailleurs du Programme la formation sanitaire nécessaire pour leur permettre de travailler en toute sécurité dans des conditions de pandémie, notamment en leur fournissant un équipement de protection individuelle adéquat. En outre, le Forum propose que le Fonds de solidarité, ou d’autres sources de financement d’urgence, soient utilisés pour enfin porter les salaires des travailleurs du Programme au moins au niveau du salaire minimum de 3 500 Rands (173€) par mois. Les travailleurs du Programme qu’il ne serait pas en sécurité pour travailler en raison de leur âge ou de condition de santé devraient également avoir droit à cette augmentation de salaire tout en restant chez eux. La revendication d’emplois permanents et d’un salaire décent de 12 500 Rands reste pleinement valable.

Cependant, étant donné le traitement brutal et cruel que les travailleurs du Programme ont subi des mains du Département du développement des infrastructures du Gauteng, dirigé par l’ANC, les travailleurs n’attendent pas de « permission » officielle.

L’organisation communautaire

La police et les soldats dans les rues ont peu de légitimité. Ils ne sont pas élus et ne sont pas responsables devant les communautés. Les communautés sont bien conscientes des dangers du Covid-19. Mais pour la plupart, c’est difficile – pour beaucoup, impossible ! – d’observer la distanciation sociale dans des logements et des communautés surpeuplés. Il est également impossible d’être confiné sans nourriture ou sans argent pour l’acheter.

La tension est alimentée lorsque ce problème pratique est interprété par les forces de l’État comme un « viol manifeste » des règles ou comme le signe d’un « manque de préoccupation » inconsidéré pour le virus. La confrontation est inévitable lorsque les forces de l’État répondent par le harcèlement et l’usage de la force. Les soldats doivent être retirées des communautés. Ils pourraient être mieux utilisés ailleurs. Par exemple, en construisant des hôpitaux de campagne d’urgence. Des conseillers municipaux corrompus sapent encore plus la cohésion et la solidarité communautaires en essayant de contrôler la distribution des secours d’urgence comme des seigneurs de guerre dans les États en faillite.

Au lieu de ce gâchis, il faut mettre en place des structures communautaires démocratiques de masse. La classe ouvrière doit prendre le contrôle de la bataille contre Covid-19. La tradition de l’auto-organisation communautaire reste vivante et relativement forte. C’est sur elle que les communautés doivent s’appuyer.

Nous avons proposé que les militants du Forum du Programme de travaux publics travaillent à la mise en place de « brigades Covid » dans leurs communautés. Chaque rue et chaque bloc devrait élire un représentant pour faire partie de la brigade. La police et les soldats imposent leur autorité. Mais les brigades Covid devraient prendre pour modèle les délégués syndicaux sur le lieu de travail : élus et révocables, simplement « premiers parmi leurs pairs », et rendant compte directement à ceux qu’ils représentent.

La première tâche de la brigade doit être de retourner un élément clé de la situation existante. Actuellement, le gouvernement dit aux communautés ce qu’ils sont prêts à mettre à disposition et qui elles autoriseront à le recevoir. Cela provoque des conflits pour des ressources limitées, par exemple des bagarres pour des colis de nourriture. Cette approche doit être rejetée. Au lieu de cela, les représentants des brigades doivent mener des enquêtes pour déterminer les besoins de chaque ménage. Par exemple, une enquête de rue peut permettre de trouver : (1) trois ménages n’ont plus de nourriture que pour deux jours et ont un besoin urgent d’un colis alimentaire chacun, (2) un ménage a un retraité qui a besoin d’aide pour récupérer des médicaments, (3) six ménages ont des travailleurs essentiels qui n’ont pas de masque pour se déplacer en toute sécurité, (4) dix ménages doivent demander la nouvelle allocation de chômage temporaire mais ne savent pas comment, etc.

En rassemblant les enquêtes rue par rue et bloc par bloc, les brigades peuvent établir un « budget des besoins » complet et détaillé pour l’ensemble de la communauté. Ce budget peut ensuite être transmis aux conseillers municipaux en leur demandant d’aller trouver rapidement les ressources nécessaires. Leur distribution sera alors également supervisée par la brigade. Des manifestations communautaires disciplinées qui observent une distanciation sociale, organisées par la brigade, peuvent être organisées si les revendications ne sont pas satisfaites dans un délai précis.

Bien que ce ne soit qu’un début, de telles mesures pourraient commencer à remettre le pouvoir entre les mains des communautés de la classe ouvrière. Les brigades Covid devraient s’associer aux délégués syndicaux et aux syndicats sur les lieux de travail locaux, en particulier dans les supermarchés et les grandes pharmacies, ainsi qu’avec d’autres travailleurs du commerce de détail et de la livraison. Les membres des syndicats qui ont été licenciés ou temporairement mis à pied doivent être invités à faire partie de la brigade Covid pour renforcer le lien entre les lieux de travail et les communautés de la classe ouvrière.

« Plus jamais ça ! »

Les mesures d’urgence du gouvernement de l’ANC ont été lentes à arriver, inadéquates et gâchées par la corruption et la brutalité de l’État. Mais les communautés pauvres n’accepteront pas simplement qu’après la pandémie, les subventions sociales soient coupées, les colis alimentaires arrêtés, les sans-abri jetés dans les rues et que les mêmes conditions de surpopulation, semblables à celles des bidonvilles, soient autorisées à réapparaître.

La mise en place d’une organisation communautaire sera désormais le point de départ d’une campagne de masse exigeant (1) que toutes les mesures de lutte contre la pauvreté soient approfondies et rendues permanentes, et (2) que soit lancé un programme de construction massive de logements, d’électricité, d’eau, d’assainissement, de routes et d’infrastructures de transport public, en tirant toutes les leçons de la crise de Covid-19. La revendication selon laquelle « plus jamais ça » face à ceux qui ont laissé les communautés vulnérables aux pandémies et à la famine peut trouver un écho puissant.

Dès aujourd’hui, les militants de la classe ouvrière devraient avoir en tête les élections locales de 2021. Les politiciens capitalistes et les partis politiques capitalistes qui ont négligé les communautés pendant si longtemps ont créé les conditions propices à la maladie et à la famine. On ne peut pas leur permettre de se présenter sans rendre des comptes. La classe ouvrière a sérieusement besoin de ses propres candidats. La forme exacte que cela prendra dépendra de la façon dont la pandémie et le désastre économique qu’il a créé se dérouleront dans les semaines et les mois à venir. Plus important encore, cela dépendra du succès que nous aurons à construire aujourd’hui de véritables organisations communautaires capables de faire une différence dans la vie de la classe ouvrière et des communautés pauvres.