Combattre Trump et la droite avec un mouvement ouvrier de masse

Traduction d’un article de nos camarades état-uniens du ISG (Independant Socialist Group) du 21 janvier dernier.

L’élection de Donald Trump, un populiste de droite ayant des liens étroits avec l’extrême droite, a suscité la crainte de ce que son programme pourrait réserver à la classe ouvrière. Trump a fait campagne sur un programme anti-immigration. Il a annoncé son intention d’expulser tous les immigrés en situation irrégulière et de mettre fin à la citoyenneté « de naissance » dès son entrée en fonction. Bien que Trump ait déclaré qu’il ne signerait pas d’interdiction nationale de l’avortement, son vice-président J.D. Vance a approuvé une telle mesure, et des restrictions telles que la limitation de l’accès aux pilules abortives devraient être mises en œuvre. Trump a promis d’abroger les mesures limitant l’usage de la force par la police et a soutenu les attaques contre les manifestants et la gauche lors de la vague de protestation Black Lives Matter de 2020. Il est connu pour ses décisions anti-ouvrières et anti-syndicales. On s’attend également à ce qu’il fasse reculer les protections pour les personnes transgenres et il a promis de « faire passer un projet de loi qui stipule que les seuls genres reconnus par le gouvernement américain sont l’homme et la femme ».

Le projet de Trump de réduire le taux d’imposition des sociétés de 21 % à 15 % – après avoir déjà réduit le taux d’imposition en 2017 de 35 % à 21 % – se traduira par une diminution du financement des programmes sociaux dont dépendent les travailleurs, et des mesures d’austérité ne manqueront pas d’être prises. Linda McMahon, la secrétaire d’État à l’éducation choisie par Trump, a promis d’apporter « choix et concurrence » à l’éducation en soutenant les écoles à charte – une « alternative » à l’enseignement public, privatisée, antisyndicale et à but lucratif. Les milliardaires Elon Musk et Vivek Ramaswamy ont été choisis pour diriger le « Département de l’efficacité gouvernementale », promettant de réduire de 2 000 milliards de dollars le budget fédéral – même si ce « département » n’aura qu’un rôle consultatif et ne pourra pas procéder lui-même à des coupes. Il ne fait aucun doute que l’administration Trump ne touchera pas au budget militaire de 895 milliards de dollars, qui a augmenté de 16,7 % depuis l’entrée en fonction de Biden en 2021.

Si l’administration de Trump suscite beaucoup d’inquiétude, il ne gouverne pas en toute impunité. Des sections de la classe capitaliste et de l’establishment politique sont anxieuses à l’idée que ses actions puissent provoquer des mouvements de masse en opposition. Ils exerceront des pressions à huis clos, voire auront recours à des contestations judiciaires pour maintenir l’administration Trump dans les limites d’un comportement « présidentiel » acceptable, afin d’atteindre leurs objectifs. Un certain nombre de crises, qu’elles soient économiques, politiques ou géopolitiques, pourraient atteindre leur paroxysme sous l’administration de Trump et lui faire perdre le soutien des sections de la classe capitaliste qui l’appuient.

En menant des politiques au service des intérêts des entreprises, l’administration Trump pourrait se retrouver en confrontation frontale avec le mouvement ouvrier, perdant ainsi le soutien de ses électeurs issus de la classe ouvrière. Nous ne sommes pas impuissants – les mouvements de masse et l’action des travailleurs peuvent vaincre les attaques de Trump.

La première investiture de Trump a donné lieu à des mois de manifestations

Les politiciens et les médias corporatistes ont promu l’idée que les élections sont le seul droit de regard des travailleurs sur le processus politique. Mais la première administration de Trump fournit de nombreux exemples du contraire. L’interdiction de voyager pour les musulmans que Trump a tenté de faire passer par décret au cours du premier mois de son mandat en 2017 s’est heurtée à des protestations dans des dizaines d’aéroports, dont plus de deux mille manifestants à JFK, à New York. La pression exercée par ces manifestations a poussé les tribunaux du pays à se prononcer contre certaines parties du décret, ce qui a finalement conduit à son remplacement un mois et demi plus tard par un décret plus limité. En 2018, les manifestations qui ont suivi l’annonce par Trump, en mai 2018, d’une politique d’immigration de « tolérance zéro » visant à séparer les enfants de leurs familles ont abouti à l’annulation de cette politique et à l’adoption d’un décret mettant un terme aux séparations.

Les syndicats ont également joué un rôle dans l’opposition à Trump. Le débat sur le budget 2018 a conduit à la plus longue fermeture du gouvernement de l’histoire en raison de la demande de Trump de financer le mur frontalier, promettant d’opposer son véto à toute proposition légale qui ne financerait pas la construction du mur dans son intégralité. Le 20 janvier 2019, Sara Nelson, présidente de l’Association of Flight Attendants (AFA), a appelé à une grève générale pour mettre fin au « shutdown », l’arrêt des activités gouvernementales fédérales. Le vendredi suivant, les contrôleurs aériens ont mené un arrêt de travail qui a entraîné des retards considérables sur les vols de la côte Est. Nelson a annoncé que l’AFA se « mobilisait immédiatement » en vue d’une grève. Quelques heures plus tard, Trump a accepté un accord pour mettre fin à la fermeture du gouvernement.

Des victoires isolées comme celles-ci ne suffiront pas à vaincre Trump, mais elles montrent que la classe ouvrière n’est pas impuissante face à sa présidence. Les capitalistes ont besoin d’un fonctionnement stable et ordonné de l’économie pour maintenir leurs énormes profits. Pour cette raison, ils craignent par-dessus tout le pouvoir des travailleurs. Les capitalistes plient sous la pression des manifestations de masse, des grèves et de l’action politique indépendante des travailleurs qui votent et s’organisent en dehors du duopole politique bipartisan. Les capitalistes et leurs politiciens feront des concessions ou reviendront sur leurs décisions si leurs profits sont suffisamment perturbés. La pression exercée par un mouvement de masse organisé, coordonné et uni de la classe ouvrière contre Trump drainerait son soutien politique et le rendrait incapable de faire passer son programme anti-ouvrier.

Les événements récents illustrent parfaitement la manière dont les manifestations de masse peuvent limiter le pouvoir d’un président de droite. Le président sud-coréen Yoon Suk Yeol a décrété la loi martiale au début du mois de décembre sous le prétexte peu convaincant de se prémunir contre les menaces de la Corée du Nord. En réalité, cette mesure visait les partis d’opposition du pays qu’il a accusés d’« acte anti-étatique de conspiration pour inciter à la rébellion ». Toutefois, sa tentative de prise de pouvoir a été déjouée par des manifestants qui se sont rassemblés autour du bâtiment du Parlement sud-coréen et ont empêché l’armée de perturber le vote du Parlement en faveur de la fin de la loi martiale. La décision de la Confédération coréenne des syndicats d’appeler à une grève générale illimitée jusqu’à ce que Yoon soit chassé du pouvoir a été le dernier clou dans le cercueil pour le forcer à mettre fin à la loi martiale. Bien que sa décision de mettre fin à la loi martiale ait coupé court à l’appel à la grève générale lancé par les syndicats, le rôle qu’ils ont joué a montré le pouvoir dont disposent les travailleurs pour lutter pour leurs revendications.

Comment pouvons-nous nous organiser ?

Malheureusement, l’organisation et la coordination nécessaires pour s’opposer efficacement à Trump font cruellement défaut à l’heure actuelle. Contrairement à la démonstration de force en Corée du Sud, certains syndicats américains s’accommodent de Trump, voire collaborent avec lui. Les récents mouvements de protestation aux États-Unis, comme Black Lives Matter, ont été dominés par des idées de « décentralisation » et d’« horizontalisme » qui font échouer les tentatives de création de structures organisationnelles plus larges. Présentées comme une méthode d’organisation plus démocratique, ces idées créent au contraire des structures de direction informelles qui n’ont pas de comptes à rendre à l’ensemble du mouvement.

L’absence de structures organisationnelles rend nos mouvements vulnérables aux pressions exercées par des politiciens corporatistes qui espèrent les plier à leurs propres intérêts. La campagne de Joe Biden s’en est servi pour détourner efficacement les manifestations Black Lives Matter de 2020 vers le soutien au Parti démocrate. En outre, à mesure que les forces de droite soutenant Trump prennent de l’ampleur, nous pouvons nous attendre à ce que ce manque de structure soit exploité pour désarmer les mouvements de protestation ou les faire glisser vers la droite.

Nous ne pouvons pas attendre de l’autre parti corporatiste qu’il nous aide à lutter contre Trump. Les démocrates se sont rapidement accommodés de lui. Biden a appelé les travailleurs à « faire baisser la température » et à accepter une administration Trump. Si les démocrates s’orientent vers tout mouvement qui se développe contre Trump, ce sera dans le but de pousser ce mouvement hors de la rue, vers ses propres rangs. Et comme l’ont prouvé les quatre dernières années sous Biden, le Parti démocrate ne fait que donner un autre visage aux attaques contre les travailleurs.

Tactiques de lutte contre la répression étatique

Certains groupes qui organisent des manifestations anti-Trump et d’autres actions s’orientent vers des méthodes d’organisation plus souterraines, en promouvant une « culture de la sécurité » qui consiste à utiliser l’anonymat et le cryptage pour dissimuler leurs opérations. Ces méthodes clandestines ont été utilisées avec succès dans le passé, notamment par des groupes de gauche qui s’organisaient sous le régime nazi dans les années 1930. Mais ce n’est qu’une tactique parmi d’autres, qui doit être évaluée au regard de la situation dans laquelle nous nous organisons.

Les démocrates et les républicains ont violemment réprimé les manifestations et les occupations en soutien à Gaza l’année dernière. Il faut s’attendre à une nouvelle répression sous l’administration Trump, et il est compréhensible que les groupes qui s’opposent à lui craignent cette répression. Cependant, s’opposer à Trump signifie créer un mouvement de travailleurs capable d’attirer des couches importantes de la classe ouvrière. La répression vise à créer un effet de refroidissement, en faisant pression sur les organisateurs pour qu’ils soient moins visibles et en limitant la capacité des mouvements de protestation à se développer. Les petits groupes clandestins ne peuvent se substituer au pouvoir que la classe ouvrière exerce lorsqu’elle est organisée ouvertement à une échelle de masse. L’utilisation prématurée de ces tactiques d’organisation souterraines laisse la classe ouvrière dans son ensemble dans l’ignorance et empêche la formation d’un tel mouvement de masse.

Nous devons utiliser les tactiques les plus efficaces disponibles pour être en mesure de lutter contre le régime de Trump. À l’heure actuelle, cela signifie un mouvement de protestation de masse contre Trump et son programme de droite. Ce type de mouvement de protestation de masse doit être structuré démocratiquement à tous les niveaux, organisé à travers les villes, les États et le pays tout entier. Ce mouvement doit utiliser tous les outils à sa disposition pour atteindre et impliquer autant de travailleurs que possible. En rendant compte démocratiquement de ses dirigeants à la base, un tel mouvement peut se protéger contre l’infiltration de la droite, le sabotage et la pression des forces capitalistes qui espèrent le restreindre.

Ce mouvement peut résister à Trump en utilisant les tactiques qui ont fait leurs preuves : manifestations de masse et contre-manifestations, rassemblements, marches, réunions publiques, occupations et grèves, ainsi qu’en commençant à construire une action politique indépendante, ne faisant partie d’aucun des deux partis corporatistes, en présentant des candidats progressistes et de gauche indépendants et en utilisant la politique électorale comme une plateforme pour organiser une véritable opposition à Trump et à l’extrême droite. L’implication des syndicats dans ce mouvement est la clé de son succès. Les syndicats apportent à la table non seulement le pouvoir de l’action syndicale, mais aussi leur argent, leurs membres actifs et leur personnel d’organisation.

L’un des principaux objectifs d’un mouvement de protestation de masse contre Trump et la droite doit être la création d’un parti ouvrier. Confronté à chaque élection à un choix entre un candidat terriblement corporatiste et un autre candidat terriblement corporatiste, le soutien à Trump et à d’autres futurs populistes de droite capables d’utiliser efficacement ce mécontentement au service de leurs propres campagnes se poursuivra. Un parti indépendant fort, armé de la puissance d’un mouvement de masse de la classe ouvrière, des syndicats, de revendications et d’un programme socialiste de lutte, serait en mesure d’affaiblir sérieusement le soutien sur lequel s’appuient les populistes pro-capitalistes et d’offrir enfin un candidat pour lequel les travailleurs ont envie de voter, et pas seulement de voter contre.

Malgré Trump, les revendications peuvent être gagnées

Un mouvement visant à stopper les politiques de Trump et l’extrême droite ne peut pas être uniquement défensif. Si nous concentrons nos efforts uniquement sur la prévention des pires mesures proposées par Trump, nous nous retrouverons toujours dans le statu quo anti-ouvrier actuel qui nous a conduits ici en premier lieu. Un mouvement contre Trump doit également se battre pour des revendications qui bénéficieront à la classe ouvrière. Cela devrait inclure les revendications des mouvements sociaux qui ont lutté contre Trump : inscrire les protections de l’avortement dans la loi, protéger les immigrés, condamner les flics tueurs, démilitariser la police, et plus encore. Mais elles doivent aussi être liées à des revendications économiques : logements sociaux, soins de santé universels, salaire minimum à 30 $/h, meilleures conditions de travail, financement et amélioration des transports en commun et de l’éducation, et d’autres revendications visant à alléger la pression et la souffrance imposées aux classes populaires par les capitalistes et leurs deux partis politiques. La lutte pour ces revendications contribuera à son tour à attirer davantage de travailleurs dans le mouvement.

Ces réformes peuvent être financées en faisant ce qu’aucun des deux partis n’est prêt à faire : prendre les profits de la classe capitaliste, qui ont grimpé en flèche au cours des dernières années alors que les conditions des travailleurs se sont détériorées. Les réformes peuvent être gagnées, même sous Trump ! L’obtention de réformes ne dépend pas des bonnes grâces de la personne au pouvoir, mais de la pression que les travailleurs sont capables d’exercer sur la classe capitaliste. Un mouvement de masse contre Trump peut empêcher que le pire de son programme soit mis en place, et il peut aussi gagner des revendications vitales dont les travailleurs ont besoin et construire une riposte socialiste qui peut faire partie d’un mouvement visant à mettre fin au contrôle capitaliste sur notre politique et nos conditions de vie.