Centrafrique la France intervient à nouveau dans un pays d’Afrique

CENTRAFRICA-UNRESTHollande a annoncé, jeudi 5 décembre 2013, l’envoi de troupes françaises, sous mandat de l’ONU, pour renforcer la présence militaire en place. C’est la 40ème intervention française en Afrique depuis les indépendances. Quelles sont les raisons de cette reprise des activités militaires de l’impérialisme français en Afrique ? Quel rôle le gouvernement Hollande veut-il endosser après l’intervention au Mali ?

Centrafrique  : un pays potentiellement riche
Le pays regorge pourtant de ressources dans son sous-sol et pas des moindres : diamants à la surface, pétrole, uranium et terres cultivables. Or toutes ces ressources sont aujourd’hui soit sous exploitées, soit détournées, soit totalement inutilisées. La RCA dépend du coton, un des secteurs-clés des exportations avec ceux de l’extraction du diamant et de l’or qui sont en voie de s’effondrer. Les mineurs ne gagnent pas plus de 4 US dollars par jour. Dans la majorité des cas, les 80.000 à 100.000 mineurs de diamant en RCA travaillent dans des installations artisanales de taille réduite sans licences d’exploitation. Les pierres extraites sont souvent vendues à des trafiquants ou à des entreprises exportatrices pour un très faible pourcentage de la valeur de revente. Les mineurs de diamants font vivre plusieurs centaines de milliers d’habitants, mais c’est en se partageant la misère. L’extraction du diamant est faite à la main par des mineurs artisans qui vendent individuellement à des collecteurs qui vendent eux-mêmes à des bureaux d’achat qui vendent à de gros diamantaires surtout vers la ville belge d’Anvers.

Un pays exsangue et dépouillé
La Centrafrique est indépendante de la France depuis 1958. Or depuis le début, le pays passe de mains en mains sans qu’aucun développement social et économique digne de ce nom ait jamais existé durablement. Pas un seul dirigeant ne s’est illustré dans le développement du pays ni des infrastructures publiques… L’espérance de vie est désormais de 40 ans en moyenne et le virus du VIH court. On a assisté à une lente mais profonde désagrégation de l’état et une dégradation des conditions de vie.
Le gouvernement en place a été contraint malgré sa corruption complète de prendre des positions contre le commerce illégal du diamant suite à la mort de mineurs en mars 2013. Mais ces mesures placent les mineurs dans une situation où la peur de perdre leur emploi est de plus en plus forte. Par désespoir, beaucoup de mineurs artisanaux de diamant se sont tournés vers l’extraction de l’or, les prix pour l’or étant plus stables que ceux du diamant. Mais le commerce illégal de l’or est encore pire que celui du diamant. Cela pousse les mineurs à s’engager dans une extraction minière illégale dans des conditions périlleuses pour alimenter le marché noir. Areva possède un site d’extraction de l’uranium centrafricain, inactif depuis 2012 en raison du manque de sécurité dans la zone.

Des luttes récentes des travailleurs et la population
Malgré le fait que les médias occidentaux n’en parlent pas, les organisations ouvrières et syndicales existent dans le pays et n’ont pas disparu. Plusieurs mobilisations et grèves début 2013 se sont développées contre la hausse du coût de la vie, pour le paiement des salaires, pour un véritable accès à l’eau… On a ainsi assisté en février à des manifestationsdes enseignants vacataires du supérieur qui ont plombé prématurément la reprise des cours sur le campus pour réclamer du gouvernement le paiement de leur salaire qu’ils n’avaient pas perçu depuis 24 mois. Les enseignants du primaire se sont joints aux premiers grévistes pour demander leur intégration dans la fonction publique. Le 13 février, les habitants du quartier Gobongo de Bangui ont crié leur ras-le-bol face au manque cruel d’eau et d’électricité ces derniers temps dans leur secteur. Depuis plus de 3 jours ils étaient sans électricité et depuis des mois l’eau potable était devenue denrée rare. Les manifestants ont résisté devant les gendarmes déployés massivement sur les lieux. Les vendeurs ambulants se sont aussi mis en colère parce que les forces de l’ordre ont envahi tôt le matin du mercredi 13 février les abords des routes qu’utilisaient ces vendeurs pour leurs étalages, empêchant la circulation.
Michel Djotodia s’est emparé du pouvoir par un coup d’État en mars 2013 très peu de temps après la vague de luttes et de grèves. Ce n’est surement pas par hasard. Depuis la liberté syndicale a été abolie et toute forme de rassemblement a été interdite. Les rebelles Sélèka, ses alliés, erraient dans les rues de la ville et dans les campagnes en attaquant les gens, et il ne se passait pas un jour sans entendre parler de violents incidents. Et ce, inhabituellement, sans aucune réaction de la France.

Le rôle historique de la France
Dès le début de l’indépendance centrafricaine, la France a eu une forte intervention politique dans le pays. La France a soutenu tous les régimes en place sous Mitterrand et Chirac par enjeu économique mais aujourd’hui tout autant géostratégique pour éviter l’éclatement d’un autre pays d’Afrique.
Ceci s’est illustré par le soutien militaire et financier au président puis empereur autoproclamé Bokassa entre 1966 et 1979. Ce soutien s’est ancré dans la mémoire par l’implication du président Valéry Giscard d’Estaing participant aux chasses de Bokassa et acceptant les diamants du dictateur sanguinaire. Après le coup d’état de 1979 contre Bokassa orchestré par la France, l’ancienne puissance coloniale a placé des présidents fantoches sous régence, de 1980 à 1993, d’un lieutenant colonel français JC Mantion, et notamment Patassé de 1993 à 2003.
La France a formé le plus jeune général de Bokassa, François Bozizé qui est devenu président après la chute de Patassé. Après plusieurs tentatives avortées. Bozizé prend le pouvoir par un coup d’état en 2003, soutenu par la France.
En 2013, Bozizé semble vouloir changer d’alliances économiques et promet des contrats à la Chine avec le Petroleum of China et à l’Afrique du Sud, alliés dans la région face aux impérialistes américain et français.
Dans cette situation, la tactique de Hollande a été de ne pas intervenir contre le renversement de Bozizé par la Séléka («coalition» en langue Sango, qui regroupe des forces dont le seul accord est d’être contre Bozizé) et Michel Djotodia en mars 2013, étant de plus déjà engagé au Mali. Il a sûrement aussi préféré voir venir et pouvoir éventuellement récupérer le tout quand les conditions diplomatiques le permettront, notamment d’un possible prétexte lié au chaos créé par l’hétérogénéité de la Séléka.

Un facteur d’instabilité géopolitique trop fort
La France, sous mandat de l’ONU, intervient maintenant car le pouvoir de Michel Djotodia est très affaibli. L’objectif tracé par l’ONU et répété par le ministre de la Défense LeDrian est de «reconstruire un pays détruit». Dans la réalité, un peu comme au Mali, la motivation première est d’éviter une désagrégation complète de l’Etat et de restaurer un régime, quel qu’il soit, qui reste à la botte de l’impérialisme français. Mais le pays a tellement été épuisé par ces années d’instabilité et tellement vidé de ses ressources que les impérialistes doutent de pouvoir restaurer un régime sans qu’il soit sous contrôle permanent d’armées étrangères au service des impérialistes, avec mandat de l’ONU pour la forme. Ce pays très chaud depuis longtemps est devenu un facteur d’instabilité dans la région.
Les médias ont appuyé l’intervention française parlant de situation pré-génocidaire et de risques de conflits inter-religieux. Qu’en est-il ? Le pays est en très grande majorité chrétien. La population chrétienne se situe dans les régions du Sud le plus souvent. Les rebelles de la Séléka, surtout des jeunes chômeurs désœuvrés viennent souvent du Nord et sont pour la plupart musulmans comme Michel Djotodia, premier chef centrafricain musulman. La majorité de la population a vécu dans des zones mixtes religieuses sans problèmes, mais l’aggravation de la misère, accélérée par la crise économique, intensifie les tensions. Aujourd’hui, les conflits prennent davantage une tournure religieuse par les circonstances que par une division «historique». Les récentes attaques contre des musulmans par les groupes d’autodéfense antibalaka (anti machette en Sango) s’appuient sur une propagande anti musulmans qui sont souvent des commerçants dans cette région et sont réputés plus riches. Mais c’est évidemment afin de créer la division dans la Séléka au profit de Bozizé et de ses troupes.

Une potentielle poudrière régionale
La Centre-Afrique est au cœur d’une zone qui connaît des conflits frontaliers comme le Soudan. L’Ouest du pays est proche du Nord Cameroun qui sert déjà de zone de repli possible pour les islamistes de Boko Haram en lutte avec le gouvernement du Nigeria. Des troubles ont déjà eu lieu à la frontière camerounaise. Il est évident que l’état de démantèlement de la Centrafrique est tel qu’il peut renforcer les risques d’explosion régionale. L’intervention française a donc avant tout un rôle géostratégique : celui de pacifier la région, de réduire à néant les troupes Séléka qui dévastent le pays sans objectif très précis autre que de saccager et se servir dans les biens. Pour les impérialistes, en particulier la France et les États-Unis, l’écroulement complet de l’état centrafricain est un élément trop déstabilisant pour la région. C’est aussi un frein désormais pour leurs possibilités de continuer à profiter des ressources notamment diamantaires et petrolifères d’Afrique. Cette question est d’autant plus centrale pour les capitalistes que les luttes dans les mines d’Afrique du Sud montrent l’exemple et entravent les ambitions des capitalistes.
Il y a peu à attendre d’une intervention française et d’une présence onusienne dans les années à venir en Centrafrique. La France ambitionne d’organiser des élections en 2014. Et c’est là son seul projet avec celui de transférer le pouvoir à la mission de l’ONU localement. Sachant que cette mission est en majorité tchadienne et que son président Idriss Déby appuie le maintien des Seleka et de Djotodia au pouvoir, couvrant leurs exactions, les espoirs d’accord rapide sont limités.
Il est vrai que les troupes françaises ont été bien accueillies par la majorité des habitants. Bien entendu, si les violences cessent ou diminuent, les habitants seront soulagés. Il faut comprendre que les conditions de vie sont tellement catastrophiques que par exemple lorsque Fabius a rendu visite à Djotodia en novembre dernier sur place, les habitants ont cru qu’il avait amené dans sa valise de quoi payer les salaires des fonctionnaires centrafricains ! Est ce que cela veut dire que la population centrafricaine préférerait un retour une domination directe de la France  ? Certainement pas. Il est par contre compréhensible que la majorité de la population cherchent des éléments qui permettraient même de manière très temporaire de stopper la désagrégation de la société et la dégradation de leurs conditions de vie. Pourtant l’intervention française n’est pas une solution, même de court terme, et risque d’entraîner l’inverse.

S’appuyer sur le mouvement des travailleurs et des populations pauvres
Contre les violences et les exactions, les troupes françaises et celles de L’ONU n’ont jamais rien changé voire elles ont pris partie. Elles n’ont rien à faire en Centrafrique ! Et il ne faut accorder aucune confiance ni dans la séléka ni en Bozizé qui défendent des intérêts particuliers. Il faudrait au contraire que des milices d’autodéfense non confessionnelles, ouvertes à tous et à toutes et démocratiques soient organisées.
Et face à la désagrégation du pays, les acteurs des luttes et les animateurs et dirigeants des grèves de février 2013 ont un rôle à jouer pour qu’un mouvement indépendant rassemblant les travailleurs, les paysans et les masses pauvres des villes émerge face aux corrompus des gouvernements successifs. C’est par exemple le cas en Afrique du Sud avec la création du Workers and Socialist Party créé après les grèves historiques des mineurs l’an dernier.
Un tel mouvement, démocratique, non confessionel et non ethnique permettrait d’établir les revendications des luttes concernant l’eau, la santé, l’école etc. Et face à la misère dans le pays, il faudrait utiliser les formidables richesses du pays, les reprendre aux entreprises qui les exploitent. L’expropriation et la mise en commun par la nationalisation des sites miniers de diamant et d’or permettraient déjà de sortir de la misère les mineurs artisans à leur compte et de pouvoir nourrir et développer le pays sous le contrôle démocratique et la gestion collective des travailleurs et de la population.

Leila Messaoudi