Interview de R.C. délégué CGT Amazon Montélimar. Par Rachel Mahé
RM : Les négociations annuelles obligatoires (NAO) ont commencé à Amazon dans une situation sociale tendue, avec l’inflation galopante. L’état d’esprit des travailleurs face à ces négociations internes est-il différent des autres années ?
RC : Les attentes des salariés sont d’autant plus grandes cette année sur la question des salaires au vu de l’inflation. Il y a de plus en plus de difficultés à boucler les fins de mois, cela crée beaucoup de colère et de l’incompréhension au vu des profits réalisés par l’entreprise grâce à notre travail. Dans ce contexte, la nécessité de partager la richesse devient évidente pour tout le monde, ça ne se traduit pas toujours par de la combativité, mais c’est déjà un début. Cette année, avec la CGT, nous exigeons 10% d’augmentation afin de suivre à minima l’augmentation du coût de la vie.
RM : L’an passé, la direction proposait 2% d’augmentation de salaire mais cette augmentation a finalement été levée à 3,5% grâce à la mobilisation des syndicats et à un mouvement de grève national. Cela a-t-il donné confiance aux salariés pour créer à nouveau un rapport de force cette année ?
RC : Le mouvement de l’an passé n’a pas été réellement considéré comme une victoire par les salariés, étant donné que l’augmentation finale obtenue est restée bien en dessous des 5% revendiqués, qui correspondaient à l’inflation à cette époque. D’ailleurs, après consultation des salariés sur tous les sites, les organisations syndicales n’ont pas signé l’accord. Néanmoins, il est important de rappeler que sans rapport de force, l’augmentation serait restée a 2%, et qu’avec un mouvement qui aurait tenu dans la durée, nous aurions pu obtenir bien plus. D’ailleurs, la décision de la direction d’appliquer quand même l’augmentation de 3,5% par décision unilatérale montre qu’ils craignaient que le mouvement ne reprenne. C’est important de mettre ça en avant pour montrer que seule la lutte paie, et tirer aussi les leçons de ce qui aurait pu mieux fonctionner dans la construction du rapport de force.
RM : Mis à part la question des salaires, y a-t-il d’autres enjeux dans ces négociations ? Quelles sont les revendications portées par la CGT et y a-t-il déjà des actions prévues au niveau national ?
RC : Pour l’instant peu d’actions sont prévues, il manque un plan de bataille au niveau national. Tout le monde est un peu dans l’attentisme, tout en sachant très bien que ce que proposera la direction ne sera pas satisfaisant. D’ailleurs la 1ere réunion durant laquelle aucune proposition n’est ressortie a bien montré que la direction joue la montre et essaie de gagner du temps, et n’a aucune volonté de négocier quoi que ce soit. Son discours sur la situation de l’entreprise qui serait moins florissante que les années précédentes montre bien cette intention de ne rien partager avec les salariés. Mis à part la question des salaires, la question du temps de travail est aussi importante. La CGT revendique entre autre le passage aux 32h hebdomadaires sur 4 jours sans perte de salaire, une 6e semaine de congés payés, des jours de congés supplémentaires pour événements familiaux (enfants malades, décès…).
RM : Sur le site Amazon Montélimar, vous êtes parvenus à organiser une intersyndicale autour de la mobilisation contre la réforme des retraites et les premières journées de grève du mouvement ont été bien suivies. Comment cela se passe-t-il sur les autres sites et penses-tu que cela impacte l’ambiance des négociations ?
RC : A ce que je sache il n’y a pas eu d’intersyndicale sur les autres sites. Ici cela a incité beaucoup de salariés à se mettre en grève et se rendre aux manifestations, y compris des salariés non syndiqués dont c’était la première mobilisation. Pour l’instant, le mouvement contre la réforme des retraites et les NAO sont vécues comme deux choses bien distinctes. Le 9 mars sur Montélimar nous appellerons les salariés à débrayer pour les NAO, ce qui se fera dans la continuité des journées de grève du 7 et 8 mars contre la réforme.
RM : Bien que toute la politique de Macron soit en faveur des capitalistes, le lien entre les attaques du gouvernement et les conditions de travail dans l’entreprise n’est pas forcément évident. Penses-tu que le mouvement de grèves contre la retraite à 64 ans rende difficile la mobilisation autour des NAO ou au contraire l’encourage ? Ce lien est-il fait par la CGT et dirais-tu qu’il est présent dans les esprits ?
RC : Je pense que ce qu’il se passe à l’heure actuelle autour de la réforme des retraites ne peut qu’encourager les salariés à se mobiliser pour d’autres revendications. D’ailleurs, parmi les travailleurs qui se rendent aux manifestations, beaucoup le font aussi pour la question des salaires, des conditions de travail, etc. C’est un peu comme si cette attaque sur les retraites était la goutte d’eau de trop. Pour beaucoup de gens, il y a ce sentiment que toutes ces problématiques, que ce soient les attaques du gouvernement, ou ce qu’il se passe dans les entreprises, sont liées et découlent du même système, même s’ils ne savent pas forcément le définir précisément.
A la CGT nous essayons de faire le lien entre toutes les revendications, même si cela ne va pas toujours assez loin vers une remise en question totale du système capitaliste. Mais dans des périodes comme celles-ci, les choses peuvent évoluer très vite et le niveau de conscience peut vite faire un bond chez les travailleurs, syndiqués ou non. Beaucoup de choses sont possibles. A nous d’accentuer la pression à la base, pour que les travailleurs prennent conscience de leur force collective et de leur capacité à reprendre ce qui leur revient de droit.