Alliance du Nord

Que peuvent faire Lakhdar Brahimi et Francesc Vendrell ? Voici une question que se posent en privé certains officiels de l’ONU. Brahimi est diplomate chargé du dossier afghan à l’ONU et Vendrell le représentant des Nations Unies. Et de poursuivre :  »Chaque faction a repris ou est en train de reprendre son ancien fief. Les Pashtouns ne s’entendront probablement jamais avec l’Alliance du Nord et, dans les faits, personne ne veut vraiment du roi Zaher Shah, même en tant que symbole de l’unité nationale.

Article paru dans l’Egalité n°92

L’Afghanistan risque bientôt de ressembler à un patchwork de baronnies et de zones entre lesquelles il sera difficile de circuler. » De son côté le journaliste pakistanais Ahmed Rashid explique que  »les chefs tribaux n’ont pas d’idéologie, juste des intérêts à défendre. »

Il est évident qu’après la prise des principales villes du pays, les dirigeants de l’Alliance du Nord ne veulent pas renoncer à un rôle central. L’ONU et les Etats-Unis ne peuvent pas quant à eux se satisfaire d’un gouvernement dont les hommes forts, ayant chacun leur soutien extérieur, sont loin d’êtres unis et ne pensent avant tout qu’à défendre leurs propres intérêts. Ils se sont d’ailleurs tous affrontés ou trahis au cours ou à l’issue de la guerre contre l’armée soviétique.

Ismael Khan : l’ « Emir »

C’est un militaire de formation qui vient de reprendre Hérat à l’Ouest de l’Afghanistan. Il quitte l’armée du gouvernement stalinien de Nadjibullah en 79, et entre en guerre contre l’armée soviétique. Autoproclamé  »Emir d’Hérat » en 92 après la chute du gouvernement de Nadjibullah, il entretient des liens commerciaux avec l’Iran et le Pakistan. Quand les Talibans commencent leurs offensives en 94, il a largement les moyens de leur tenir tête, mais les lignes de front se retournent mystérieusement et les Talibans prennent la ville presque sans combattre. Réfugié en Iran, il constitue des troupes et tente de reprendre Hérat en 96 avec plusieurs milliers d’hommes. Il échoue dans sa tentative et est emprisonné suite à la trahison d’un de ses commandants. Après un an de prison à Kandahar, il s’échappe de façon tout à fait mystérieuse et rejoint l’Iran où il reforme une armée.

Abdoul Qassem Fahim : le fidèle de Massoud

Officiellement, c’est lui qui assure le commandement militaire de l’Alliance du Nord depuis la mort de Massoud. Fils de religieux, il étudie le droit islamique et rejoint Ahmed Shah Massoud en 80 à la fin de ses études. Gravissant rapidement les échelons, il devient responsable de ses réseaux de renseignements. Quand Massoud est nommé ministre de la défense du gouvernement Rabbani, Fahim devient le chef des services de renseignements. Bon nombre d’Afghans et de femmes afghanes se souviennent des méthodes de ses services : massacres de civils, Pachtouns le plus souvent, pillages et tortures.

Abdoul Karim Khalili : l’allié de l’Iran

Il dirige le Parti de l’unité, constitué de 8 petits partis chiites composés essentiellement de Hazzaras. Il a été formé à Téhéran en 90 et revendique une force militaire de 10 000 hommes. Ministre des finances du gouvernement Rabbani en 93, il se réfugie sur la région de Bamiyan en 98 et fait construire une piste d’aviation permettant à l’armée iranienne de le fournir en matériel militaire. Le 18 novembre il reprenait la ville de Bamiyan.

Hamid Karzai : l’homme de l’ombre

Il est le représentant officiel au Pakistan de l’ancien roi d’Afghanistan, Zaher Shah. Tous deux sont d’ethnie Durani. Il devient vice-ministre des affaires étrangères sous Rabbani, puis accueille les Talibans avec bienveillance en 96 pour se raviser par la suite. Il dirige depuis octobre dernier une opération secrète consistant à inciter les tribus pachtounes à se soulever contre les Talibans.

Gulbuddin Hekmatyar : l’allié du Pakistan

Il dirige le parti islamique. Alors qu’il tendait des embuscades aux hommes de Massoud pendant la guerre contre l’armée soviétique, il devient Premier ministre de Rabbani et assiège Kaboul défendu en ce temps par Massoud, le ministre de la défense. Très lié aux services secrets pakistanais il en exerçait les basses œuvres en Afghanistan. Aujourd’hui, l’ennemi juré de Massoud vient de rejoindre l’Alliance du Nord.

Rachid Dostom : le champion de la trahison

A lui seul, il résume l’hétérogénéité de l’Alliance du Nord et les intérêts qui divergent en son sein. Chef de guerre ouzbek soutenu par l’Ouzbékistan et la Turquie, il dirige le Mouvement national islamique. Formé par l’armée soviétique, il est déclaré  »héros de la République » en 91. Un an plus tard, il sent le vent tourner et rejoint Massoud alors en place à Kaboul. Il s’allie plus tard à Hekmatyar et tente sans succès un siège de Kaboul contre Massoud. Il regagne le Nord et constitue un mini-état de 5 millions d’habitants dont la capitale est Mazar-i-Sharif et qui dispose de sa propre monnaie. Il perd Mazar-i-Sharif au profit des Talibans en 97 qui se sont appuyés sur Malik son rival. Après un exil en Turquie il reprend Mazar-i-Sharif et s’allie avec Massoud. En 98, il perd à nouveau Mazar-i-Sharif face aux Talibans suite à une trahison de ses généraux. Il reprenait la ville le 16 novembre. Le peu de cohésion de l’Alliance du Nord et son peu de reconnaissance au sein de la population afghane rend inquiète l’ONU qui cherche à imposer un gouvernement qui satisfasse ses intérêts et mène la politique ultralibérale demandée.

Par Sylvain Bled