Venezuela : Chavez l’anti-capitaliste ?

Le Venezuela représente aujourd’hui la pointe avancée de la remise en cause du capitalisme. Hugo Chavez, son président depuis 1998 dit ouvertement qu’il n’y a qu’une alternative : « capitalisme ou socialisme « . Lors d’un sondage au Venezuela, à la question « préférez vous un gouvernement socialiste ou un gouvernement capitaliste ? » 47,8 % ont répondu un gouvernement « socialiste », et 22,7% un gouvernement capitaliste. Mais que veut dire construire le socialisme aujourd’hui au Venezuela ?

Le Venezuela est un pays potentiellement très riche : 5ème producteur mondial de pétrole, dont il fournit 15% du marché américain. Mais les revenus issus de cette ressource sont très inégalement répartis. Alors que les recettes issues du pétrole pour l’Etat ont quadruplé depuis le milieu des années 70, le pouvoir d’achat de ceux qui touchent le salaire minimum (405 000 « bolivars », le prix d’une baguette de pain est de 500 « bolivars », mais 53% de la population active travaille dans le secteur informel, donc clandestinement et sans salaire minimum), a diminué des 2/3 entre 1978 et 1995. Cet état de misère, auquel il faut ajouter l’absence de service public de santé ou d’éducation, a favorisé l’entrée sur scène de Hugo Chavez.

« L’un des nôtres »

Hugo Chavez est indien, d’un milieu assez pauvre. Alors qu’il était officier en exercice il a refusé de faire tirer sur les manifestants lors des grands mouvements de protestation au début des années 90. En 1998, une partie importante des classes les plus pauvres et des classes moyennes l’a donc élu président. Chavez s’inspire de Simon Bolivar, leader de la révolution du même nom, qui voulait faire la Grande Colombie, sorte d’Etats Unis d’Amérique du Sud. Le rêve bolivarien, c’était de développer le capitalisme sud américain pour faire contrepoids aux USA. Aux côtés de revendications démocratiques et sociales, reste l’idée que tout cela serait possible dans le cadre du capitalisme. Bolivar s’est déjà lui même cassé les dents sur ces rêves, et Chavez a dû peu à peu modifier son orientation.

De 1998 à 2002, les choses n’évoluent pas fondamentalement. Si quelques avancées sont faites, le discours de Chavez tient plus du populisme. Sa dénonciation de l’impérialisme américain reste verbale avant tout. C’est la tentative de le renverser par un coup d’état qui va mettre le feu aux poudres. Les classes dirigeantes vénézuéliennes, en cheville avec la hiérarchie de l’Eglise catholique, et des milieux d’affaires américains, ont commencé une campagne d’agitation contre le gouvernement Chavez. En avril, Chavez fut renversé. Mais le gouvernement de transition ne tint que 37 heures ! Alors que le gouvernement se cachait et que Chavez ne disait rien, des centaines de milliers de personnes, venues des quartiers pauvres, envahirent la capitale et cernèrent Miraflorès, le palais présidentiel. Sous l’impulsion de ce mouvement de masse, Chavez fut réinstallé au pouvoir, et la « révolution bolivarienne » prit sous cet impact un tournant à gauche.

C’est souvent le fouet de la réaction qui fait avancer la révolution. Chaque tentative de la droite et des milieux d’affaires pour déstabiliser Chavez a été contrée par une mobilisation croissante des masses. Dans le même temps, Chavez s’est vu contraint de répondre un peu plus aux aspirations populaires, seul moyen pour lui de continuer à recevoir le soutien populaire nécessaire à la révolution bolivarienne.

Une situation internationale favorable

Deux éléments jouent énormément en faveur de Chavez. D’une part le prix élevé du pétrole qui a généré une augmentation de 22 milliards de $ en 2001 à 29 milliards en 2004 des revenus issus du pétrole. D’autre part, les USA, embourbés en Irak, n’ont ni les moyens ni l’envie d’ouvrir un deuxième front, et donc privilégient des solutions locales. Même si Chavez représente une gêne pour leurs plans dans la région, ils prennent garde de ne pas entièrement se couper de lui.

Malgré ces avantages, Chavez avance à petits pas. Le taux de pauvreté n’a pas baissé (il serait même passé de 54% en 1999 à 60% en 2004), l’inflation reste autour de 15%, et la moitié de la population n’a pas de logement décent.

A coté de cela, l’ouverture des « missions » fournissant éducation et soins (grâce notamment à la présence de milliers de médecins cubains), sont de véritables avancées pour les pauvres du Venezuela : 17 millions de personnes ont désormais accès aux soins. Mais si les cours du pétrole venaient à chuter, la situation pourrait devenir rapidement catastrophique, la récession économique frapperait le pays, et l’inflation prendrait des proportions gigantesques.

Conscient que les difficultés économiques restent fortes, Chavez a donc initié le débat sur le « socialisme du XXIème siècle ». C’est à la fois une manière de radicaliser son discours, et de pouvoir justifier la faiblesse des avancées dans certains domaines par sa vraie cause : le capitalisme. Mais justement, de quoi parle-t-il lorsqu’il prononce le mot socialisme ?

Le socialisme n’est pas un simple slogan

Car Chavez ne dit rien de précis sur l’orientation pour construire ce fameux socialisme du 21ème siècle. Dans ses discours, il cite aussi bien Mao que Trotsky. Dans sa tournée récente en France, il va aussi facilement à un meeting avec la LCR et le PCF qu’à un dîner organisé par Villepin avec la présence des pires carnassiers du patronat français (Total, Sanofi etc.).

Le socialisme ne s’imposera pas tout seul au fur et à mesure que le capitalisme s’effriterait peu à peu. Il requiert un plan économique, une intervention massive et consciente des travailleurs, ainsi qu’un contrôle démocratique de ces travailleurs sur l’économie. De même, le socialisme ne se construit pas sans orientation authentiquement internationaliste, c’est à dire en avançant une politique dont peuvent se saisir les travailleurs du monde entier.

Force est de constater que sur tous ces éléments, Chavez ne propose rien ou reste très vague. Cela n’a rien d’étonnant, Chavez en est venu à parler du socialisme par la force des évènements et pas parce qu’il était de longue date convaincu de la nécessité de cette alternative. Comme toujours, il est assez significatif que les critiques envers Chavez et sur la situation au Venezuela sont plus importante au sein de la gauche vénézuélienne ou dans l’Amérique latine, que dans les organisations « marxistes » d’Europe ou d’Amérique du Nord. Pourtant, l’analyse approfondie de la situation d’un pays, la critique de ses dirigeants, la formulation de l’orientation que l’on pense être nécessaire est bien le minimum que toute organisation qui se dit être pour le socialisme se doit de faire. On en est loin avec des organisations comme la LCR ou d’autres qui se contentent d’acclamer Chavez comme modèle anti-Lula. Pour nous, la sincérité de Chavez n’est pas une question primordiale. Il n’existe pas de « sincéromètre », ce que nous pouvons juger c’est la politique faite et les discours prononcés. Pour l’instant, Chavez n’a pas mis en place de plan de nationalisation démocratique de l’économie. Il avance aujourd’hui la question de la « cogestion » dans les entreprises mais sans jamais dire clairement si c’est une gestion par les travailleurs ou une gestion en commun avec les patrons, ce qui évidemment ne donnerait pas du tout les même résultats. En fait, Chavez n’a pas une idée claire de ce que peut être son « socialisme du 21ème siècle ».

Par exemple, les 79 000 coopératives mises en place en 6 ans (principalement dans l’agriculture et les services) apportent un mieux par rapport au chômage mais tout ceci reste dans le cadre du capitalisme donc soumis à la loi du marché, la concurrence etc. Tant que les grands moyens de production et de distribution ne sont pas nationalisés sous le contrôle démocratique des travailleurs, ce sont les aléas de l’économie capitaliste qui seront dominants. En acceptant la nationalisation de quelques usines sous la pression de grèves ouvrières Chavez a plus réagi pour satisfaire des revendications qu’avec un plan pour avancer.

La nécessité d’un parti révolutionnaire de masse

Au plan international, le rôle de Chavez est ambigu : au Brésil il a dénoncé l’affaire de la corruption autour de Lula comme un complot de la droite, en Equateur il a fournit gratuitement du pétrole pour que ce pays honore ses obligations de livraison pour les USA alors que 200 puits d’Equateur étaient occupés par les travailleurs en grève etc.

Dans tous les mouvements de masse qui se sont produits au Venezuela ces dernières années, la classe ouvrière a joué un rôle actif mais pas central. Il lui manque un parti qui lui donnerait une véritable indépendance politique, lui permettrait d’élaborer un véritable programme socialiste qui guiderait ainsi les masses populaires du pays.

Il ne s’agit pas de mettre Chavez sur le même plan que les impérialistes. Certaines mesures de la révolution bolivarienne, comme les comités de quartier, ont avant tout besoin d’être réellement démocratisées et étendues, d’exercer un pouvoir réel etc. Mais d’autres, comme le contrôle effectif par les travailleurs des principaux moyens de production, ne seront réellement mises en place que si les travailleurs s’organisent autour d’un véritable programme socialiste.

L’Amérique latine est un continent en révolte. Une révolution socialiste au Venezuela aurait un impact immédiat, montrerait la voie à ces pays en ébullition que sont la Bolivie ou l’Argentine, cela redonnerait également une voie de sortie vers le socialisme authentique pour Cuba et non la caricature bureaucratique qui y existe aujourd’hui.

Par Alex Rouillard, article paru dans l’Egalité n°116