En 2013, le célèbre physicien britannique Stephen Hawking a décliné une invitation à être orateur lors d’une conférence tenue à Jérusalem, rejoignant ainsi d’autres personnalités défendant le boycott d’Israël d’une manière ou d’une autre. Cette campagne de boycott, après l’horreur de la guerre de Gaza en 2008-09, l’assassinat d’assistants humanitaires turcs, les attaques de la Flottille de la Liberté, la semaine d’attaques militaires à Gaza en novembre 2012 [ce texte datant de 2013 on pourrait encore bien entendu rajouter les bombardements actuels dont la Bande de Gaza est actuellement victime] peu compter sur un certain soutien. Comment, selon nous, les syndicalistes combatifs et les défenseurs des idées du socialisme doivent-ils réagir face aux campagnes de boycott ? Questions-réponses.
Dossier de Judy Beishon du Socialist Party d’Angleterre et du Pays de Galle, initialement publié dans le magazine Socialism Today en juin 2013
Quelle est l’origine de cette campagne de boycott ?
Il y a eu plusieurs appels à des sanctions et des boycotts, certains provenant même d’Israéliens, après le début de la deuxième Intifada palestinienne en 2000. Ce mouvement a été confronté à une répression particulièrement brutale de la part du régime israélien. Lors d’une conférence des Nations Unies contre le racisme tenue en 2001 en Afrique du Sud, des sanctions ont même été évoquées. Les délégués américains et israéliens ont quitté la conférence en réaction. En 2002, une série d’organisations palestiniennes ont lancé un appel au boycott. Et, en 2004, à Ramallah, une campagne de boycott académique et culturel a été lancée.
Un an plus tard, un appel de la “société civile” en Palestine a suivi visant au “boycott, aux désinvestissements et aux sanctions” (BDS). Cet appel stipulait que la campagne doit être menée jusqu’à ce qu’Israël “se plie complètement aux lois internationales” et, par conséquent, mette un terme à l’occupation et la colonisation de toute terre arabe. Cela se réfère notamment aux territoires conquis par la Guerre des 6 Jours de 1967. Il a également été fait appel à la destruction du mur de séparation, à la reconnaissance des droits des citoyens palestiniens et au respect du droit au retour des réfugiés palestiniens.
Ces revendications étaient soutenues, à juste titre, par la plupart des organisations de travailleurs et des syndicats de par le monde. Beaucoup soutiennent aussi l’appel BDS. Mais la plupart du temps, les syndicats sont, et c’est compréhensible, très sélectifs par rapport aux éléments de cette campagne qu’ils soutiennent.
La solidarité internationale est-elle importante pour les Palestiniens ?
Évidemment ! Les Palestiniens de Gaza et de Cisjordanie vivent dans d’horribles conditions. Ils sont régulièrement attaqués par l’armée israélienne, qui vise à assassiner et à intimider. L’armée a pour ainsi dire totalement bloqué Gaza, alimentant ainsi le développement d’une énorme pauvreté, de la sous-alimentation, du chômage et des frustrations dans cette bande de territoire à forte densité de population. Les travailleurs du monde entier éprouvent un sentiment tout à fait légitime de colère et de dégoût vis-à-vis des brutalités et de la répression du régime israélien. Il est, dès lors, compréhensible que nombreux sont ceux qui veulent soutenir les campagnes de boycott ou de sanctions si cela peut avoir un effet. Le niveau de vie particulièrement bas, la discrimination et les aspirations nationales réprimées des réfugiés palestiniens dans les pays avoisinants et des Palestiniens en Israël même ne doivent pas être oubliés non plus.
Un boycott peut-il jouer un rôle dans la lutte palestinienne ?
Un certain nombre de formes de boycott peuvent renforcer la conscience autour du sort des Palestiniens et peuvent être utiles comme campagne complémentaire à d’autres actions et formes de soutien. Cela peut contribuer à la croissance du sentiment “d’isolement” ressenti à l’échelle internationale par la classe dirigeante israélienne. Cela peut aussi ajouter une pression pour l’obtention de concessions destinées à quelque peu améliorer le sort des Palestiniens. Dans certains cas, cela peut aussi mettre sous pression les bénéfices des capitalistes israéliens et des multinationales qui profitent de l’occupation israélienne.
Mais de manière générale, il y a des limites à ce qu’un boycott peut réaliser. Le cœur de la lutte pour la libération palestinienne doit consister en une action de masse des Palestiniens eux-mêmes. Particulièrement sous contrôle et organisation démocratiques des travailleurs palestiniens eux-mêmes, cela sera incomparablement plus efficace pour la lutte palestinienne que toute action provenant de l’extérieur.
Les Palestiniens ont organisé des actions massives lors de la première Intifada à partir de 1987. Cela a conduit à une série de concessions dans le cadre du processus des accords de paix d’Oslo, ce à partir de quoi l’Autorité Palestinienne (AP) a été mise sur pied en 1994. Puisque ce processus n’a pas conduit à des améliorations concrètes et que d’autres occupations juives ont suivi, la deuxième Intifada (qui a commencé en 2000) a alors pris place. Malheureusement, cette lutte ne se basait plus sur des actions de masse mais sur des groupes et organisations secrets qui, par désespoir, se livraient à des attentats suicide et à d’autres attaques sur les citoyens israéliens.
Ces dernières années, une nouvelle génération de Palestiniens est entrée en lutte. Cette génération a été influencée par le fantastique mouvement de masse de 2010-2011 en Tunisie et en Égypte. De grandes manifestations de Palestiniens ont eu lieu dans les territoires occupés et des actions massives ont également eu lieu en Israël, entre autres en solidarité avec les Palestiniens retenus dans les prisons israéliennes, mais il y a également eu des grèves contre la politique d’austérité. La « révolte des tentes » de 2011 fut ainsi le plus large mouvement social qu’Israël ait connu.
Ces mouvements nécessitent un plan d’action permettant leur déploiement avec une escalade du mouvement contre la politique d’austérité et l’occupation. Une lutte de masse planifiée démocratiquement peut être dirigée contre divers éléments d’oppression comme le mur de séparation, le vol de terres, les barrages ou la violence systématique de l’armée israélienne.
Les travailleurs et les pauvres tunisiens et égyptiens ont démontré à quel point des actions massives peuvent être efficaces, même si leurs révolutions n’ont pas encore mis fin à l’exploitation capitaliste. Des campagnes internationales pour un boycott ou des sanctions n’auraient pas pu écarter les dictateurs de ces pays, de même que la longue période de sanctions contre le régime de Saddam Hussein en Irak de la part des puissances occidentales capitalistes n’a pas mis fin au régime. Les sanctions impérialistes occidentales n’ont pas mis fin non plus au régime iranien. Ce régime utilise au contraire ces sanctions afin de raffermir son soutien, et ce sont les citoyens iraniens qui paient le lourd tribut que ces sanctions impliquent.
Les travailleurs doivent avant tout internationalement soutenir les Palestiniens dans la construction de leurs propres organisations de travailleurs indépendantes en dehors des ONG ou des politiciens pro-capitalistes. Ce n’est qu’alors que les masses palestiniennes pourront elles-mêmes décider de la manière de mener et d’organiser la lutte. Les syndicalistes peuvent créer des liens internationaux avec les travailleurs palestiniens organisés et leur offrir une aide matérielle. Des campagnes de boycott peuvent y contribuer pour autant qu’elles soient soigneusement choisies, mais elles ne doivent pas se substituer au soutien actif à la lutte de masse. Il est faux de croire qu’un boycott de l’extérieur – une forme d’action relativement passive – sera de nature à conduire à la libération de la Palestine.
Dans la lutte contre l’occupation, les Palestiniens de Cisjordanie et de la bande de Gaza ont la tâche d’écarter les dirigeants politiques pro-capitalistes afin de poser les bases d’une société totalement différente : une société basée sur un programme socialiste qui sert les intérêts de la majorité de la population et pas ceux de l’infime élite au sommet.
Comment se fait-il qu’une majorité des travailleurs israéliens soient pour un État palestinien mais pas pour les campagnes de boycott ?
De plus en plus de juifs israéliens remettent en question l’occupation des territoires palestiniens. Pour l’instant, environ deux tiers de la population juive sont favorables à l’idée d’un Etat palestinien. Mais une intense propagande du gouvernement israélien et des médias est en cours pour justifier la prise de ces territoires en argumentant que c’est essentiel pour la sécurité du pays. Les attaques de roquettes tirées de Gaza sur des villes israéliennes sont utilisées pour justifier la répression, la construction du mur de séparation ou les limitations à la libre circulation des personnes et des biens. Officiellement, il s’agit de protéger les Israéliens. Cette instrumentalisation est renforcée par la peur d’attaques de la part d’autres pays de la région, de l’Iran en particulier. Dans le cadre de cette propagande réactionnaire, la campagne BDS est présentée par la plupart des politiciens israéliens comme étant antisémite et un rejet du débat démocratique.
Beaucoup de juifs israéliens craignent à juste titre pour leur sécurité et veulent, dès lors, protéger le pays. Ceci, en plus de la propagande constante, fait qu’une grande partie de la population israélienne estime que les partisans d’une campagne BDS ne comprennent pas la situation en Israël. Beaucoup de juifs israéliens sont très critiques vis-à-vis de la violence de leur gouvernement à l’encontre de la population palestinienne mais, en même temps, ils ne voient pas pourquoi les travailleurs israéliens devraient être sanctionnés par les conséquences d’un boycott.
Nous devons donc tenir compte du fait qu’une campagne de boycott peut servir la propagande du gouvernement israélien dans son propre pays et que cela peut creuser un fossé entre les travailleurs d’Israël et ceux du reste du monde. Il faut donc peser le pour et le contre entre ces conséquences négatives et les avantages.
Faut-il alors éviter toute forme de boycott à cause du point de vue des travailleurs israéliens ?
Pas nécessairement. Certaines formes de boycott ou de sanctions sélectives peuvent aider la cause palestinienne et, en même temps, être considérées comme moins hostiles par les travailleurs israéliens qu’un boycott général de tout ce qui provient d’Israël.
‘Sélectif’ pourrait, par exemple, signifier que l’exportation d’armes vers Israël soit visé ou alors boycotter des entreprises qui tirent leurs bénéfices de l’occupation en produisant des marchandises dans les colonies juives. Il est donc possible d’entreprendre des actions contre l’université d’Ariel dans les territoires occupés ou contre les ministres israéliens qui rendent des visites à l’étranger. Il existe donc de multiples possibilités pour donner un signal clair aux travailleurs israéliens que les actions sont dirigées contre l’establishment israélien et pas contre le commun des travailleurs. Cela serait encore renforcé en s’accompagnant d’une approche positive vis-à-vis de la lutte des travailleurs en Israël même.
En 2011, une campagne de boycott de l’université d’Ariel a été signée par 145 académiciens en Israël. Depuis, ce chiffre a encore augmenté. Le soutien international d’académiciens pour cette campagne est très utile et meilleur qu’un boycott de tous les académiciens israéliens sans distinction.
Des campagnes sont possibles aussi contre des entreprises non-israéliennes qui jouent un rôle dans l’oppression. Ainsi, l’entreprise Caterpillar produit des bulldozers qui peuvent être équipés de mitrailleuses. L’entreprise française Veolia fournit aussi des services à des colons juifs. En mai 2011, l’entreprise ferroviaire allemande Deutsche Bahn a dû renoncer à l’adjudication d’installation de voies pour la ligne entre Tel Aviv et Jérusalem afin qu’une partie de la ligne soit reconnue comme territoire palestinien par les Nations Unies.
Il est important que les organisations de travailleurs palestiniennes soient consultées lors de chaque appel au boycott. Un appel général touche, en effet, des entreprises qui occupent des Palestiniens. Le gouvernement israélien peut, de plus, se venger par l’imposition de sanctions à l’Autorité Palestinienne ou au travers d’autres mesures. Mais, en ce moment, beaucoup de Palestiniens soutiennent le boycott quelles qu’en soient les éventuelles conséquences.
Mais il faut remarquer qu’un boycott général de tout ce qui provient d’Israël n’implique pas seulement le risque de développement d’un fossé avec les travailleurs israéliens. Cela peut également détourner l’attention de ce qui est le plus efficace. Un certain nombre de produits sont d’ailleurs difficilement évitables. De plus, certaines pièces sont produites en Israël pour ensuite être assemblées dans d’autres pays et il n’est pas évident de voir le lien avec Israël. Beaucoup d’entreprises israéliennes essaient d’ailleurs de masquer leur origine sur le plan international en faisant passer des marchandises d’un pays à l’autre pour en dissimuler l’origine et ainsi devancer un éventuel boycott ou d’autres critiques.
Un boycott des consommateurs est de plus difficile à suivre et à développer. Une telle campagne dépend, en effet, des décisions de divers individus et beaucoup disposent d’informations insuffisantes pour soutenir automatiquement la campagne. Les médias traditionnels n’accordent pas non plus beaucoup d’attention à la campagne. Cela reste souvent cantonné à des campagnes de petits groupes qui diffusent essentiellement via internet et elles ne sont pas toujours menées démocratiquement.
Une campagne syndicale a potentiellement plus de possibilités. Les syndicats disposent des structures pour permettre une discussion démocratique, planifier une action et mobiliser leurs affiliés pour pouvoir la concrétiser efficacement. En 2009, les dockers d’Afrique du Sud à Durban ont par exemple illustré ce qui est possible en refusant de décharger un navire israélien.
Une autre gros problème avec un boycott général, c’est que cela émane souvent de groupes ou d’organisations qui considèrent tous les Israéliens comme des colons et qui sont très hostiles aux travailleurs d’Israël, assimilant trop facilement ces derniers à des sionistes qui acceptent une idéologie raciste et sont incapables de jouer un rôle progressiste. Un certain nombre d’organisations ne reconnaissent même pas qu’une classe ouvrière existe en Israël.
Une campagne BDS peut faire ressortir la colère contre les brutalités et toucher certains intérêts des capitalistes israéliens, mais des actions syndicales menées par les travailleurs israéliens peuvent toucher beaucoup plus durement les intérêts de ces capitalistes. Un boycott est embêtant pour la classe dirigeante israélienne, mais des actions déterminées des travailleurs israéliens constituent une bien plus grande menace pour leurs intérêts et, finalement, pour leur domination elle-même.
Les travailleurs israéliens feront-ils vraiment quelque chose contre l’occupation ?
Des mouvements de lutte émergent régulièrement contre les licenciements, les bas salaires et les coupes budgétaires dans les services publics ou autour de questions liées au lieu de travail. En 2011, comme déjà expliqué, un mouvement d’ampleur, “la révolte des tentes” a pris place contre des déficits chroniques de logement, de loyers trop chers et “l’inégalité sociale” en général. Il y a eu de grandes manifestations avec des centaines de milliers de participants. En 2012, il y a eu une grève générale de quatre jours pour pousser à des améliorations pour les travailleurs contractuels. Ces trois dernières années, il y a eu, entre autres, des actions de grève dans les hôpitaux, parmi les assistants sociaux, chez Haifa chemicals, dans les chemins de fer, à la compagnie aérienne et à beaucoup d’autres endroits.
Dans beaucoup de conflits, les travailleurs juifs luttent aux côtés de leur collègues israélo-palestiniens contre les attaques de leurs patrons. Cela renforce l’unité à la base même si les dirigeants syndicaux essaient autant que possible d’éluder cette question et ne réagissent pas à la discrimination spécifique dont sont victimes les travailleurs palestiniens en Israël.
Le gouvernement israélien a renforcé les attaques contre les droits démocratiques des Israélo-palestiniens mais aussi contre ceux de la population juive. Ainsi, en 2011, une nouvelle loi est sortie stipulant que quiconque appelle à un boycott d’Israël peut être poursuivi par la cible du boycott même si aucun « dommage » n’est causé.
Qu’en est-il de l’occupation ?
Il n’y a pas encore de grand parti des travailleurs israéliens capable de développer un programme dans lequel tant la lutte actuelle des travailleurs israéliens que le combat palestinien pour le droit à l’autodétermination seraient repris. Aujourd’hui, il n’est pas facile de savoir comment l’occupation peut être stoppée. Un développement ultérieur de la lutte des travailleurs des deux côtés de la division nationale et les étapes ultimes vers de nouveaux partis des travailleurs peuvent apporter du changement dans ce cadre.
Lors des élections de janvier 2013, un nouveau parti, Yesh Atid, a obtenu 17 sièges. Ce parti prétend représenter les classes laborieuses. Il s’agit d’un parti pro-capitaliste dirigé par le millionnaire Yair Lapid. Le parti rompt déjà ses promesses maintenant. Lapid est devenu Ministre des finances et mène une politique d’austérité dure. Mais la rapide percée de ce parti indique à quel point les électeurs cherchent une alternative aux politiciens établis.
La population israélienne n’a rien à gagner d’un conflit national. C’est leur classe dirigeante qui veille à ce conflit et a intérêt à ce qu’il subsiste. La colère contre le pouvoir des “magnats” en Israël – qui s’est exprimée récemment dans une protestation de rue contre le nouveau budget – peut mener au développement de la conscience autour de la nécessité de construire une alternative de gauche face aux partis politiques établis.
Si les Palestiniens des territoires occupés renforcent aussi leur lutte et s’il y a une approche positive tant des travailleurs juifs que des palestiniens pour leurs mouvements de lutte respectifs, des liens pourront se créer et la solidarité pourra être renforcée. Les deux mouvements de travailleurs en tireraient avantage. Un soutien plus large aux idées socialistes peut être un élément de ce processus. Cela peut constituer la base pour l’unique solution aux problèmes nationaux insolubles sous le système capitaliste, à savoir deux Etats socialistes existant côte à côte en Palestine et en Israël.
L’appel aux désinvestissements peut-il donner quelque chose ?
Naomi Klein estimait que l’appel aux désinvestissements constitue l’élément le plus important du BDS parce que les grandes entreprises détiennent le “véritable pouvoir” et pas les individus. Les multinationales auraient la possibilité d’imposer des sanctions. Mais leur motivation principale est le profit, pas les droits de l’Homme ou le niveau de vie des travailleurs. Habituellement, les grandes entreprises sont prêtes à travailler avec les régimes les plus oppresseurs pour autant que ce soit bon pour leur comptabilité.
Cela a donc peu de sens de faire appel à la bonté des grandes entreprises ou de les supplier de faire quelque chose. La seule manière de les pousser à faire quelque chose est de les y forcer. Pour cela, le poids de la campagne dans la société doit être suffisamment grand. La seule force dans la société qui soit plus puissante que les grandes entreprises se trouve dans le mouvement ouvrier organisé.
Des succès peuvent être enregistrés en faisant pression sur les entreprises pour désinvestir mais cette sorte de campagnes ne peut qu’être un complément. Le capitalisme est un système chaotique au niveau mondial. Si une entreprise désinvestit, il y en a d’autres pour prendre sa place. Pour le processus de paix à Oslo, beaucoup de multinationales ont répondu à l’appel au boycott contre Israël. Elles ne l’ont pas fait pour des questions de principe mais parce que le marché arabe était important. Une campagne de boycott à grande échelle n’a d’ailleurs pas mis fin à la répression de la population palestinienne.
En tout cas, seul un soutien critique peut être apporté aux campagnes de boycott émanant de capitalistes du monde arabe. Leurs motivations ne sont, en effet, par essence, pas déterminées par les intérêts de la majorité des Palestiniens. Avec de telles campagnes et propagande, ils espèrent accroître leur soutien local alors qu’en fait, ils ont plus en commun avec les capitalistes israéliens qu’avec les travailleurs et les pauvres de leur propre pays. Ce sont les organisations de travailleurs et donc surtout les syndicats qui devraient décider quelles formes de boycott seront utilisées
Le boycott contre l’apartheid en Afrique du Sud n’a-t-il tout de même pas été efficace ?
Le boycott contre l’Afrique du Sud faisait partie d’une campagne contre l’apartheid au niveau mondial, mais cela n’a pas constitué le facteur décisif pour le renversement du régime. L’apartheid est tombé par le fait d’actions de masse de la classe ouvrière noire, entre autres, des grèves et de la désobéissance civile. L’économie Sud-africaine a d’ailleurs connu une croissance durant les années de boycott, tout comme l’économie israélienne a continué à croître depuis le début de la campagne BDS.
Sous le régime de l’apartheid en Afrique du Sud, une écrasante majorité des travailleurs noirs sud-africains soutenaient le boycott contre l’élite blanche. En Israël, il n’y a pas une majorité de la classe ouvrière qui appelle à un boycott d’Israël. Nous devons le reconnaître, même si ça ne veut pas dire pour cela qu’aucune forme de boycott ne puisse être menée ou soutenue. Cela signifie, en revanche, que les socialistes et les organisations de travailleurs de par le monde doivent faire des efforts pour expliquer aux travailleurs israéliens qu’ils ne sont pas la cible du boycott et construire une approche qui se base surtout sur les contradictions de classe en Israël.
Les syndicats internationaux peuvent-ils construire des liens avec la fédération syndicale israélienne Histadrut ?
La direction d’Histadrut a toujours eu de bons contacts avec l’élite israélienne. Elle joue un rôle similaire aux dirigeants syndicaux de droite dans d’autres pays. Elle essaie autant que possible d’éviter la lutte des travailleurs et de passer des accords avec les patrons alors que ces accords ne correspondent pas à ce que veulent les travailleurs, qu’ils soient juifs ou palestiniens.
La direction d’Histadrut a soutenu la guerre brutale de l’armée israélienne à Gaza en 2008-09 et les attaques sur Gaza et la flottille de la liberté. Mais ces attitudes de la part des dirigeants syndicaux n’ont pas été le résultat d’un processus démocratique de consultation et de discussion avec la base syndicale. Différents éléments de la classe des travailleurs israéliens émettent régulièrement des critiques vis-à-vis des dirigeants d’Histadrut parce qu’ils ne défendent pas les intérêts de leurs affiliés. Ainsi, les travailleurs sociaux ont émis des critiques pendant et après leur grève en 2011. En 2012, une majorité du personnel des chemins de fer a décidé de quitter Histadrut après une lutte contre la privatisation. Ultérieurement, beaucoup se sont sentis obligés de se réaffilier parce qu’un juge a décidé que seul Histadrut pouvait représenter les travailleurs du rail.
Il est important que les affiliés d’Histadrut écartent les dirigeants de cette fédération syndicale et les remplacent par des leaders qui soient sous contrôle démocratique des affiliés. Le maintien de liens entre les syndicats internationaux et les affiliés d’Histadrut (au nombre de 700.000 affiliés, soit la large majorité des travailleurs organisés en Israël, Palestiniens et immigrés compris) est nécessaire. Il est plus facile d’atteindre la base si des liens formels existent encore avec la direction. L’objectif ne doit cependant pas être de soutenir les dirigeants d’Histadrut mais plutôt d’établir un dialogue et un lien avec la classe ouvrière organisée en Israël.