Podemos, le Syriza espagnol ?

Madrid, Puerta del Sol, le 31 janvier 2015, lieu de rassemblement de la manifestation du mouvement Podemos. (rfi)
Madrid, Puerta del Sol, le 31 janvier 2015, lieu de rassemblement de la manifestation du mouvement Podemos. (rfi)

L’élection d’un gouvernement dominé par Syriza en Grèce a encouragé les forces de gauche anti-austérité à travers toute cette Europe ravagée par la crise, et même bien au-delà. Mais ce n’est nulle part plus le cas qu’en Espagne, là où Podemos, une force considérée comme le «  Syriza espagnol », prend de plus en plus d’ampleur.

Par Danny Byrne, Comité pour une Internationale Ouvrière (CIO)

Les sondages mettent régulièrement Podemos en première ou deuxième position avec plus de 20% de soutien, menaçant la survie du système bipartite espagnol construit autour du Parti Populaire et du PSOE. Plus de 100.000 personnes ont encore tout récemment participé à la « marche pour le changement » qui a eu lieu à Madrid à l’appel de Podemos le 31 janvier dernier. L’année 2015 verra de nombreuses élections dans l’Etat Espagnol et Podemos sera à n’en pas douter une force avec laquelle il faudra compter.

Podemos prévoit que son score va inexorablement augmenter dans ces élections jusqu’au point culminant de la prise du pouvoir. Même si la possibilité d’une majorité absolue paraît très mince, du moins à ce stade, les deux principaux partis capitalistes espagnols – le PP conservateur et le PSOE ex-social démocrate – pourraient être forcés de former une « grande coalition » destinée à freiner l’avance de Podemos. Une telle manœuvre ne ferait qu’accélérer la spirale mortelle de ces deux partis, tout particulièrement concernant le PSOE.

A l’instar de Syriza, Podemos a frappé les esprits de millions de personnes qui l’ont considéré comme un outil potentiel pour en finir avec le cauchemar de l’austérité en Espagne et réclamer une vie digne après des années de déchéance. Podemos pourra-t-il tenir ses promesses et satisfaire ces aspirations ?

Podemos était au devant de la scène lors du rassemblement de clôture de la campagne de Syriza, son dirigeant Pablo Iglesias rejoignant Alexis Tsipras dans son discours final aux cris de «  Syriza, Podemos, Venceremos » (« nous allons gagner » en espagnol). Cependant, alors que Syriza provient d’une alliance de groupes de gauche, Podemos a émergé en tant que nouveau mouvement, séparé des partis de gauche traditionnels.

A bien des égards, le succès de Podemos est un produit de l’échec des organisations traditionnelles de la gauche et du mouvement des travailleurs. Alors qu’une nouvelle période de lutte des classes intense et de changement radical survenait, les directions de ces organisations – en particulier Izquierda Unida (Izquierda Unida, IU) – ont continué les vieilles politiques de collaboration et d’accords avec le système et les partis du patronat. Ainsi, pour les millions de personnes en lutte contre l’austérité (en particulier ceux qui viennent du mouvement d’occupations Indignados), la gauche traditionnelle et les syndicats paraissent plus comme étant une partie du système que comme une force qui mène la lutte contre celui-ci.

Podemos est apparu comme une alternative avec un programme de gauche anti-austerité et un programme pour annuler la dette illégitime. Il a employé beaucoup de la phraséologie et des revendications des Indignados et d’autres mouvements sociaux et ne traîne pas la casserole d’avoir géré le système dans le passé, ce qui le rend attractif pour la nouvelle génération.

« Le peuple »

Centré autour de Pablo Iglesias et d’autres universitaires de gauche, Podemos a insisté sur l’existence de « la casta » – une caste politique corrompue de politiciens capitalistes. Cela a exploité le sentiment massif de rejet du capitalisme, exprimé par les Indignados dans un sentiment anti-parti. Podemos déclare représenter l’entrée « du peuple » dans la politique, par-dessus la tête des politiciens discrédités.

Ses dirigeants ont mis Podemos en avant non pas comme un parti dans le sens traditionnel du terme, mais comme un « espace participatif » par lequel le peuple d’Espagne peut faire entendre sa voix politique dans son ensemble. Son fondement organisationnel n’est pas un réseau de sections ou de comités de la base, mais des « assemblées citoyennes » ouvertes à tous les citoyens espagnols. La direction de Podemos est élue par des primaires sur internet. Plus tard, des votes seront organisés concernant les questions politiques importantes sur base de consultations en ligne. Plus de 300.000 personnes se sont inscrites pour y participer.

D’après ses dirigeants, cela signifie que « Podemos est le peuple ». Certaines contradictions sont toutefois présentes. N’y a-t-il pas une partie du peuple qui, plutôt que de vouloir en finir avec l’austérité, veut au contraire la défendre ? Il y a assurément des gens qui en bénéficient, comme les grands banquiers et les actionnaires à qui l’odieuse dette publique est payée, et qui font aprtie du « peuple ». Il est crucial pour le mouvement anti-austérité de comprendre que le peuple qui a besoin d’une voix politique, ce sont les travailleurs, les chômeurs, les jeunes, les pensionnés, etc. En d’autres termes, la classe des travailleurs prise au sens large, dont les intérêts vont à l’encontre de ceux d’un autre « peuple » : la classe capitaliste.

Pour les révolutionnaires socialistes, impliquer la classe des travailleurs dans la politique signifie de les rendre actifs au sein de structures démocratiques qui permettent la discussion, le débat et la prise de décision collectifs concernant la politique et la stratégie du mouvement. Cela signifie bien plus qu’un simple clic occasionnel dans une élection ou un référendum en ligne.

Podemos a des centaines de « cercles », ou sections, dans tout le pays, mais elles ont un rôle symbolique en ce qui concerne son fonctionnement. L’absence de cercles de masse dans les quartiers et les lieux de travail pour servir de briques à la construction de Podemos signifie qu’en pratique, il fonctionne vraiment du haut vers le bas. Podemos a une direction très restreinte – autour du secrétaire général Iglesias – qui décide de tout.

Démocratie ?

Cette manière de fonctionner, tout en se parant de phraséologie démocratique, assigne à la masse du peuple un rôle passif. Il s’agit d’un obstacle à la construction d’une force politique véritablement démocratique et massive pour la classe des travailleurs espagnole.

Des dizaines de milliers de personnes sont sorties en rue pour « la marche pour le changement » pour finalement être simplement renvoyées chez elles après qu’on leur ait dit de voter pour Podemos quand le temps serait venu ! Une telle mobilisation aurait dû servir de point de départ pour un mouvement de masse durable de manifestations et de grèves destiné à renverser le gouvernement et à mettre fin à l’austérité. Une potentielle victoire électorale ne représente qu’un épisode de ce processus.

La question est loin d’être académique étant donné les affrontements avec le big business et la Troika que provoqueraient l’adoption de mesures anti-austérité (comme cela s’est vu en Grèce). Tout gouvernement de gauche ne peut appliquer que les politiques qu’il est capable de défendre dans la rue et sur les lieux de travail. La mobilisation et l’auto-organisation de la classe des travailleurs est une préparation précieuse pour une telle éventualité.

Les dirigeants de Podemos, reflétant d’une certaine façon ceux de Syriza, ont également viré vers la droite à mesure que leur soutien montait. Le programme initial de Podemos était un programme radical de gauche, qui promettait un revenu décent universel pour tous, le droit au logement et la nationalisation des secteurs stratégiques de l’économie. Cependant, au cours de ces derniers mois, les dirigeants ont modéré leur rhétorique, laissant tomber des promesses-clé comme la retraite à 60 ans et le non-paiement de la dette au nom du « réalisme » et du « contexte » international qui rend ces projets impossibles.

Il est vrai qu’il existe un « contexte » qui agit contre les mesures nécessaires pour en finir avec la misère des travailleurs. Ce contexte, c’est celui de la domination continue des multinationales et des banquiers. Les marchés et les institutions (nationales comme européennes) vont agir contre tout gouvernement qui essaie de gouverner en faveur du peuple. Cependant, au lieu d’accepter cela et d’adapter son programme à ce qui est possible dans ce cadre, les mouvements de masse de la classe des travailleurs contre l’austérité ont besoin de lutter pour transformer ce contexte et briser ce cadre !

Des politiques socialistes

Seule l’organisation et la mobilisation de la classe des travailleurs et l’arrivée d’un gouvernement de gauche armé d’une politique révolutionnaire socialiste visant à remplacer la dictature des marchés par une démocratie des travailleurs basée sur la propriété publique démocratique des richesses peut faire face à cette tâche. Un tel gouvernement se lierait à la classe ouvrière de Grèce, d’Irlande, du Portugal et de toute l’Europe pour construire une fédération socialiste sur les cendres de UE capitaliste.

Socialisme Revolucionario, l’organisation sœur du Parti Socialiste de Lutte dans l’Etat espagnol, lutte pour organiser un pôle révolutionnaire de la gauche, des travailleurs et des mouvements sociaux en défense d’une telle stratégie.