Nigeria : en finir avec la misère pour mettre un terme à la barbarie

4423296_6_46bc_un-groupe-de-chasseurs-mobilises-pour_7f7be2007a6428a8586dcb0f967a790dL’insurrection de Boko Haram et l’enlèvement de plus de 200 écolières en avril sont parmi les expressions les plus horribles de la situation politique qui ravage le Nigeria ; soulignant la pourriture du capitalisme nigérian et des institutions étatiques comme la police ou l’armée. Ce serait un euphémisme que de dire que la situation quotidienne des masses nigérianes est horrible, terrifiante, mais aucune « solution » durable, que ce soit celle des impérialistes ou celles des groupes terroristes réactionnaires, ne pourra être trouvée tant qu’elle sera sur la base d’un fonctionnement économique capitaliste.

Les 200 écolières de Chibok, dans l’Etat de Borno, ont été enlevées par les insurgents de Boko Haram quatre mois après que le gouvernement capitaliste du président Jonathan a renforcé l’état d’urgence dans les trois États de Borno, Adamawa et Yobe, au nord-est du pays, les plus touchés par les attaques meurtrières de Boko Haram – l’état d’urgence y est en vigueur depuis mai 2013. Cela fait maintenant plus de deux mois que les filles ont été enlevées, avec zéro idée concrète sur la manière dont les sauver ; et l’élite dirigeante, soutenue par des pays capitalistes comme les US, l’Angleterre ou la France, n’a rien à proposer d’autre que de durcir encore l’état d’urgence dans ces trois États.

Pourtant, cela n’a en rien empêché que Boko Haram non seulement n’arrête pas mais intensifie ses campagnes ultra-violentes – notamment avec la coupe du monde qui leur a servi de prétexte pour commettre de nouvelles exactions, qualifiant le football « perversion occidentale ».

« Il y a deux Boko Haram : un dirigé par Shekau, l’autre par Jonathan »

Des rapports attestent que Boko Haram prend le contrôle de plus en plus de localités dans le nord-est du pays, attaquant systématiquement les opposants et non-musulmans alors que l’armée brille souvent par son inefficacité ou son absence pure et simple. Ainsi, lors de récentes attaques contre les églises du Nord-Est, les militaires « sont simplement partis et se sont cachés dans la brousse », selon un témoignage paru sur afrik.com. Mais le fanatisme de Boko Haram est tel qu’ils s’attaquent également énormément aux musulmans : en juin, ils ont enlevé un muezzin, l’ont fait appeler à la prière et ont assassiné ceux qui y ont répondu. Un rapport international publié en juin établit qu’en dix mois, 250 000 personnes ont dû quitter leur maison dans le nord-est, faisant grossir les rangs des 3,3 millions de personnes, qui, selon la Commission Nationale aux Réfugiés, ont déjà fui les attaques de Boko Haram depuis l’explosion du conflit en 2009.

Mais dans cette situation, l’armée est loin d’être en reste : l’état d’urgence sert, encore, de carte blanche pour l’armée, qui fait de véritables massacres, exécutions sommaires (alors même que la loi stipule que même en cas d’état d’urgence, les détenus sont censés être menés devant un magistrat dans les 48 heures) ou conditions de détention littéralement mortelles. Selon Amnesty International, des centaines de détenus meurent de faim ou même d’étouffement à cause du nombre de personnes dans les cellules ; des centaines dans une cellule prévue pour une douzaine de personnes. Associated Press (AP) a réussi à se procurer des rapports mortuaires d’hôpitaux dans la région des carnages, qui indiquent qu’entre début octobre et début juillet, les militaires ont tué des milliers de personnes dans le cadre de la répression armée. Le rapport mortuaire d’un seul hôpital atteste que le nombre de personnes qui sont décédées en détention a plus que triplé en juin. À Maiduguri, berceau de Boko Haram, 1795 cadavres ont été apportés à l’hôpital par les militaires, contre 380 entre mi-mars et mi-mai.

D’où vient Boko Haram ?

Les exactions commises par l’armée ne sont pas chose nouvelle et c’est précisément dans les années 1980, avec l’émergence du mouvement Maitasine que des mouvements réactionnaires comme Boko Haram prennent leurs racines. Déjà alors, la doctrine religieuse extrême sur laquelle ce mouvement s’est développé était ancrée dans la misère permanente et les difficultés socio-économiques de la vaste majorité de la population alors même que le pays regorge de ressources naturelles et humaines. Sous le système capitaliste international, et particulièrement dans des sociétés capitalistes néo-coloniales comme le Nigeria, la pauvreté et l’oppression sont abyssales. Ceci constitue la lie de sectes comme Boko Haram, qui, avec leurs prêches fondamentalistes réactionnaires, rencontrent souvent la sympathie des sections les plus durement opprimées des masses, plus réceptives aux promesses d’un monde meilleur au paradis contre un monde plein de pêcheurs incrédules et d’agents de satan ! La popularité initiale de Boko Haram en 2009 était basée sur les discours virulents et parfois les attaques armées contre l’opulence obsène dans laquelle vivent les membres de l’élite dirigeante, mais aussi contre la police – les policiers ont une tendance à voir les masses pauvres comme de simples objets d’extorsion ; alors que la société nigériane est de plus en plus insupportable du point de vue socio-économique.

Ainsi en 2009, le gouvernement et l’appareil militaire adoptèrent une fausse stratégie militaire qui consistait à vouloir supprimer purement et simplement les insurgés. Des centaines sinon des milliers de membres de Boko Haram furent arrêtés et exécutés sommairement lors de ces opérations ; au lieu d’en juger les dirigeants et de déchiffrer les raisons des attaques – la manière classique des élites capitalistes ; vouloir supprimer les symptômes sans traiter la maladie ! Mohammed Youssouf, alors leader de Boko Haram, fut ainsi montré en spectacle à la télévision et exécuté sans procès. Avant ces événements, le groupe existait en tant que secte religieuse fondamentaliste largement tolérée par le reste de la communauté musulmane et du peuple. Mais la stratégie qui voulait exterminer complètement Boko Haram a eu un effet boomerang, déclenchant un chaos qui menace de détruire non seulement le gouvernement en place mais également l’État-nation nigérian lui-même.

La solution de Boko Haram est l’introduction la charia. Mais en l’absence d’une idéologie alternative pour la classe ouvrière, ce genre d’enseignement religieux fondamentaliste rencontre forcément du soutien parmi les couches pauvres et majoritairement analphabètes et non éduquées de la jeunesse dans le nord du pays, qui pensent être les laissés pour compte de la « prospérité » du pays. De plus, la secte offrait également abri et nourriture aux pauvres et jeunes dépossédés qui accouraient massivement à eux. Boko Haram grandit rapidement ; ne pouvant plus être ignoré par les politiciens de l’État de Borno. Ainsi en 2002, le gouverneur de cet État approcha Boko Haram et leur proposa de mettre en place la charia comme loi de l’État en échange de leur soutien électoral. Même si cette histoire a été vigoureusement niée, la réalité est que c’est l’État qui a mis le feu aux poudre de l’insurrection. Et c’est ainsi que fut décidée la répression par les forces armées qui commença en 2009. Le meurtre extra-judiciaire de Mohammed Youssouf et l’arrestation des parents des membres de Boko Haram qui avaient échappé à la police, devint le cri de ralliement du djihad. Très rapidement, le groupe fut mis sous la coupe de fondamentalistes plus hardcore comme Shekau et il y eut également des scissions, menant à la naissance de Ansaru, par exemple.

Les capitalistes n’ont pas de solution à la crise

De toute l’Histoire, jamais les efforts déployés pour supprimer par la force une idée ou un mouvement politique ou religieux n’ont été efficaces, et le plus souvent cela a eu l’effet opposé ; sous le joug de l’extermination forcée ou militaire, le mouvement émerge toujours plus fort. À la suite de l’attaque terroriste sur le World Trade Center en 2001, les principaux pays capitalistes, US en tête, sous la bannière de la « guerre contre le terrorisme », ont créé et nourri les situations chaotiques dont nous sommes témoins au Moyen-Orient. Et l’espace politique international aujourd’hui est occupé par beaucoup plus de groupes terroristes qu’avant le 11 septembre. Il est fondamentalement utopique de croire que des cliques rivales au sein de la classe dirigeante puissent offrir une réelle solution et créer les conditions matérielles et économiques qui permettraient la disparition de tels mouvements réactionnaires et sectaires. La crise a encore une fois souligné l’échec, la faiblesse et l’inefficacité du gouvernement et du président Jonathan ; qui ne sont que des reflets de la faiblesse du capitalisme néo-colonial nigérian même.

Face à la barbarie des attaques de Boko Haram et à l’impressionnante inefficacité des forces armées des capitalistes dirigeants à protéger les Nigérians, des groupes d’autodéfense locaux, parfois armés, se sont développés récemment, qui ont pu affaiblir ou repousser Boko Haram dans certaines communautés du nord-est du pays. Toutefois, il est nécessaire que ces groupes soient construits sur une base réellement non sectaire ; ouverts à toutes les communautés ethniques ou religieuses et sous le contrôle démocratique strict de la communauté et de ses associations, y compris les syndicats de travailleurs ou les organisations de jeunesse. Ceci est crucial pour prévenir la dégénérescence de ces comités en moyens d’avancement personnel et empêcher l’émergence de dirigeants corrompus.

Les mouvements réactionnaires et meurtriers comme Boko Haram ou les milices du Delta du Niger se développent largement à cause de la situation sociale et économique, où il y a une pauvreté massive et une oppression brutale de l’énorme majorité de la population alors que les ressources naturelles et humaines abondantes ne profitent qu’à une poignée de capitalistes, dont l’opulence est réellement extraordinaire. Ainsi, 80% du pétrole nigérian n’appartient qu’à une seule famille. Le Nigeria est la plus grande économie en Afrique, et le plus riche Africain est un Nigérian. Pourtant plus de 100 millions de Nigérians (70% de la population) sont pauvres. Plus de 50 millions de jeunes sont au chômage – on ne connaît pas le nombre de sans-abri. Le 15 mars, plus de 500 000 jeunes diplômés se sont présentés pour rentrer aux Services d’Immigration du Nigeria alors que seuls 5000 postes étaient proposés ; occasionnant la mort tragique d’une vingtaine de personnes qui se sont fait piétiner.

Pour garantir que les ressources soient utilisées et mobilisées pour satisfaire les besoins économiques et sociaux de tous, et pas seulement ceux d’une minuscule communauté de millionnaires, il est absolument nécessaire que le contrôle de l’élite dirigeante sur la société soit détruit et que les principaux secteurs de l’économie et des ressources naturelles, dont les infrastructures clés, soient placés sous la propriété commune des Nigérians, sous le contrôle et l’administration des syndicats et des associations de jeunesse et des communautés. Avec une telle société, les facteurs qui permettent le développement actuel du terrorisme et de la misère massive disparaîtront.

Les élections de 2015

La situation ne s’arrangera pas avec les élections de 2015. Il est d’un cynisme fou de constater que le président Jonathan, juste après l’attribution d’un siège pour le Nigeria au Conseil de sécurité de l’ONU fin juin, déclarait qu’il s’agissait d’une « brillante expression de soutien et d’encouragement pour la participation active du Nigeria dans la promotion de la paix, de la sécurité et de la stabilité en Afrique » ! Son parti, le PDP (People’s Democratic Party), vote des millions de naira de crédits pour aller faire la guerre à Boko Haram mais de nombreux rapports constatent que les militaires dans le nord-est du pays ne sont parfois même pas armés ! C’est le parti qui a voté la privatisation de l’électricité ; c’est à dire la vente de ce secteur au privé pour une bouchée de pain, ce qui a occasionné un effondrement de la qualité du service électrique partout dans le pays, autant pour les particuliers que pour les entreprises, et comme si ce n’était pas suffisant, les tarifs ont encore augmenté en juin – entre 2012 et 2014, le prix du kilowatt/heure a augmenté de plus de 300% ! Et au lieu d’admettre que cette privation était une folie et un échec complet, ils parlent maintenant de privatiser le secteur pétrolier ! Le principal parti « d’opposition », l’APC (All People’s Congress), défend les mêmes politiques pro-riches que le PDP et il est très probable que ce dernier reçoive par ailleurs le soutien du mal nommé Labour Party, fondé en 2002 par le syndicat NLC.

Jusqu’à présent, tout ce que la militarisation croissante du régime a apporté est l’augmentation des capacités répressives de l’État ; principalement contre les droits des masses. Sous le prétexte de combattre le terrorisme, le gouvernement fédéral interdit régulièrement des actions et « rassemblements non autorisés ». Face à cette situation, la réponse des principales organisations syndicales est effrayante. Ainsi, la bureaucratie de la centrale syndicale NLC (Nigeria Labour Congress) non seulement ne rejette en rien la possibilité d’une intervention impérialiste au Nigeria, mais en plus de cela, en appelle à l’État, comme ils l’ont déjà fait par le passé, pour renforcer l’intervention militaire dans le nord du pays. Ceci est désastreux pour le mouvement ouvrier et les masses. Le manque total d’indépendance de classe claire de la part des bureaucraties syndicales corrompues pourrait même être utilisé par Boko Haram à son avantage en l’absence d’une riposte généralisée et organisée. Pourtant il est significatif que Boko Haram n’ait osé lancer aucune attaque quand les masses du pays étaient unies dans la grève générale de janvier 2012 contre l’augmentation des prix du carburant. Ce jour-là, pas une seule bombe n’a explosé dans le pays.

C’est aux masses nigérianes que la solution appartient

Autant les groupes fondamentalistes réactionnaires que les élites dirigeantes capitalistes sont incapables d’apporter de solution durable à la crise au Nigeria et de faire avancer la société d’une quelconque manière qui soit bénéfique au plus grand nombre. La seule réponse efficace à la crise passe par la mobilisation, par le mouvement ouvrier, des travailleurs et des masses pauvres, qui doivent prendre en main leur propre destinée. Il n’y a aucune armée ou groupe terroriste qui soit plus fort que la classe ouvrière organisée et mobilisée en masse. Une journée de grève générale et de protestations de masses appelée par les syndicats enverrait le message à la fois aux capitalistes et à Boko Haram que les travailleurs organisés sont préparés à se défendre contre les attaques des deux. Avec un tel mouvement, cela démontrerait aussi que les masses sont capables de combattre la pauvreté, le chômage et les crises du logement et de l’éducation ; qui ont pu pousser des jeunes vers Boko Haram ou d’autres sectes réactionnaires. C’est le mouvement ouvrier qui doit aussi prendre la responsabilité de la protection des zones où Boko Haram et l’armée mènent des attaques, avec l’établissement de comités démocratiques, comme mentionné plus haut.

Pour que cela ait un effet durable et décisif, il faut que ces étapes fassent partie d’une lutte plus générale ; un plan pour construire une campagne unifiée des travailleurs, jeunes, pauvres et opprimés de tout le Nigeria pour combattre les crises sociales et économiques nourries par le capitalisme. Une telle campagne affaiblirait considérablement Boko Haram, et empêcherait également les travailleurs de se battre entre eux pour les ressources vitales que sont la terre et l’eau. Les bureaucrates syndicaux, profitant joyeusement d’un niveau de vie largement privilégié, feront tout pour freiner un mouvement qui affaiblirait l’élite dirigeante actuelle. Ils ont peur que les masses et la jeunesse puissent prendre le contrôle et amener la fin de la société capitaliste. Et pourtant ce n’est qu’une restructuration socialiste de l’économie, menée par un gouvernement formé par la classe ouvrière, qui pourra assurer que toute la richesse de la société soit utilisée pour améliorer le sort de la majorité.

C’est pour cela que le DSM (Democratic Socialist Movement, section nigériane du Comité pour une Internationale Ouvrière) se bat. Pour aller dans cette direction, nos camarades appellent à un parti de masse de la classe des travailleurs doté d’un programme socialiste, car les travailleurs ont cruellement besoin d’une nouvelle voix politique qui représente leurs intérêts et donne un programme et une stratégie politiques à leurs luttes ; ainsi qu’une perspective réellement socialiste qui place la nationalisation, sous le contrôle et l’administration démocratiques des travailleurs et de la population, des principaux secteurs de l’économie au centre de son programme. C’est dans cette optique qu’ils ont initié la formation du Socialist Party of Nigeria (SPN) et réussi à terminer le parcours du combattant qu’est l’inscription d’un parti à la Commission Électorale – ainsi le SPN aura une plate-forme à présenter aux masses qui veulent contester les capitalistes aux élections de l’année prochaine. Et la campagne électorale pourra être un pas important vers la construction d’un mouvement qui pourrait constituer la base d’un gouvernement des travailleurs.

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Cécile