Les images de jeunes émeutiers à Belfast et ailleurs, contrés par la police utilisant des canons à eau, ont rappelé des scènes de la période des « Troubles » (entre 1968 et 1997). Du point de vue du public international, l’Irlande du Nord semble être passée du jour au lendemain de la stabilité à la désintégration imminente.
Bien sûr, ce n’est pas le reflet exact de la réalité sur le terrain. Mais le fait même de l’apparition d’une transition aussi rapide d’un extrême à l’autre dément la vérité selon laquelle les arrangements politiques établis dans le cadre de l’accord du Vendredi Saint (un « accord de paix » en Irlande du Nord, signé le 10 avril 1998), et par la suite, n’ont pas résolu et ne peuvent pas résoudre la question nationale.
Les tensions en Irlande du Nord reflètent l’évolution sous-jacente de la démographie qui semble se diriger vers un point de basculement où les protestants deviendront une minorité, ce qui menace donc la position de l’Irlande du Nord au sein du Royaume-Uni. Parallèlement, l’incapacité persistante de l’Assemblée d’Irlande du Nord à apporter de réelles améliorations aux conditions économiques et sociales de la population a créé un mélange explosif. La pauvreté au sein de la classe ouvrière, tant dans les zones unionistes que nationalistes, reste obstinément élevée.
Une frontière maritime dure
Si les changements démographiques sont à la base de la dernière crise, l’imposition de la « frontière maritime dure » et du protocole d’Irlande du Nord, qui sépare en fait l’Irlande du Nord du Royaume-Uni, est le déclencheur des derniers affrontements de rue.
Pour éviter une crise immédiate à la « frontière maritime », le Premier ministre britannique Boris Johnson a négocié un délai de trois mois pour l’imposition de « contrôles sanitaires et phytosanitaires » (inspections de santé publique) et un délai de six mois pour les déclarations douanières détaillées. Mais même ces accords n’ont pas suffi à éviter une crise politique.
Des voix dures au sein des unionistes font pression sur le gouvernement conservateur pour qu’il suspende unilatéralement le protocole. Mais le gouvernement Tory (conservateur) n’était pas pour. C’est toutefois la pénurie de vaccins d’AstraZeneca qui a conduit l’Union européenne à menacer d’empêcher l’entrée en Irlande du Nord des vaccins produits par l’UE. Bien que les ministres de l’UE aient rapidement battu en retraite, cette menace a fait monter les tensions et a révélé la duplicité des préoccupations de l’UE pour la région.
Les tensions n’ont cessé de croître. Des affiches, des peintures murales et des graffitis s’élèvent dans les zones unionistes contre la frontière maritime dure. Le Democratic Unionist Party (DUP, le principal parti politique unioniste dirigé par Arlene Foster), qui avait initialement salué le protocole sur les institutions nationales comme une opportunité pour les entreprises, s’efforce de retrouver son autorité et rencontre le Loyalist Community Council, qui représente les paramilitaires loyalistes, pour convenir d’une campagne commune contre le protocole.
L’étincelle des émeutes a été l’enquête menée par le Service de police d’Irlande du Nord sur la présence de hauts responsables politiques du Sinn Féin, dont la vice-Première ministre Michelle O’Neill et des ministres de l’exécutif, aux funérailles du chef de l’IRA Bobby Storey, durant le confinement dû au Covid. L’annonce que le ministère public n’engagerait pas de poursuites contre ces hommes politiques a accentué la colère des unionistes.
L’événement est devenu totémique parmi les unionistes, car il a révélé la volonté de la police de fermer les yeux sur le fait que les républicains enfreignaient le confinement qui était strictement appliqué à tous les autres.
Football et sectarisme
La réalité est que le Covid a rendu le football sectaire, les deux côtés se sentant lésés. Les nationalistes ont exigé des mesures lorsque des centaines de supporters des Glasgow Rangers ont fait la fête dans les rues de Belfast au début de cette année, enfreignant le confinement, tandis que les unionistes sont restés largement silencieux.
Les premières émeutes se sont limitées aux zones contrôlées par les groupes paramilitaires loyalistes, plus ouvertement associés à la criminalité et au trafic de drogue, mais elles se sont rapidement propagées. Les émeutes atteignent leur paroxysme le 7 avril, lorsque les émeutiers échangent des pierres et des bombes à essence contre des « murs de la paix » à Belfast Ouest.
Alors que la situation commence à devenir incontrôlable, les partis politiques nationalistes et unionistes et les organisations paramilitaires cherchent à mettre un terme aux émeutes. Les unionistes ont profité de la mort du prince Philip pour appeler les gens à quitter les rues. Leurs appels ont eu un impact évident et, si des émeutes ont encore eu lieu, elles ont été nettement moins étendues.
Pour les socialistes, les récents événements devraient servir d’avertissement. Ni le nationalisme capitaliste ni l’unionisme n’offrent une voie d’avenir aux travailleurs. Au contraire, les deux camps menacent d’un retour à la division, à la violence et même à la perspective de la répartition.
Une alternative doit être construite. Un aperçu de ce qui est possible a été montré par l’action des conducteurs de bus du métro et des travailleurs portuaires qui, unis au-delà des lignes sectaires, ont quitté le travail lorsqu’ils ont été menacés ainsi que leurs collègues. Les membres du Comité pour une Internationale Ouvrière en Irlande du Nord – Militant Left – ont joué un rôle actif en soutenant l’action des travailleurs. Padraig Mulholland, secrétaire général adjoint du syndicat NIPSA, s’est adressé aux chauffeurs en promettant que le mouvement des travailleurs lutterait contre toute menace de retour au conflit armé.
Le fait que les attaques aient visé des travailleurs essentiels qui avaient travaillé pendant toute la durée du confinement a renforcé le soutien de la classe ouvrière contre le sectarisme et a permis d’apaiser les tensions, en faisant vibrer la corde sensible de l’unité de classe.
Une fois de plus, les événements récents ont confirmé que, même avec des forces réduites, les socialistes authentiques proposant une plate-forme d’unité ouvrière peuvent rallier les travailleurs et couper court à la montée de la réaction.
Pour changer profondément la situation, il faudrait une action du mouvement syndical et la construction d’un parti de masse pour le socialisme.
Conseiller municipal Donal O’Cofaigh, Militant Left (organisation sœur de la Gauche Révolutionnaire en Irlande)