Le capitalisme mondial, en prise aux crises et aux conflits, et la lutte pour le socialisme

Le capitalisme et l’impérialisme sont confrontés à une nouvelle période sans précédent de bouleversements et de polarisation à l’échelle mondiale. Elle est à l’origine de souffrances humaines et d’une misère sans précédent depuis des générations sur tous les continents. La situation mondiale est actuellement marquée par deux guerres majeures, d’abord en Ukraine, puis à Gaza. Ces conflits ont pris un caractère international, entraînant polarisation et division au sein des classes dirigeantes, ainsi qu’un accroissement considérable des tensions et des affrontements géopolitiques.

Résolutions discutées et adoptées au Comité Exécutif International du CIO/CWI

Le massacre apocalyptique de la population palestinienne qui se déroule en ce moment à Gaza et, de plus en plus, en Cisjordanie par le régime israélien, signifie que les anciennes relations au Moyen-Orient seront transformées. Cette guerre n’est pas une simple répétition des guerres et des attaques précédentes contre le peuple palestinien. Elle a porté le conflit à un niveau supérieur. À ce stade, on ne sait pas exactement ce qui ressortira de ce carnage sanglant. La guerre a révélé très clairement le caractère de la période de dystopie capitaliste que nous vivons actuellement. Il est essentiel de reconnaître qu’aucune solution fondamentale à ce conflit ne sera trouvée tant que le capitalisme en tant que système subsistera.

Cette offensive a suscité l’indignation et, dans un premier temps, des manifestations massives de millions de personnes dans le monde arabe et musulman, ainsi que des manifestations massives dans d’autres pays comme la Grande-Bretagne. Elle a commencé à politiser une couche importante parmi la nouvelle génération de jeunes. Cette guerre façonnera leur vision politique, bien que d’une manière différente des luttes contre l’apartheid en Afrique du Sud et des guerres du Viêt Nam et d’Irak pour les générations précédentes. Elle a également un impact sur la situation politique intérieure de nombreux pays. Cela est dû à l’attitude vis-à-vis de la guerre et au soutien qu’Israël a reçu de la part des politiciens et des dirigeants politiques bourgeois, en particulier dans les pays impérialistes occidentaux.

Dans une tentative désespérée de s’accrocher au pouvoir, Netanyahou a été conduit à former un gouvernement de coalition impliquant des forces fascisantes d’extrême droite. Dès le départ, son gouvernement a été une nouvelle démonstration de la classe capitaliste perdant le contrôle de l’appareil politique. Ce fut le cas avec Trump aux États-Unis, Bolsonaro au Brésil et dans d’autres pays. Le gouvernement de Netanyahou était menacé par la perspective d’être renversé avant le déclenchement de la guerre actuelle. L’horrible attaque du Hamas du 7 octobre, dont l’État israélien avait été prévenu à l’avance, a donné à son régime l’excuse de lancer cet assaut sanglant contre le peuple palestinien. L’attentat du 7 octobre a ébranlé la société israélienne dans ses fondements. Elle a fait voler en éclats l’idée que l’armée israélienne défendrait toujours la population contre une attaque grave.

Dans le même temps, Netanyahou et son régime ont préparé le terrain pour l’actuelle tentative génocidaire de liquider la nation palestinienne, qu’ils essaient de mener à bien. En septembre, lors de l’Assemblée générale des Nations unies, il a brandi une carte d’un Moyen-Orient reconfiguré dont le peuple palestinien, à Gaza et en Cisjordanie, a été effacé. Les colons de Cisjordanie ont été armés et encouragés par son gouvernement à attaquer les Palestiniens et à occuper davantage leurs terres.

Les méthodes horribles utilisées, les attaques massives et indiscriminées et le nettoyage ethnique utilisés dans cette guerre semblent maintenant viser à rendre Gaza inhabitable et à chasser les 2,5 millions de Palestiniens dans une zone pas plus grande que l’aéroport Heathrow de Londres. De là, ils espèrent probablement qu’ils seront forcés d’affluer en Égypte, ou dans d’autres pays arabes, ou, comme le soulèvent certains représentants du régime israélien, en Afrique – une nouvelle Nakba. La perspective que quelque chose de similaire se déclenche en Cisjordanie n’est pas non plus exclue, car les attaques et la répression ont radicalement augmenté. Toutefois, il n’est pas certain que ces objectifs puissent être atteints. L’objectif israélien déclaré de détruire le Hamas militairement et politiquement est irréalisable. La brutalité de leurs actions a déjà permis au Hamas de gagner la sympathie et le soutien d’une nouvelle génération de jeunes Palestiniens et Arabes. Ce phénomène se retrouve dans d’autres pays comme la Malaisie, le Pakistan et l’Indonésie, où au sein de la population musulmane, le soutien et la sympathie pour le Hamas se sont accrus. Le gouvernement malaisien refuse de reconnaître Israël et dispose d’un représentant officiel du Hamas dans le pays. La pression de la population musulmane massive a contraint le gouvernement à refuser la pression des États-Unis pour condamner le Hamas, ce que l’élite dirigeante a utilisé à son propre avantage politique.

L’indignation générale et la crainte que la guerre ne s’étende à une guerre régionale majeure ont contraint les dirigeants impérialistes occidentaux à verser quelques larmes de crocodile et à exhorter Israël à faire preuve de « retenue » et à éviter les pertes civiles. Jusqu’à présent, Israël a balayé ces appels. Aujourd’hui, l’impérialisme occidental accentue la pression sur Israël, Biden allant jusqu’à demander la destitution du gouvernement de Netanyahou. Certaines puissances occidentales ont été contraintes d’appeler à un cessez-le-feu. Il n’est pas exclu que les puissances occidentales soient contraintes d’exercer davantage de pression. Israël a été et reste un allié crucial de l’impérialisme occidental dans la région. Ils sont terrifiés à l’idée que le conflit s’étende à une guerre régionale qui aurait des conséquences dévastatrices au niveau international en termes de relations géopolitiques, d’économie et de polarisation de classe et politique. Un remaniement du régime israélien n’est pas exclu vu qu’il menace d’étendre le conflit avec les conséquences dévastatrices qui en découleraient.

Les élites dirigeantes arabes et iraniennes cherchent désespérément à éviter une extension du conflit. En même temps, elles subissent une pression féroce de la part de la « rue arabe ». Comme nous l’avons déjà vu en Égypte, au début de la guerre, une manifestation de masse soutenue par le gouvernement contre les attaques israéliennes s’est rapidement transformée en une manifestation anti-Sisi. Si Israël poursuit sa campagne meurtrière, la pression pour une intervention peut devenir irrépressible, les obligeant à agir ou à être confrontés à des soulèvements et à la menace d’être renversés par le développement d’un nouveau printemps arabe.

Israël a jeté de l’huile sur le feu en menaçant de ne pas tolérer l’existence du Hezbollah à ses frontières. On assiste déjà à une escalade progressive des affrontements militaires entre Israël et le Hezbollah. Un conflit total, ouvrant un second front entre Israël et le Hezbollah, pourrait se transformer en un véritable conflit régional impliquant l’Iran, l’Égypte et d’autres pays. La Turquie, qui a clashé avec les puissances occidentales au sujet de cette guerre, pourrait également être attirée dans le conflit d’une manière ou d’une autre. Les récents affrontements en mer Rouge et les menaces d’attaque des bases houthies au Yémen par le Royaume-Uni et les États-Unis montrent que la menace d’une telle guerre régionale s’accroît à ce stade. Et ce, bien que le Hezbollah, l’Iran, l’Égypte, l’impérialisme occidental et d’autres acteurs de cette lutte aient tenté d’empêcher une telle évolution. Les divisions qui existent dans la société israélienne signifient que si Netanyahou ne poursuit pas la guerre, il risque d’être renversé et démis de ses fonctions. Si le conflit s’éternise, il pourrait également être destitué avant la fin de la guerre. Cependant, même avec une fin officielle de la guerre, le conflit se poursuivra car il est insoluble dans le cadre du capitalisme. Les tentatives de Biden et d’autres dirigeants impérialistes et arabes de ressusciter l’idée de deux États capitalistes ne résoudront pas la situation.

Les dirigeants impérialistes occidentaux ont subi d’énormes dommages politiques à cause de leur position sur la guerre à Gaza. Après l’invasion de l’Ukraine par Poutine, ils ont tenté de se donner une position morale en se présentant comme les défenseurs de la démocratie et des droits nationaux. Cette position a été perdue avec la défense de la guerre du gouvernement israélien. La rancœur et la haine de l’impérialisme occidental ont fortement augmenté dans une grande partie du monde, en particulier le monde néocolonial. Une polarisation massive s’est produite avec un soutien massif au peuple palestinien, avec quelques différences, notamment dans certains pays africains ou dans des pays comme l’Inde où les opinions sont plus mitigées en raison de la composition religieuse de la population.

La polarisation actuelle en Afrique date d’avant les événements du 7 octobre et la guerre qui s’en est suivie sur Gaza. Bien avant cela, une division, en gros nord/sud contre est/ouest, avait émergé au sein de l’Union Africaine (UA) au sujet de la décision unilatérale du président de la commission de l’UA, deux ans auparavant, de garantir à Israël un statut d’observateur à l’UA. Certains États membres, emmenés par l’Afrique du Sud et l’Algérie, ont fermement défendu que cette décision violait la traditionnelle solidarité du continent envers la Palestine. Résultat, l’observateur israélien a été renvoyé d’une réunion de l’UA à Addis Abeba en février 2023. Ce n’est donc pas surprenant que l’UA ait eu une forte position anti-Israël quand la guerre sur Gaza a éclaté. Cet événement démontre bien la situation compliquée qui règne en Afrique depuis la fin de la guerre froide. L’effondrement de l’Union soviétique a créé une situation où les relations internationales qui dictaient à nombre d’États africains avec qui ils devaient s’allier ont cessé d’exister, créant ainsi un vide que l’État israélien a exploité pour tenter de retrouver une influence perdue lors de la rupture des relations diplomatiques entre Israël et 25 nations africaines suite à la Guerre du kippour de 1973. Cela a pris la forme d’une offensive de l’État israélien pour aller courtiser les dirigeants africains, y compris des dirigeants autocratiques et des dictateurs comme Paul Biya au Cameroun, avec des aides économiques et militaires ou encore en lui fournissant quantité abondante de technologies de surveillance, comme le programme d’espionnage Pegasus, pour entraver l’opposition à leur régime. D’une certaine manière, cela fait écho à l’approche de l’État d’Israël dans les années 1970, quand il s’est allié au régime d’apartheid sud-africain en aidant à former ses unités militaires d’élite et en lui fournissant tanks et armement. L’objectif de cette politique clientéliste d’Israël, bien sûr, est de transformer ces États africains alliés en un bloc qui voterait à l’ONU en faveur de ses politiques en Palestine. Lors d’une réunion d’information en 2017 avec les ambassadeurs israéliens en Afrique, Netanyahou a résumé ainsi la situation : « Notre premier intérêt est de transformer radicalement les votes africains à l’ONU et dans les autres institutions internationales d’opposition à soutien. (…) Voilà notre objectif. »

Il suffit de noter que les divisions ne sont pas qu’entre les pays, elles existent aussi à l’intérieur des pays, par exemple en Afrique du Sud où on a vu des affrontements entre les pro-Palestine et les pro-Israël. Mais dans l’ensemble, alors qu’on a vu des manifestations de masse en faveur de la Palestine dans des pays comme l’Algérie, le Maroc et la Tunisie, il n’y a pas eu de véritable opposition de masse contre la guerre dans plusieurs pays d’Afrique de l’Ouest. En Afrique de l’Est, cependant, on a vu des manifestations se développer au Kenya, par exemple, qui ont forcé le régime de William Ruto, qui a toujours soutenu Israël, à modifier rapidement sa position. Outre l’aide économique et militaire, un autre facteur crucial derrière le soutien dont Israël continue de bénéficier dans un certain nombre de pays d’Afrique est le rôle de la montée des congrégations religieuses chrétiennes pentecôtistes, mais la situation peut très vite changer si le carnage à Gaza se poursuit. Cette situation, ainsi que la répression des manifestations pro-palestiniennes, par exemple au Kenya ou au Nigeria, où des manifestations pro-Palestine menées par des chiites subissent de plus en plus d’attaques policières dernièrement, peuvent provoquer un retour de bâton politique.

Une caractéristique importante de la réaction des régimes capitalistes a été le degré de répression des manifestations pro-palestiniennes. Cette répression a été très forte dans des pays comme la France, l’Allemagne, l’Inde et ailleurs. Cela reflète une tendance prononcée des classes dirigeantes à adopter des mesures plus autoritaires dans le monde entier, et pas seulement par rapport à la guerre.

Comme la guerre en Ukraine, la guerre à Gaza a, dans une mesure encore plus grande, entraîné une aggravation des tensions géopolitiques et de la polarisation. À quelques exceptions notables près, principalement en Afrique, le monde néocolonial s’est opposé à la position de l’impérialisme US. Cette polarisation s’est nettement reflétée au sein des Nations unies, même au Conseil de sécurité où les États-Unis ont été isolés, le Royaume-Uni s’étant abstenu. Ce processus était déjà visible à la suite de l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Le procès intenté par l’Afrique du Sud contre Israël devant la Cour internationale de justice est extrêmement important et reflète cette polarisation. Bien entendu, il ne doit pas y avoir d’illusions sur le fait que la CIJ ou d’autres institutions capitalistes internationales apportent une solution. Le régime sud-africain, comme la Turquie et d’autres, exprime la pression des masses et la sympathie massive pour le peuple palestinien, et leurs dirigeants s’en servent de façon cynique pour tenter de rassembler du soutien dans la population. En même temps, la Turquie et d’autres pays maintiennent leurs liens et intérêts directs avec Israël. La polarisation internationale reflète le déclin de l’impérialisme US, qui reste encore la plus grande puissance mais n’est plus en mesure de jouer son rôle passé d’une superpuissance imposant sa position au monde. La tendance à la formation de deux camps instables autour des États-Unis et de la Chine, ainsi que d’autres blocs et alliances, s’est poursuivie, avec par exemple l’expansion des BRICS. La Chine, ainsi que la Russie, beaucoup plus faible, ont utilisé ces éléments pour renforcer leur influence au niveau mondial.

Outre la guerre à Gaza, la guerre en Ukraine continue de s’éterniser dans un enlisement qui rappelle la guerre mondiale de 1914-18. Aucune des deux parties n’a été en mesure d’infliger un coup décisif à l’autre. Les lourdes pertes subies de part et d’autre n’ont engendré aucune avancée significative. Une certaine « lassitude de la guerre » se développe en Russie, en Ukraine et dans les pays occidentaux qui ont soutenu l’Ukraine. La question se pose de plus en plus de savoir combien de temps encore l’Occident pourra continuer à armer l’Ukraine. Le blocage de l’augmentation de l’aide de l’UE par la Hongrie et le blocage de l’aide au Sénat US par les Républicains montrent les divisions qui apparaissent. Tout comme la guerre à Gaza, ce conflit est également insoluble en raison du capitalisme. Même si un accord formel est finalement signé, le conflit se poursuivra sous une forme ou une autre.

Poutine n’a réussi à atteindre aucun objectif de guerre important depuis le début de la guerre en 2022, laquelle prépare le terrain pour sa chute à un certain stade, bien que cela puisse être tardif vu le caractère extrêmement bonapartiste de l’État russe et le capitalisme mafieux qui régit la société. D’autre part, toutes les sanctions, embargos, etc. mis en oeuvre par l’impérialisme occidental n’ont pas déclenché la crise qu’ils espéraient. Dans les faits, de nombreuses entreprises capitalistes occidentales enfreignent les sanctions à leur propre avantage et le pétrole russe continue d’être acheminé vers des pays clés tels que l’Inde et autres.

En Ukraine, Zelensky est de plus en plus remis en question et contesté. Il a démontré son véritable caractère en se joignant à des populistes d’extrême droite tels que Bolsonaro, Orban et d’autres lors de la cérémonie de prestation de serment du nouveau président argentin, Milei.

Ces deux guerres majeures, qui ont pris un caractère mondial, se déroulent alors que d’autres guerres et guerres civiles ont également lieu en Afrique et ailleurs. L’ONU estime que 25 % de la population mondiale vit aujourd’hui dans des zones de guerre ou de conflit majeur. Aujourd’hui, Maduro, au Venezuela, a rouvert le conflit avec le Guyana et a menacé de s’emparer de l’État guyanais d’Essequibo, riche en pétrole, qui, estime le Venezuela, lui a été volé au 19e siècle, et qui comprend environ les deux tiers du Guyana. En réponse à cette menace, le Brésil a déployé des tanks à ses frontières.

Tous ces éléments et d’autres illustrent la forte augmentation des conflits nationaux et des guerres dans le monde, ce qui constitue l’une des caractéristiques de la période où se trouve le capitalisme mondial. Ils illustrent la fin de l’époque où une superpuissance dominait le monde et était en mesure d’imposer sa volonté. Les guerres et les conflits militaires illustrent les intenses rivalités géopolitiques et les conflits d’intérêts qui existent. D’autres se profilent à l’horizon dans la mer de Chine méridionale, alors que la Chine accroît sa présence et affirme de plus en plus son pouvoir à Taïwan, que Xi vise à réintégrer à la Chine à un certain stade. Cela provoquerait un conflit majeur avec l’impérialisme US et occidental. L’augmentation spectaculaire des dépenses militaires en Allemagne et l’appel lancé par le ministre allemand de la défense pour que le pays soit prêt pour la « guerre » représentent un changement majeur de la situation.

Dans ce contexte, beaucoup parmi la nouvelle génération craignent, et c’est compréhensible, la perspective d’une troisième guerre mondiale. Les guerres qui se déroulent actuellement et les autres qui éclateront ont effectivement des caractéristiques et des conséquences mondiales. Toutefois, cela diffère d’une guerre mondiale totale entre les principales puissances qui impliquerait un Armageddon nucléaire, ce qui n’est pas posé à l’heure actuelle. Une telle guerre menacerait de détruire le capitalisme lui-même en décimant la classe ouvrière et les forces productives. Une utilisation tactique limitée d’armes nucléaires ou d’autres horribles armes de destruction massive pourrait toutefois se produire dans un conflit entre des pays aux dirigeants bonapartistes populistes d’extrême droite incontrôlables. Un tel événement provoquerait des manifestations massives engendrant instabilité et bouleversements.

Comme nous l’avons analysé dans de précédents textes, une série de crises multiples et interdépendantes sont en cours : économique, politique, géopolitique, environnementale et, dans chacune d’entre elles, des polarisations marquées sont présentes et se développent. La crise géopolitique est flagrante et transparaît dans les deux guerres majeures qui se déroulent actuellement.

En ce qui concerne l’économie, les classes capitalistes ont oscillé entre les devins qui claironnent comme des myopes que la crise économique a été résolue ou est sur le point de l’être, et un pessimisme total quant à la situation et à ce que l’avenir nous réserve. Au mieux, l’économie mondiale connaît actuellement une faible croissance ; des pans entiers de l’économie sont déjà en récession ou en stagnation. Il est évident que malgré la hausse des taux d’intérêt et la fin de l’ère de l’argent bon marché, l’inflation n’a pas été éliminée ou réduite à un niveau jugé optimal par les banques centrales. Malgré une diminution ou une augmentation marginale du taux d’inflation, celle-ci restera un problème majeur dans la période à venir. L’inflation alimentaire est une question majeure qui touche des millions de personnes. Ils restent confrontés à des problèmes de chaîne d’approvisionnement qui sont exacerbés par les guerres. Les attaques des forces houthies soutenues par l’Iran dans la mer Rouge entraînent des retards dans le transport maritime, ce qui fait grimper les prix. Plus d’une centaine de navires ont été détournés vers l’Afrique australe pour éviter le canal de Suez. Le Japon, après trente ans de déflation ou de très faible inflation, voit actuellement ses prix augmenter au rythme le plus rapide depuis trente ans. Le ralentissement de la consommation de pétrole indique la chute de la croissance économique en cours.

Les bourgeois US prétendent que la croissance au troisième trimestre a été de 4,9 % en rythme annuel. Même si c’est vrai, cette croissance n’est pas stable. Le caractère de la croissance signifie toujours que pour les masses américaines, il n’y a pas eu de réelle augmentation du niveau de vie ou de gains pour la classe ouvrière. La Chine est confrontée à une crise majeure de la dette et de l’immobilier et à une contraction, tandis que l’Allemagne pourrait entrer en récession et que le Japon connaît sa contraction trimestrielle annualisée la plus rapide depuis deux ans. L’Allemagne, première économie de l’UE, a vu le nombre de ses faillites augmenter de 30 % au cours de l’année écoulée. Dans l’ensemble de l’UE, les défaillances d’entreprises ont augmenté de 13 %. Les conséquences de la hausse des taux d’intérêt n’ont pas encore été pleinement ressenties. Il est fort possible qu’une grave récession mondiale survienne en 2024.

La hausse des taux d’intérêt a eu un effet dévastateur en aggravant la crise mondiale de la dette, en particulier dans le monde néocolonial, mais aussi dans les puissances impérialistes. La Banque mondiale estime que le coût des emprunts à une échelle mondiale sont au plus haut depuis quarante ans, et qu’ils ont poussé le service de la dette extérieure des pays en développement à un niveau paralysant : 443,5 milliards de $ US en 2022. Rien qu’au cours des trois dernières années, 18 défaillances souveraines ont été enregistrées dans dix pays en développement – plus que les 20 dernières années. La crise de la dette attend également d’exploser dans les puissances impérialistes occidentales, tant dans le secteur public que dans le secteur privé.

Le monde néocolonial d’Asie, d’Afrique et d’Amérique latine se trouve dans une situation catastrophique. Il est dévasté par la crise. Des pays comme le Sri Lanka et d’autres sont confrontés à la pire situation de leur histoire. La situation désastreuse de l’Argentine en est un exemple. Ce pays était autrefois l’une des économies les plus développées d’Amérique latine. Aujourd’hui, officiellement, plus de 40 % de la population vit en dessous du seuil de pauvreté. L’hyperinflation de plus de 200 % ravage l’économie. À cela s’ajoute la crise explosive de la dette qui continue de plomber l’économie argentine, alors que la menace d’un défaut de paiement ne cesse d’être agitée. L’annonce d’une dévaluation de 50 % du peso par le nouveau gouvernement Milei, dans le cadre d’une thérapie de choc féroce, rappelle la « thérapie de choc » appliquée par les Chicago Boys au Chili. C’est un avant-goût de ce que l’avenir réserve à de nombreux pays, y compris dans les puissances occidentales impérialistes, comme l’illustrent les événements en Grande-Bretagne.

C’est dans ce contexte qu’il faut préparer les perspectives de la lutte des classes et du socialisme. Des crises et des bouleversements sociaux et politiques massifs sont déjà en cours. On assiste à une chute globale, voire dans certains pays à un effondrement, de l’autorité et de la base sociale des instruments par lesquels le capitalisme a fonctionné. Cela s’applique aux institutions d’État et aux partis traditionnels dans tous les pays. Le degré peut varier, mais la tendance globale est claire. Les classes dirigeantes confrontées à cette situation, par crainte d’explosions sociales massives, recourent partout à des mesures bonapartistes plus autoritaires.

Dans certaines régions du monde néo-colonial, même les formes limitées de démocratie bourgeoise qui existent ne sont plus adaptées. C’est ce qu’illustrent les récents coups d’Etat militaires en Afrique. La répression brutale des gangs de narcotrafiquants par le régime Bukele au Salvador a conduit à l’emprisonnement de plus de 60 000 personnes, soit 1 % de la population. Cette situation reflète les caractéristiques d’effondrement et de désintégration sociales qui se produisent en Asie, en Afrique et en Amérique latine et qui commencent à se développer dans certains pays impérialistes occidentaux. Ces tendances commencent également à se manifester dans certains pays industrialisés occidentaux.

Un vide politique massif s’ouvre à l’échelle mondiale à mesure que le soutien aux partis existants diminue ou s’effondre. Alimenté par la guerre à Gaza, les inégalités sans précédent, la corruption et la déconnexion des dirigeants politiques, un sentiment d’amertume, d’injustice, de polarisation et d’opposition aux élites dirigeantes est palpable dans de nombreux pays. L’inaptitude crasse de la plupart des politiciens bourgeois d’aujourd’hui par rapport au passé renforce ces tendances dans les perspectives et l’opinion. C’est aussi un reflet du caractère du capitalisme à notre époque, en particulier de la domination du capital financier qui les conduit à rechercher des solutions et des gains à court terme.

Les soulèvements de masse que nous avons vus après 2018 dans une série de pays ont traduit les situations explosives qui existaient et la haine enracinée envers les dirigeants dans ces pays. La résurgence des mouvements de grève dans certains pays européens comme la Grande-Bretagne, l’Allemagne et aussi aux États-Unis est très significative. Ils préfigurent des mouvements encore plus vastes qui éclateront au cours de l’agonie prolongée du capitalisme.

La croissance modeste mais significative des syndicats et des grèves en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis indique les changements qui commencent à émerger. Il est essentiel que nous reconnaissions l’importance de ces développements. En octobre 2023, les États-Unis ont perdu 4,5 millions de jours de travail liés à des grèves. Sur un mois, c’est un record absolu depuis quarante ans. Dans le même temps, il est nécessaire de reconnaître qu’il s’agit du début d’un processus. De nombreuses grèves, mais pas toutes, ont un caractère de protestation et, dans l’ensemble, n’ont pas été généralisées. Cela reflète les limites de la conscience, de l’expérience, de l’organisation et de l’expérience de la lutte de ces travailleurs. Une nouvelle génération de jeunes travailleurs doit apprendre par la lutte. C’est le reflet de l’époque actuelle et des effets persistants de l’effondrement des anciens États staliniens sous tous ses aspects. Cette situation a été aggravée par le rôle de la bureaucratie syndicale dans sa majorité.

Les récents soulèvements ont montré une fois de plus que l’absence d’une alternative politique socialiste révolutionnaire forte de la classe ouvrière, le manque d’expérience et les limites de la conscience politique ont fait que les soulèvements se sont heurtés à un mur puis arrêtés. Les classes dirigeantes ont ainsi pu réaffirmer leur contrôle sur la société. En conséquence, dans certains pays, la confusion et l’absence d’alternative ont conduit à un recul temporaire de la conscience politique. La conscience politique des masses ne se développe pas en ligne droite et en ascension constante. Elle connaît des hauts et des bas.

Ces faiblesses se sont également manifestées dans certains aspects des récents mouvements de grève et de manifestation en Europe et aux États-Unis. Le rôle des dirigeants syndicaux, qui ont souvent eu un rôle de frein sur le mouvement, a souvent fait obstacle au mouvement de grève. Ceci, combiné au manque d’expérience d’une nouvelle génération de travailleurs impliqués dans ces luttes, les a empêchés de se développer à un niveau plus élevé. Dans certains cas, après des périodes assez longues de grève sur une ou deux journées, des acquis relativement maigres ou mineurs ont été obtenus en termes réels. Mais ce n’est pas toujours le cas. Aux États-Unis, des gains substantiels ont été obtenus dans l’industrie automobile, mais ils auraient pu être plus importants. Reflétant l’état d’esprit militant qui existe, il est significatif que la nouvelle convention n’ait été acceptée que par une faible marge des travailleurs de General Motors et qu’elle ait été rejetée dans un certain nombre de grandes usines automobiles. Il y a également des signes importants d’une opposition qui commence à se manifester au sein des syndicats dans d’autres pays.

La conscience politique ne se développe pas en ligne droite. Elle ne se développe pas non plus à un rythme fixe. Des bonds en avant dans la compréhension et la conscience politiques peuvent avoir lieu au cours des luttes et poussés par le développement de la crise capitaliste, même sans l’existence de partis socialistes révolutionnaires de masse ou de grande envergure. Cependant, il est essentiel de souligner que l’existence de tels partis est vitale pour aider les travailleurs et les personnes en lutte à tirer toutes les conclusions nécessaires pour renverser le capitalisme.

Le vide politique qui s’est créé a permis aux populistes de droite et à l’extrême droite de progresser de manière significative en Europe et dans le monde, quoique principalement (mais pas uniquement) au niveau électoral. D’une certaine manière, l’absence d’une alternative socialiste de masse ou large a permis à la droite et à la réaction de prendre le dessus sur le plan politique. Toutefois, il ne s’agit pas, dans l’ensemble, d’une base stable ou consolidée. La chute du soutien à Biden aux États-Unis signifie qu’il existe une sérieuse possibilité que Trump remporte les élections en 2024. Modi est en passe de remporter un nouveau mandat en Inde. Les gains électoraux de la droite aux Pays-Bas et en Italie, ainsi que la croissance de l’AfD en Allemagne, illustrent également ce phénomène. L’élection de Milei en Argentine et la menace de Kast au Chili soulignent ce processus. Cependant, ce n’est pas la situation de tous les pays.

Toutefois, cela ne signifie pas que la droite dispose d’une base consolidée ou stable. Ceci sera illustré en Argentine. Milei a lancé un programme de thérapie de choc contre la classe ouvrière argentine. Ce programme s’accompagne de l’introduction de mesures répressives vicieuses, y compris l’interdiction des manifestations. Au Congrès national, les députés du FIT ont été menacés de  » la prison ou une balle  » ! Ces mesures provoqueront soit des éléments de guerre civile, soit des explosions sociales, soit un soulèvement d’une forme ou d’une autre.

Dans d’autres pays, la perspective de nouvelles explosions sociales ou de nouveaux soulèvements est également présente. Dans des pays comme le Sri Lanka et le Chili, où des soulèvements de masse ont eu lieu, aucune des causes sous-jacentes n’a été résolue. D’autres mouvements sont inévitables et nous devons nous y préparer. Le caractère que prendront certaines de ces explosions sociales, compte tenu des caractéristiques de la désintégration sociale et économique en cours dans des pays comme le Nigeria, est incertain. L’effondrement social peut conduire à une explosion de la lutte des classes, que les dirigeants syndicaux tenteront de limiter, ou à un conflit ethnique/religieux et à l’éclatement de la société.

Nous devons nous préparer à une résurgence du soutien à des formes de guérilla dans certains pays. La crise au Myanmar, où les militaires sont désormais menacés par les victoires significatives de la guérilla, avec la bénédiction du régime chinois, peut alimenter cela, en particulier si les militaires sont vaincus, ce qui n’est pas exclu aujourd’hui.

L’impérialisme US et le capitalisme mondial seront confrontés à une situation encore plus précaire, instable et explosive si Trump remporte l’élection. La classe dirigeante US fera tout pour essayer d’empêcher que cela ne se produise. Pourtant, il se peut qu’elle n’y parvienne pas, vu le rôle désastreux que joue Biden. Une deuxième présidence Trump provoquera une polarisation sociale et de classe encore plus importante et une situation encore plus explosive. Ces événements aux États-Unis sont cruciaux pour la situation mondiale, tant en termes de relations et de conflits géopolitiques que d’une lutte des classes qui s’intensifiera aux États-Unis tout comme d’autres mouvements sociaux.

La crise économique qui se développe en Chine n’affectera pas seulement l’économie mondiale, mais aura certainement des répercussions en Chine même. Il est important que nous soyons prêts à ce que des bouleversements sociaux éclatent également dans ce pays. L’expression politique et la conscience que cela prendra ne sont pas certaines et il est essentiel que les marxistes soient attentifs à de tels événements qui auront un impact crucial au niveau international.

Tous ces événements seront encore aggravés par la crise environnementale qui se développe. Le récent sommet de la COP28, que les bourgeois vantent comme étant un pas en avant dans la lutte contre la situation dévastatrice qui se développe, ne résoudra pas la question. Sur une base capitaliste, sans un plan économique global, il est impossible de résoudre cette crise que le système de marché a créée. La COP28 s’avérera être un nouveau faux espoir. La crise environnementale est si grave qu’elle influencera tous les aspects des développements économiques, politiques et géopolitiques de l’ère à venir. Cette question et d’autres questions sociales telles que les droits des femmes peuvent déclencher de grands mouvements sociaux dans certains pays.

Le marxisme subit sa plus grande épreuve historique vu l’absence de partis politiques puissants de la classe ouvrière. La guerre est un grand test pour les socialistes. La « gauche » en général, y compris la gauche dite révolutionnaire, n’a pas réussi à élaborer un programme politique qui corresponde aux horreurs qui se déroulent en Ukraine et à Gaza et à défendre une position de classe indépendante fondée sur des principes, qui défende les intérêts et les droits démocratiques nationaux de tous. L’effondrement idéologique de la gauche est mis en évidence à chaque nouvelle péripétie de l’agonie prolongée du capitalisme. Le CIO a su faire face à ces développements avec une analyse claire, une position de classe indépendante de principe et un programme socialiste révolutionnaire.

Objectivement, la nécessité de créer de véritables nouveaux partis socialistes de masse de la classe ouvrière se révèle de plus en plus clairement dans chaque pays. Même lorsqu’il y a eu des initiatives de « gauche » dans les anciens partis, elles se sont avérées temporaires et n’ont pas abouti à l’adoption par ces partis d’un programme et d’une pratique socialistes. Une grande partie de la « gauche » et des dirigeants syndicaux, comme on le voit avec Mélenchon en France, Sanders aux États-Unis et les dirigeants des travailleurs de la métallurgie en Afrique du Sud, essaient consciemment de bloquer ou de limiter les étapes vers la construction d’un nouveau parti. Ainsi, ce processus est déjà extrêmement laborieux. Cela reflète le caractère de la « gauche » et le niveau de conscience politique existant. Il est fort possible que le processus de formation de nouveaux partis de masse soit encore retardé pour ces raisons. Ce n’est pas certain, mais c’est une possibilité sérieuse. Le soutien à l’idée d’un parti peut exister. Cependant, mettre cela en application est une question plus complexe. Cette situation peut évidemment évoluer au fur et à mesure que la situation sociale et politique se tend. Il est possible que des formations temporaires et transitoires émergent, vers lesquelles nous devons être prêts à nous orienter. Ces formations peuvent exister pendant une période brève, ce qui nécessite des marxistes que nous soyons prêts à modifier rapidement nos tactiques et/ou notre orientation politique. D’une certaine manière, nous devons soulever la nécessité d’un parti organisé du prolétariat comme Marx et Engels l’ont fait en 1850.

Si de nouveaux partis ouvriers émergent, ce ne sera pas la fin du processus, mais plutôt une nouvelle étape dans la lutte pour la construction d’un parti révolutionnaire, comme l’a compris Lénine. En leur sein, la lutte politique commencerait immédiatement. La profondeur de la crise et les défis à relever provoqueraient probablement des scissions et des divisions assez rapidement. Bien qu’il ne s’agisse pas de partis ouvriers de masse, la crise qui s’est développée dans les partis de « gauche » tels que Syriza, DIE LINKE, Podemos, PSoL, etc. en est l’illustration. Les nouveaux partis formés au cours de cette période houleuse ne ressembleront pas aux partis sociaux-démocrates et « communistes » relativement stables que nous avons connus après la Seconde Guerre mondiale.

Cependant, la profondeur de la crise et les confrontations sociales et de classe brutales qui sont en train d’émerger n’attendront pas la formation de tels partis. L’appel à la création de nouveaux partis de masse est un élément crucial de notre propagande et de nos revendications. En même temps, la construction de grands partis socialistes révolutionnaires et de sections du CIO ne dépend pas de cela. La construction de nos partis socialistes révolutionnaires devient de plus en plus urgente. Des couches importantes de la classe ouvrière et de la jeunesse peuvent être gagnées directement à notre programme et à nos partis sans passer par l’expérience de partis plus larges. Comme l’histoire l’a également démontré dans certaines situations, il est possible pour un parti trotskyste, comme le LSSP au Sri Lanka, d’émerger comme le plus grand ou le principal parti de la classe ouvrière, ou, comme dans le cas de la Bolivie, du Vietnam et, dans une certaine mesure, de l’Argentine, d’acquérir une grande influence et une base importante parmi les sections clés de la classe ouvrière. Et, bien que pas en tant que parti ouvert, comme nous y sommes parvenus en Grande-Bretagne. Cependant, que les travailleurs d’un pays donné passent ou non par un ou plusieurs partis larges – ce qui est probable pour la plupart – notre tâche consiste à poser les bases de la construction d’un parti trotskyste doté d’un programme, d’une tactique et d’une stratégie corrects, afin qu’il émerge à terme comme une force de masse.

Il y a urgence à construire et renforcer les forces du CIO et à construire des partis socialistes révolutionnaires et l’Internationale. Le temps n’est pas illimité. Nous avons la tâche de mener une bataille idéologique, politique et organisationnelle à laquelle les générations précédentes n’ont pas été confrontées. Un nouveau monde incertain émerge, dans lequel les événements se déroulent à une vitesse vertigineuse. Il est essentiel que nous relevions ce défi et que nous formions la nouvelle génération de membres à la clarté idéologique, à l’audace, à la flexibilité et à la détermination à lutter nécessaires que l’histoire met aujourd’hui sur les épaules des marxistes et du CIO.