Kazakhstan : manifestations de masse dans tout le pays

Cet article a été publié pour la première fois le 5 janvier 2022 sur www.socialistworld.net. Depuis, il a été confirmé que la Russie a envoyé des troupes au Kazakhstan. Des dizaines de personnes ont été tuées à Almaty cette nuit par les tirs de la police, et encore des milliers de manifestants ont été arrêtés. Le pouvoir tente de couper les communications téléphoniques et internet. Nous appelons nos soutiens, mais également syndicats et organisations de jeunesse en particulier, à envoyer des messages à l’ambassade du Kazakhstan en France (mails à envoyer à paris@mfa.kz) pour exprimer leur solidarité avec le mouvement de protestation et exiger la fin de la répression. Exigeons le respect des droits démocratiques : pour le droit de manifester, de faire grève, de créer des syndicats ; pour de nouvelles élections dans lesquelles tous les partis, à l’exception des fascistes, pourront présenter des candidats sans avoir à payer de frais et avec un accès libre à tous les médias de masse. Non à l’intervention des troupes étrangères.

Merci de transmettre à contact@gaucherevolutionnaire.fr tout message, lettre… que nous pourrions publier et/ou envoyer à nos camarades sur place.

Une explosion de colère se propage au Kazakhstan en ces premiers jours de janvier 2022. L’étincelle a été le doublement du prix du gaz de pétrole liquéfié – le carburant le plus utilisé dans le pays. L’état d’urgence, au moins jusqu’au 19 janvier, a été annoncé dans la deuxième ville du pays, Almaty, (où la mairie a été prise d’assaut) et à Mangistau. Des couvre-feux nocturnes ont été imposés de 23 heures à 7 heures du matin.

Toutes les routes menant au centre d’Astana (désormais appelée Nur-sultan) ont été immédiatement fermées et les forces de l’État ont érigé des barricades pour empêcher toute manifestation ou occupation dans les quartiers centraux de la capitale. Reuters rapporte que dans la plus grande ville du pays, « des milliers de manifestants se dirigeaient vers le centre d’Almaty (…) après que les forces de sécurité eurent échoué à les disperser à coups de gaz lacrymogènes et de grenades aveuglantes ». Des attaques contre des banques, des magasins, des restaurants et des bâtiments gouvernementaux ont été signalées dans de nombreuses autres villes, dont Shymkent et Taraz, dans le sud.

Des bâtiments ont été incendiés. Des canons à eau et des grenades assourdissantes ont été utilisés contre des manifestants. Des centaines de personnes ont été placées en détention préventive et d’autres risquent encore d’être arrêtées brutalement dans la rue. Les médias colportent les mensonges habituels sur les provocateurs et les extrémistes étrangers.

Selon certaines informations, des grèves ont éclaté, notamment dans la ville de Zhanaozen. Dix ans seulement se sont écoulés depuis le massacre, par les forces de l’État, de travailleurs du pétrole en grève dans cette ville, en décembre 2011, et les souvenirs des deux côtés sont encore à vif.

Le président Kasym-Žomart Tokaïev, qui est clairement une marionnette aux mains du précédent président, Nursultan Nazerbaïev, a sommairement limogé le gouvernement, qui n’était que faible et fantoche. Il a annoncé l’annulation de l’augmentation du prix du carburant, qui est passé de 120 Tenges (₸) à 60 ₸ par litre, ce qui montre que le régime actuel craint qu’une révolte ne se transforme en un mouvement capable de le faire tomber.

Et le sang coule à flots !

Le Kazakhstan est un pays de la taille de l’Europe occidentale, bordé par la Chine et la Russie. La Chine a de gros intérêts industriels et commerciaux dans le pays. (Une usine où les travailleurs auraient fait grève cette semaine est une co-entreprise chinoise). Certaines spéculations font état d’un mouvement de troupes de la part de Poutine pour intervenir dans la défense des intérêts économiques et politiques de la Russie, sous prétexte de défendre les plus de 4 millions de Russes qui vivent dans le pays.

Nazerbaïev dirige effectivement une dictature au Kazakhstan depuis avant l’éclatement de l’URSS en décembre 1991. L’octogénaire est resté le pouvoir derrière le trône jusqu’à ce jour et la cible numéro 1 des manifestants qui crient : « Le vieil homme doit partir ! ». « Nous avons subi trente ans de sa dictature honteuse et n’avons rien gagné ! ».

Le climat qui se développe dans le pays serait en train de passer de la protestation contre la hausse des prix à la demande de démission des gouverneurs locaux et de représentation démocratique. L’année dernière encore, un blogueur d’Azatiq, s’entretenant avec des grévistes dans la région de Zhanaozen, écrivait : « Certains des manifestants (…) demandaient que le peuple ait le droit d’élire ses dirigeants locaux… Un groupe de députés des partis pro-gouvernementaux Nur Otan et Ak Zhol est venu parler aux travailleurs. Ils leur ont dit : « Nous sommes des députés que vous avez élus », ce à quoi les grévistes ont répondu : « Vous avez été nommés à vos postes ; le peuple ne vous a pas élus' ». (Bruce Pannier)

Perspectives

Jusqu’à présent, les concessions ne calment pas la situation. Pas plus que les blessés et les arrestations de centaines de manifestants. De nombreux manifestants ont refusé de céder les places qu’ils occupent et ont monté des tentes et passé la nuit dans le froid glacial. Dans certaines zones, on a vu la police refuser ouvertement les ordres d’attaquer.

Il y a un mouvement en cours qui pourrait se transformer en une confrontation avec les couches dirigeantes. Les travailleurs et les jeunes devraient avoir pour objectif de les remplacer par un gouvernement démocratiquement élu composé de représentants des travailleurs.

Dans la situation actuelle, les manifestants doivent se regrouper en comités de lutte, avec des travailleurs et des jeunes prêts à se battre jusqu’au bout. Ils doivent élire démocratiquement des représentants au sein de ces comités au niveau local, qui pourront ensuite établir des liens au niveau régional et national. Cette situation pose clairement la question de savoir qui dirige la société et la nécessité pour les travailleurs d’avoir leur propre parti pour poursuivre une alternative à la dictature et à la pauvreté.

Nazerbaïev et Tokaïev pourraient être évincés. Mais les organisations de travailleurs ne devraient faire partie d’aucune coalition avec des partis pro-capitalistes, y compris ceux dirigés par des oligarques de l’opposition mais aussi des libéraux auto-proclamés.

Il faut intensifier la lutte pour que tous les droits démocratiques soient établis et respectés – la liberté d’expression et de la presse et le droit de manifester, de faire grève et d’organiser des partis d’opposition sans ingérence de l’État. Les travailleurs doivent se battre jusqu’au bout pour éliminer totalement la dictature du capital – qu’il soit kazakh, chinois, russe ou autre – et lutter pour un véritable socialisme.

Le CIO fera, comme toujours, tout son possible pour défendre et protéger les militants qui luttent contre le régime actuel au Kazakhstan, y compris en exigeant leur libération de la détention par l’État. Nous aspirons à une future confédération d’États socialistes dans la région et dans le monde entier.

Article par Clare Doyle, du Comité pour une Internationale Ouvrière