Interview de Nikos Kanellis, Conseiller municipal à Volos (Xekinima/ section du CIO en Grèce) par Sascha Stanicic (SAV’/section du CIO en Allemagne)
Comment voyez-vous l’accord entre l’UE et le gouvernement Syriza ?
Pour nous il est clair que c’est un pas en arrière par rapport à ce que Syriza et Alexis Tsipras ont dit avant les élections.
Le premier problème majeur est la dette. L’accord, signé par le gouvernement, dit que le gouvernement grec (c’est-à-dire les travailleurs) payera le montant entier de la dette (environ 320 milliards d’euros), c’est-à-dire plus de 170 % du du produit intérieur brut. Avant les élections Syriza disait que la dette doit être sérieusement réduite par une conférence internationale comme celle qui a eu lieu en 1953 réduisant la dette externe de l’Allemagne.
La deuxième question importante est que le nouveau gouvernement a accepté que toutes les politiques mises en œuvre au cours des quatre prochains mois auront à être acceptées et validées par la Troïka (l’UE, la BCE et le FMI). Cette dernière ne sera dorénavant pas appelée « la Troïka », mais « les Institutions ».
De plus le gouvernement s’engage, par l’accord, à n’appliquer aucune politique qui annulerait les lois des mémorandum précédents (c’est-à-dire les lois d’austérité drastique). Cela signifie que le gouvernement sera sous la pression d’un chantage permanent de la troïka et que « le programme de Salonique » (les mesures immédiates pour les couches les plus pauvres de société qui ont été présentées et votées par Syriza en septembre 2014) est remis en cause. Le seul point positif de l’accord consiste à ce que les mesures de rigueur validées l’automne dernier par le gouvernement précédent et la Troïka ne se poursuivront pas.
Y avait-il une autre alternative pour Tsipras et Varoufakis que d’accepter l’accord avec la pression du gouvernement allemand, Schäuble et cie. ?
Oui il y avait une alternative, oui il y avait un choix différent ! La grande majorité de la population grecque était en faveur « d’une ligne dure ». C’est pourquoi des manifestations massives ont été organisées dans tout le pays, même dans de petites îles, en faveur du gouvernement et contre le chantage de la Troïka et particulièrement du gouvernement allemand. Les sondages à la hausse montrent que 70-80 % des Grecs ont soutenu le gouvernement grec dans cette « bataille ».
Xekinima (section du CIO en Grèce), aux côtés d’autres forces et même avec quelques députés Syriza, a proposé que Tsipras en appelle à la population grecque et appelle à un référendum à propos du dilemme « l’euro et l’austérité ou l’anti-austérité, des politiques en faveur des travailleurs et le retour à la drachme (monnaie grecque avant l’euro) ? ».
Nous croyons fortement que si cette question avait été posée à la grande majorité des travailleurs grecs et des pauvres, ils auraient choisi de rompre avec l’euro. Bien sûr, en même temps, nous avons expliqué que le retour à la drachme ne fournirait pas, en soi, de solutions à la crise du capitalisme grec et que des politiques socialistes devraient être mises en œuvre immédiatement pour mettre l’économie sur le chemin de la croissance et dans l’intérêt des travailleurs.
Comment les gens voient-ils ces développements ? Le soutien pour le gouvernement est fortement monté après les élections mais cela va t-il changer maintenant?
Une grande partie de la société grecque soutient toujours le gouvernement parce qu’ils le comparent au gouvernement précédent de la Nouvelle Démocratie/PASOK, un des gouvernements les plus détestés, répressifs et anti-ouvriers de l’histoire récente. Les gens sont un peu soulagés qu’il n’y ait aucune nouvelle mesure de rigueur à l’ordre du jour ! En même temps, c’est clair (particulièrement parmi les couches les plus radicalisées) que le gouvernement recule massivement sous la pression des classes dirigeantes allemandes, européennes et grecques. Il est clair que le gouvernement ne mettra pas en œuvre les mesures immédiates promises avant l’élection et qu’il essaie d’accepter un compromis avec l’ennemi de classe. Donc parmi de nombreuses parties de la société, il y a de la confusion et partiellement une déception. Et ceci se voit clairement par l’absence de participation massive aux manifestations récentes.
Que proposez-vous que le gouvernement et la gauche grecque fassent ?
Le gouvernement devrait immédiatement prendre des mesures contre « la crise humanitaire », la pauvreté généralisée et massive dans laquelle vit la grande majorité de la population. Il devrait aussi avancer, comme promis, le retour aux conventions collectives, la hausse du salaire minimum à environ 670 euros (net, après les prélèvements sociaux et taxes sur une base de 751euro brut) par mois et supprimer la taxe foncière qui pèse lourdement sur les familles ouvrières qui ne peuvent pas la payer et risquent de perdre leurs maisons. De telles mesures, même basiques, remporteront le soutien enthousiaste de la société grecque.
En même temps, Tsipras devrait expliquer qui sont les véritables responsables pour la dette (les banquiers, les capitalistes, les classes dirigeantes grecque, allemande et européenne dans leur ensemble) et immédiatement arrêter de la payer. Alors ils devraient effectuer des politiques socialistes : la nationalisation des banques sous le contrôle et la gestion des travailleurs et engager un vaste plan d’investissements publics, planifier l’économie et la mettre sur le chemin de croissance. L’économie devrait être « protégée » de la spéculation et du sabotage du capitalisme grec et européen, par le contrôle des capitaux et le contrôle du commerce extérieur.
Il est clair que Tsipras ne choisit pas ce chemin. C’est pourquoi la pression d’en-bas, de la classe ouvrière et d’autres mouvements sociaux, est cruciale. Les forces de gauche qui comprennent cette perspective et qui ne sont pas d’accord avec l’approche sectaire ultra-gauche du KKE (le parti communiste grec) et d’ANTARSYA (« la gauche radicale anticapitaliste ») ont des tâches cruciales et historiques. D’une part, ils doivent organiser un mouvement de masse pour faire pression sur le gouvernement. D’autre part, ils doivent se réunir, discuter, coordonner et expliquer aux couches larges parmi la population la nécessité de politiques socialistes pour commencer à construire une alternative politique de masse révolutionnaire-socialiste.