Doit-on lier les revendications sur les salaires aux résultats de la croissance ?

Les manifestations des 18 et 30 janvier à l’appel des différentes fédérations de fonctionnaires concernant les salaires ont montré qu’il existe un regain de mobilisation de la part des salariés sur cette question. De nombreux manifestants appuient leurs revendications sur les chiffres de la croissance dont le gouvernement confirme la bonne tenue malgré le ralentissement américain.

Article paru dans l’Egalité n°85

Si la question des salaires vient sur le devant de la scène social, c’est que les raisons de revendiquer ne manque pas. Dans le secteur privé, les travailleurs qui subissent la loi Aubry ont eu vite faite de voir les conséquences, en bas du bulletin de paie, des soit-disant bons accords. Dans de nombreuses entreprises, la mise en place des « 35 heures » s’est accompagnée d’une suppression de primes, de la fin des majorations pour heures supplémentaires via la modulation et d’un programme de modération salariale. La pilule est difficile à digérer surtout lorsqu’on se rend compte en pratique qu’il est quasi impossible de prendre les jours de RTT que l’on voulait où lorsqu’on commence à ressentir, sur la vie de famille, les premiers effets du travail en horaires décalés ou du samedi. Mais comment rester résigné quant la presse annonce que les bénéfices des entreprises françaises sont au beau fixe, que les salaires des principaux dirigeants augmentent de plus de 15 % en moyenne par an pour soi disant rattraper le retard vis à vis de leurs collègues américains. Cette situation est d’autant plus dure que la politique d’individualisation des salaires, où les salariés méritant devaient obtenir une bonne rallonge en fin d’année, est en panne, que les salaires des premiers de la classe sont eux aussi bloqués en raison de la grande campagne de baisse des coûts du travail.

Ainsi les promesses ne suffisent plus et la grogne monte. Ceci amène parfois à de véritables explosions de colère sur les salaires et les conditions de travail, à la grève de tout le personnel quelque soit la catégorie comme à Pizza Hut ou H&M. Lorsque les précaires du tertiaire rentrent dans la danse, c’est vraiment que quelque chose ne tourne pas rond.

Salariés du public ou du privé, une même logique en face de nous

Mais les salariés du secteur public ne sont pas en reste sur cette question. L’acceptation des critères de Maastricht se traduit par une « limitation » des dépenses publiques : ceci se fait au moyen des privatisations ou fermetures de services et par la baisse des rémunérations. Récemment, le feu aux poudres a été mis par monsieur le Ministre de la fonction publique qui a osé proposer une augmentation de 0,5 % contre une inflation de 1,6 % sous prétexte que ses propres services avaient sur-estimé l’inflation lors du précédent accord salarial. Ainsi les fonctionnaires devraient accepter sans broncher de voir leurs salaires s’ajuster juste à l’indice de l’INSEE censé être représentatif de la hausse des prix, comme si eux aussi n’avaient pas de nouveaux besoins à satisfaire. Il oublie de préciser que le gel de l’emploi public a accru la charge de travail, que des centaines de milliers de fonctionnaires gagnent moins que le SMIC…

Cela veut-il dire que les salariés du privé comme du public, qui se serrent la ceinture depuis plus de vingt ans pour cause de crise économique, sont les nouveaux oubliés de la croissance économique dont se félicite patronat et gouvernement ? Comment comprendre une chose pareille alors que la part des salaires dans la valeur ajouté a largement diminuée, que les gains de productivité sont en hausse constante depuis des années. Pour ceux qui ont encore des illusions, nous leur donnons la réponse, il n’y aura pas un centime d’augmentation de salaire sans mobilisation massive des salariés et de leurs organisations.

La raison en est toute simple, elle tient à l’origine même de la « croissance » économique qui repose uniquement sur une baisse des coûts de production, via une diminution sans précédent du coût du travail en France comme à l’étranger. Du blocage des salaires sous le gouvernement Mitterrand aux exonérations de cotisations sociales de Giraud et Balladur, tous les gouvernements ont basé leur politique sur une baisse du coût de la main d’oeuvre aux entreprises. Tout a été fait pour subventionner les entreprises, pour leur ouvrir de nouveaux marchés rentables via les privatisations et autres déréglementations. La croissance n’existe que parce que les riches s’enrichissent sur le dos des plus pauvres. Mais comme nous le montre l’exemple américain, cette politique a des limites, en appauvrissant ceux qui consomment, les entreprises ne trouvent plus de débouchés.

Quelles revendications mettre en avant ?

Les revendications salariales sont légitimes quelque soit leurs implications sur la croissance parce qu’elles représentent des nécessités pour ceux qui n’ont que leur salaire pour vivre. Depuis la désindexation des salaires de 1983, la perte de pouvoir d’achat mensuelle est supérieur à 1 000 F. Dans ce cadre, la revendication de la FSU, 3 % d’augmentation est largement insuffisante. La CGT, en réclamant 1 500 f pour tous, exprime une revendication qui devrait unir le public et le privé. Cependant, il faudra quand même imposer que les mobilisations se fassent aux mêmes dates. 1 500 f et le SMIC à 8 500f, c’est, le minimum, même si la bataille pour y parvenir sera longue. Au-delà de ce rattrapage salarial, il faut revendiquer une rémunération à la hauteur des richesses que nous créons. L’échelle mobile des salaires, c’est à dire l’indexation des salaires sur l’inflation, avec calcul de celle-ci par des organismes indépendants du patronat et du gouvernement, est le seul moyen d’obtenir des salaires un peu plus satisfaisants. Et il s’agira également de tenir compte des gains de productivité réalisés par les entreprises, de leurs profits et des diverses astuces de comptabilités pour masquer ceux-ci. Comme pour le maintien et l’extension de la retraite par répartition, ou l’interdiction des licenciements, les revendications sur les salaires n’aboutiront qu’avec la mobilisation des salariés, tous ensemble. D’ailleurs, ces trois sujets ne se rejoignent-ils pas ?

Par G.B.