ATTAC à la croisée des chemins

C’est un peu de son succès que risque de souffrir Attac et aussi de ses contradictions originelles. Et celles-ci ne peuvent que s’exprimer encore plus fort à mesure que l’influence et la taille de l’association s’accroissent.

Article paru dans l’Egalité n°94

Attac est né sur la simple réflexion que quelques milliards pris aux capitalistes, par le biais d’une taxation des marchés financiers reprenant le modèle de l’économiste J. Tobin, permettraient, si l’argent était utilisé à des fins humanitaires, de supprimer la faim dans le monde et de donner l’accès aux soins et à l’eau qui manque pour de nombreuses populations de la planète en Afrique, Asie et Amérique Latine. De là, également, la réflexion sur l’immense gaspillage provoqué par le capitalisme ainsi qu’une réflexion approfondie sur le phénomène économique qu’est la mondialisation.

Lors de son forum au Zénith, Attac se résume ainsi : « C’est pourquoi Attac milite pour la taxation de la spéculation financière, en particulier pour la taxe Tobin sur les opérations de change ; pour la disparition des paradis fiscaux, bancaires et judiciaires, arrière-cours cyniques et honteuses de la globalisation financière, et repaires de la grande criminalité et de la délinquance en col blanc ; pour l’annulation de la dette publique du tiers-monde – d’ailleurs déjà remboursée plusieurs fois -, assortie du retour à leurs peuples des gigantesques sommes détournées et placées à l’étranger par des dirigeants corrompus et dictateurs de tout acabit, avec la complicité des banques, institutions financières et gouvernements du Nord ».

Tout ceci est fort juste mais achoppe sur un point : l’analyse du système capitaliste. Celui-ci crée ces maux non par dysfonctionnement mais parce qu’il en a besoin pour fonctionner et parce que sa tendance à concentrer les richesses entre les mains d’un petit nombre se fait grâce à l’appauvrissement du reste de la planète.

En s’adressant aux capitalistes et aux gouvernements qui les servent sans contester leur pouvoir, les dirigeants d’Attac commettent un mensonge par omission : ces gens-là savent que le capitalisme engendre tout cela et même repose sur ces injustices, et ils n’entendent ni changer les choses ni même ralentir la course vers une aggravation.

Du coup les dirigeants d’Attac s’illusionnent en croyant pouvoir négocier avec les dirigeants. Et dans une période où règne une certaine désorientation politique quant à l’alternative au système capitaliste, ils subissent de manière accélérée ce phénomène qui a touché les syndicats et autres organisations du mouvement ouvrier : une certaine bureaucratisation. Passer son temps en négociations, réunions et forums est bien plus facile à organiser que des luttes.

C’est devenu flagrant lors des manifestations de Göteborg en juin dernier contre le sommet de l’Union européenne, ou à Gênes en juillet : certains dirigeants d’Attac, comme sa vice-présidente S. George s’en sont pris aux éléments radicaux du mouvement en disant qu’ils mettaient en péril l’espoir le plus grand de ces 20 dernières années et les possibilités de négociation etc. Les attentats du 11 septembre et la guerre qui s’en est suivie, combinée à une propagande des Etats comme les USA visant à faire un amalgame entre anti-mondialisation et terrorisme ont encore accentué ces dérives notamment dans les ONG.

Dans le même temps, un discours est devenu dominant, celui qu’on trouve dans l’article de B. Cassen, président d’Attac, dans le Monde Diplomatique d’août dernier, qui disait ni plus ni moins que l’élément essentiel par rapport à l’UE était de geler ce qui était prévu et de démocratiser les structures existantes sans que cela remette nécessairement en cause ce qui était déjà fait, tel le passage à l’Euro ou d’autres réalisations de l’Union européenne. Une fois de plus c’est refuser de comprendre la nature de l’UE, les raisons de sa politique et enfin, ne pas voir que pour mener sa politique ultralibérale, l’UE a besoin d’être anti-démocratique. Les parlements des différents pays d’Europe sont élus, cela ne les empêche pas de mener la même politique ultralibérale partout.

D’après le journal Le Monde, Attac aurait reçu 80 000 euros du ministère des affaires étrangères pour se rendre au forum social mondial de Porto Allégre. Un tel financement ne peut que faire penser à un début de fin d’indépendance de l’association.

Pour aller de l’avant

Attac est une force, avec ses 28 000 adhérents et ses organismes associés dans 40 pays. Attac permet de rassembler de nombreuses personnes d’horizons divers, syndicalistes, militants associatifs, individus organisés politiquement ou non. Mais l’association ne pourra aller de l’avant si elle ne privilégie pas le terrain des luttes, ce qu’elle dit vouloir faire dans un texte récent, signé P. Khalfa, membre du bureau d’Attac, sur les perspectives du mouvement après le forum social mondial de Porto Alègre. Mais on y trouve également la formule suivante : « toute tentative d’homogénéisation politique en vue de construire un projet politique qui soit une Alternative globale est non seulement vouée à l’échec, mais sera un facteur d’éclatement et donc d’affaiblissement ». et de continuer un peu plus loin : « contrecarrer le mode de fonctionnement actuel du capitalisme en lui imposant des règles, droits sociaux, normes environnementales ». Sur l’AGCS, vaste accord international qui vise à transformer l’ensemble des services (éducation, eau…) en commerce, la prise de position du bureau d’Attac est inquiétante : « Deux exigences : Dans les domaines Culture, Santé, Education, Services publics, Eau/Environnement nous voulons, de la part de la France, zéro demande zéro offre. D’autres part, toutes les demandes que la France adresse aux autres pays membres de l’OMC et toutes celles qu’elle reçoit doivent être rendues publiques pour que les citoyens puissent suivre le déroulement de ces phases ».

Plutôt que de passer un temps fou en démarches auprès des élus, en discussions dans les ministères etc. n’irait-on pas plus vite et plus loin en s’appuyant sur des luttes comme celle des salariés de Mac Donald’s, en discutant et élaborant l’alternative à créer au capitalisme ? Plutôt que de chercher une amélioration impossible de celui-ci, trouvons ensemble les moyens de le remplacer par un système où l’économie soit au service des besoins et non d’une poignée d’actionnaires. Attac pourrait faire partie de cette réflexion car il n’y a pas de barrières, sauf celle que des bureaucrates imposent entre l’associatif, le syndical et le politique. Il devient urgent pour tous les militants d’Attac qui veulent réellement en finir avec le capitalisme et sa loi du profit de pousser l’association dans cette voie ,au risque, sinon, de voir celle-ci s’institutionnaliser et gâcher une nouvelle occasion de participer à la reconstruction d’une nouvelle force anticapitaliste. Il n’y a pas de troisième voie : soit une économie organisée pour le profit, soit une économie organisée pour la satisfaction des besoins sociaux, c’est à dire soit le capitalisme soit le socialisme authentique.

Par Alex Rouillard