Les révolutionnaires et les élections

Les élections sont toujours des moments privilégiés et favorables pour les partis défendant les intérêts du patronat. Depuis quelques semaines, les leaders des partis institutionnels crient « haro ! » sur les organisations d’extrême-gauche, qualifiées d’une part d’éternelles oppositions stériles et d’irresponsables et d’autre part taxées de dangereux groupes mettant en péril l’équilibre républicain et les hypothétiques victoires de la « gauche ». Quelles sont donc les raisons de notre participation aux élections ?

Article paru dans l’Egalité n°106

Il est clair que les élections dans le cadre de la république bourgeoise sont un terrain favorable à la bourgeoisie. La « démocratie » bourgeoise, de type parlementaire s’est imposée au cours du 19ème siècle, comme le système politique le plus adapté pour imposer et gérer le capitalisme permettant de masquer davantage la dictature du patronat et des actionnaires. En participant aux élections, les révolutionnaires jouent sur le terrain de la bourgeoisie

Est-ce « révolutionnaire » de se présenter aux élections ?

Malheureusement pour développer notre programme, il n’y a pas toujours que le terrain favorable de lutte des classes. Refuser de jouer à l’extérieur, comme dirait un commentateur de football, c’est se déclarer forfait. Nous devons aller sur leur terrain pour convaincre les travailleurs, les salariés en général, l’ensemble de ceux qui subissent les coups de boutoir du patronat de la nécessité du changement radical de société. En effet, une majorité des travailleurs a encore des illusions envers ce système politique, ou ne voit pas d’alternative possible. Refuser d’aller à la rencontre des travailleurs à un moment où ils sont plus attentifs aux discours politiques, sous prétexte de « pureté doctrinaire », c’est les prendre pour des idiots et être incompréhensible. C’est aussi laisser la bourgeoisie maître du terrain pour continuer de débiter leurs mensonges et se maintenir au pouvoir. Aucune question politique n’est et ne doit être étrangère à la classe ouvrière. C’est pourquoi nous utilisons les élections et les assemblées comme tribune pour diffuser nos idées.

Lénine, dans « Le gauchisme, la maladie infantile du communisme », s’adresse à des gauchistes allemands en 1920 qui théorisaient qu’il n’était plus temps de participer au Parlement, affirmait : « Tant que vous n’avez pas la force de dissoudre le parlement bourgeois et toutes les autres institutions réactionnaires, vous êtes tenus de travailler dans ces institutions ». Autrement dit, tant que les masses laborieuses ne sont pas convaincues de renverser le capitalisme et acquises en grande majorité à la révolution, il faut faire avec pour le combattre et utiliser les quelques moyens d’expression que la bourgeoisie nous accordent pour toucher les travailleurs. Tant que la bourgeoisie est la plus forte, nous utiliserons aussi le terrain électoral.

De plus, en se présentant, contrairement aux réformistes de gauche, nous ne mentons pas aux ouvriers en leur disant que l’on peut changer durablement et profondément leurs conditions d’existence avec des votes dans le cadre de ces institutions entièrement dévolues au maintien de l’exploitation et de l’oppression.

Nous ne disons donc pas « votez pour nous et nous raserons gratis », comme le font tous les politiciens carriéristes de droite comme de gauche. Au contraire, nous continuons d’affirmer que seules les luttes, la grève, la grève générale et la révolution, c’est-à-dire les outils que la classe ouvrière et les masses exploitées ou opprimées se sont forgés au cours des deux derniers siècles pour combattre le patronat, peuvent changer leur vie et la société.

Si nous acceptons par la force des choses le terrain de la bourgeoisie, nous refusons son jeu. Nous refusons, sous prétexte que les travailleurs ne sont pas encore prêts, qu’ils ont encore des illusions, d’abaisser notre programme. Par exemple, dans la lutte comme dans les élections, face aux licenciements et au chômage nous ne disons pas qu’il suffirait d’une loi. Seule la classe ouvrière organisée pourra s’opposer, sur le terrain de la lutte, en bloquant l’économie, à ce fléau qui maintient les profits patronaux. Face à la destruction des services publics, et leur privatisation programmée, seule la population dans son ensemble organisée dans un parti qui la défende pourra s’y opposer par la lutte. Face au phénomène grandissant des personnes mal ou non logées, n’ayons aucune confiance dans les ministres ou les maires, par la lutte réquisitionnons des logements salubres pour tous ! Ainsi, nous essayons d’utiliser les élections afin de renforcer le camp des travailleurs; nous ne découpons pas la lutte des classe en morceaux qui n’auraient aucun lien entre eux : les luttes d’une part, la nécessité d’un nouveau parti d’autre part et enfin les élections. Nous nous servons des élections pour avancer vers la construction d’un nouveau parti nécessaire pour que les luttes aient un débouché. Nous ne nous satisfaisons pas d’accords électoraux sans lendemain.

L’élection : miroir déformant de la lutte de classes

Si les élections en elles-mêmes ne sont pas un outil pour la mobilisation, les résultats des élections peuvent quand même être un reflet de la combativité des travailleurs et de leur refus de la politique patronale et gouvernementale. Ce fut le cas de l’élection de Lula à la présidence du Brésil après des années de remontée des luttes et de reconstruction du mouvement ouvrier attaqué par la dictature. Elles peuvent être alors un moyen pour les travailleurs les plus avancés de se compter et d’accroître leur courage. Les victoires ou les résultats encourageants peuvent être aussi un catalyseur pour les luttes. Ce fut le cas en 1936 : la victoire du Front populaire donna assez de confiance à la classe ouvrière pour qu’elle se mette en branle et réclame plus que ne proposaient leurs élus. Dans un autre contexte, ce fut aussi le cas, en 2002 lorsque le scrutin ne laissa le choix qu’entre Chirac et Le Pen. Des centaines de milliers de personnes, des millions descendirent dans la rue. C’est pour cela aussi que nous nous engageons dans les élections et que nous militons actuellement pour permettre les meilleurs résultats pour les listes LO/LCR.

L’attitude des élus révolutionnaires

Alors dans ce cadre le rôle d’élu ouvrier, à quelque niveau que ce soit, c’est de porter dans les parlements nationaux ou régionaux l’écho des luttes et l’opposition résolue aux plans du patronat à partir des mandats pour lesquels nous avons été élus. Par exemple, récemment, Joe Higgins, député au Parlement irlandais (Irlande du sud) et Clare Daily, conseillère municipale à Dublin, membre du Socialist party (section irlandaise du CIO) ont été emprisonnés durant un mois, suite à leur participation à la lutte contre la surtaxation de l’enlèvement des ordures ménagères ; ils avaient été élus entre autre sur le refus de cette taxe. Ils menèrent le combat dans l’enceinte du Parlement ou du conseil municipal, mais aussi et surtout auprès des travailleurs dans les quartiers de Dublin. Lorsque la lutte des habitants s’accentua, ils se retrouvèrent naturellement à leurs côtés. Toujours dans « La maladie infantile du communisme, le gauchisme », Lénine, répondant cette fois aux gauchistes de Hollande affirme : « l’action des masses – une grande grève, par exemple – est plus importante que l’action parlementaire toujours et non pas seulement pendant la révolution ou dans les situations révolutionnaire ». C’est ainsi que nos camarades élus à tous les niveaux agissent.

La question de la participation des révolutionnaires aux élections en général dans les pays capitalistes avancés, et de la Gauche révolutionnaire en particulier, est fonction du rapport de force et de la manifestation de ce rapport. C’est uniquement lorsque le rapport de force entre la classe ouvrière et la bourgeoisie tournera définitivement à l’avantage des travailleurs, de telle manière qu’ils rejettent eux-mêmes en grande majorité la société capitaliste et qu’ils mèneront la révolution, que les élections dans le cadre des institutions bourgeoises deviendront définitivement obsolètes. Avant ce moment, nous devons utiliser tous les moyens nécessaires, même les plus légaux, afin de convaincre le plus de travailleurs et de jeunes possible de nous rejoindre.

Par Yann Venier