Inde : des millions de personnes se joignent à la grève générale

La classe ouvrière indienne montre ses muscles. Malgré la répression généralisée sous le régime du parti de droite de Modi, Bharatiya Janata (BJP), la grève générale du 26 novembre dans toute l’Inde, impliquant plus de 250 millions de travailleurs (le Comité conjoint des syndicats – JCTU – a avancé le chiffre de plus de 300 millions) semble avoir donné le ton des batailles à venir.

Les syndicats indiens ont condamné les arrestations de dirigeants ouvriers et d’agriculteurs dans tout le pays, alors qu’ils manifestaient ensemble dans le cadre de l’une des plus grandes grèves générales jamais organisées à l’échelle nationale. Près de dix semaines plus tôt, les dix syndicats, allant de l’INTUC [congrès syndicat national indien, NDT], dirigée par le Parti du Congrès, à la CITU [Centrale des syndicats indiens], affiliée au Parti communiste indien Marxiste [parti maoïste], et d’autres syndicats de gauche, avaient appelé à une grève générale, principalement face à l’abrogation des codes du travail, et les ignobles lois agricoles introduites à la hâte par le gouvernement BJP.

Dans tout le pays, les employés des secteurs public et privé ont participé à la grève. Le front uni de plus de 250 organisations d’agriculteurs, le All India Kisan Sangharsh Co-ordination Committee (AIKSCC), a apporté son soutien à la grève syndicale, et les syndicats ont apporté leur soutien à la mobilisation des agriculteurs « Chalo Delhi » (Marche vers Delhi) les 26 et 27 novembre.

Au moment où cet article est écrit [article initialement publié le 3 décembre], des millions d’agriculteurs (environ 15 millions selon les estimations) continuent de protester contre les récentes lois anti-agriculteurs. Celles-ci visent à retirer le prix minimum de soutien du gouvernement pour les produits agricoles, ce qui affectera sérieusement les revenus et les moyens de subsistance non seulement des agriculteurs propriétaires de terres, mais fera encore baisser les salaires de misère de la grande majorité des paysans et des travailleurs agricoles sans terre. Ils forment la majorité de la population indienne vivant dans l’arrière-pays de l’Inde rurale.

Les syndicats et les organisations de paysans ont exprimé à juste titre leurs préoccupations. Utilisant la Covid-19 comme excuse, le régime du président Modi a déclenché une sorte de coup d’état contre le peuple dans toutes les sphères de la société, de l’économie et de la politique. Utilisant la peur d’une infection par le coronavirus, le régime Modi a continuellement fait des ravages dans les rangs des travailleurs et les couches opprimées de la population au cours des neuf derniers mois. Sous le prétexte de la lutte face au covid-19, une loi d’urgence a été imposée dans tout le pays, contre le droit de manifester. Les protestations ont été réduites au maximum dans de nombreux États dirigés par le BJP [l’Inde est une république fédérale]. Même les lieux de manifestations populaires sont interdits aux gens ordinaires. Des interdictions locales de rassemblements de protestation ont été imposées dans de nombreuses villes. Dans des villes comme Bangalore, la police a imposé des amendes de plusieurs millions de roupies aux organisations qui appellent à la protestation.

Traitement brutal des travailleurs migrants

Le monde entier est témoin de la façon la plus misérable et la plus brutale dont les travailleurs migrants ont été traités pendant le confinement auquel l’Inde a été confrontée. Les travailleurs mal payés et leurs familles ont été contraints de se déplacer à pied pour atteindre leurs États et villages d’origine, en traversant un pays entier. Les histoires d’horreur abondent sur les milliers de kilomètres parcourus à pied par des travailleurs qui avaient les pieds boursouflés et saignants. Dans certains districts de l’Uttar Pradesh [état au nord de l’Inde], les travailleurs de retour ont été aspergés de pesticides sous prétexte de contenir le virus et pour les empêcher d’entrer dans les villages.

Bien que les chiffres officiels du coronavirus fassent état d’un peu moins d’un million de morts, le tableau réel de l’horrible pandémie, qui affecte la vie de millions de personnes, est incroyablement plus élevé, au moins dix fois plus que les chiffres de l’establishment. Maintenant que la deuxième et la troisième vague de la pandémie se propagent très rapidement dans les villes densément peuplées, l’avenir sous ce gouvernement de Modi est un scénario qui mène au cimetière. Sous la pression croissante des travailleurs, certains gouvernements capitalistes ont desserré les vannes et ont mis en place des plans de relance pour apporter une aide temporaire aux gens, comme des indemnités de licenciement, etc. Le régime de Modi et les gouvernements des États dirigés par le BJP ont joué avec de simples mots qui sonnent bien et des chiffres qui font mouche.

Dans ce contexte, on aurait pu s’attendre à une participation beaucoup plus importante et à une réaction extrêmement militante lors de la grève générale du 26 novembre, mais la crainte du coronavirus et la situation de quasi-blocage dans de nombreux États ont atténué la réaction des travailleurs en général. Il n’y a eu pratiquement aucune préparation avant la grève générale pour en expliquer les enjeux. L’attitude peu enthousiaste des dirigeants syndicaux s’est répétée dans de nombreux États. Une autre occasion a été perdue, qui aurait pu ouvrir la voie à une bataille à mort contre le régime Modi. Les attaques lancées par le régime de Modi contre les droits fondamentaux de la classe ouvrière suscitent certainement une énorme colère de classe sous la surface.

La résistance titanesque des paysans

Parallèlement à la grève générale, une autre action militante a été lancée par les agriculteurs qui se sont rendus dans la capitale, New Delhi, avec la volonté de voir abroger les nouvelles lois agricoles qui sont ouvertement anti-fermiers. Les agriculteurs, principalement du Pendjab et de l’Haryana [états du nord ouest de l’Inde], qui sont au nombre de 15 millions, se sont rassemblés dans la capitale pour demander l’abrogation des nouvelles lois agricoles (ils insistent pour qu’une session spéciale du Parlement soit convoquée pour abroger les lois). On pourrait peut-être qualifier cette congrégation d’agriculteurs de moment « Occupy Delhi ».

La police des États de Delhi et de Haryana a déclenché une répression à grande échelle contre les agriculteurs et leurs familles qui ont campé dans la capitale. La police a utilisé des moyens violents pour tenter d’arrêter les centaines de milliers d’ouvriers et de fermiers qui se rendaient à Delhi pour manifester pacifiquement dans la capitale les 26 et 27 novembre. Mais rien n’a dissuadé les agriculteurs dans leur détermination à riposter. Le BJP est déstabilisé. Et cette fois-ci, la grève générale a été suivie d’une agitation de masse contre les législations agricoles. Tout indique que le régime Modi cherche une formule pour sauver la face et se sortir de la situation.

Batailles à venir

La vague de « réformes » de Modi qui a galopé à une vitesse fulgurante est sans précédent dans l’histoire économique de l’Inde. Elle a bouleversé le tissu économique et social de l’Inde. Jusqu’aux années 1990, les « réformes » s’accompagnaient de divers degrés de protectionnisme, combinés à des mesures keynésiennes. Mais même les infâmes réformes de 1991 sous le régime du Parti du Congrès, pourtant « révolutionnaires », n’ont pas pu déboucher immédiatement sur un néolibéralisme agressif. Cela était dû aux divers facteurs sociopolitiques qui dominaient dans une histoire d’anticolonialisme et d’anti-impérialisme.

Les gouvernements précédents dirigés par le Parti du Congrès, y compris celui d’Indira Gandhi, se sont essayés à leurs propres concoctions de « socialisme », qui étaient une forme diluée de social-démocratie de gauche au milieu du capitalisme. De nombreux experts économiques ont également, pour leurs propres « nécessités analytiques », qualifié la gestion économique sous les régimes dirigés par le Parti du Congrès de « modèle socialiste » – une économie mixte ou une économie intermédiaire.

Mais l’édifice de cette fausse notion a été mis à nu et s’est effondré au lendemain du boom de l’après-guerre qui s’est achevé très vite à la fin des années 60 du siècle dernier. Les gens qui, depuis l’avènement de Modi, en 2014, étaient sous le charme de la politique identitaire nationaliste hindoue, commencent à montrer leurs muscles par le biais d’actions de classe directes et d’agitations de masse. La grève générale du 26 novembre et l’agitation des paysans « Occupy Delhi » sont une bouffée d’air frais, qui établit le fait que le soi-disant invincible Modi peut être mis à genoux.

Ceux qui parlent académiquement de « nouvelles formes de luttes » et se moquent des grèves syndicales et des agitations de masse oublient que la force réside dans le nombre organisé et la centralité de la classe ouvrière. Il est impératif que les revendications des syndicats aillent au-delà de la liste habituelle des exigences minimales. La gauche doit se rendre à l’évidence que le simple fait de brandir des slogans contre le régime de Modi en tant que « fasciste » ne suffira pas. La résistance doit être construite dans la rue avec des slogans politiques clairs de changement de régime et de système. La classe ouvrière indienne a prouvé à maintes reprises que sous sa direction, elle a la détermination révolutionnaire nécessaire pour mettre fin à ce système capitaliste avide de profits et construire une nouvelle alternative socialiste.

Jagadish G Chandra, New Socialist Alternative (section du Comité pour une Internationale Ouvrière et organisation sœur de la Gauche Révolutionnaire en Inde)