Guyane, la grève victorieuse de mars-avril

Blocage du centre spatial de Kourou le 4 avril 2017
Blocage du centre spatial de Kourou le 4 avril 2017

Pendant un mois, une grève générale a bloqué la vie économique de la Guyane. Le 21 mars, les travailleurs de la société Endel, qui livre les pièces de la fusée Ariane, se sont mis en grève, avec blocage du Centre spatial de Kourou, pour des revendications salariales et leurs conditions de travail. Les travailleurs d’EDF se sont mis en grève à leur tour, puis les ouvriers du port. Les barrages routiers se sont multipliés. Le 24 mars l’UTG (Union des travailleurs guyanais) a appelé à une grève générale dans le pays. La lutte a duré un mois.

LES RAISONS DE LA COLÈRE SONT PROFONDES

Colonie française d’Amérique latine au nord du Brésil, la Guyane fut une terre de traite et d’esclavage des noirs. Département français depuis 1946, et collectivité territoriale depuis 2015. Ces titres ronflants cachent mal la situation économique catastrophique et le maintien d’une domination coloniale par l’État français. La liste est longue : déficit d’infrastructures, manque de personnel dans les services publics, vétusté des locaux, coupures de courant, d’eau, nombre insuffisant de lycées, collèges, d’écoles,… un enfant sur deux n’est pas scolarisé. Enfin le coût de la vie explose. Prix alimentaires : 45 % de plus qu’en France. Des tomates importées de Belgique ou de France coûtent 15 € le kilo ! La population n’en peut plus ! Tout est concentré pour la vitrine économique de la France : le centre spatial de Kourou d’où partent les fusées.

La France et l’Union européenne, les grosses sociétés du monde entier tirent des milliards de bénéfices des satellites portés par la fusée Ariane. Mais rien pour la population : dès qu’on ne travaille pas au centre spatial, on vit dans la misère, on est dans un pays sous développé. Il y a 22 % de chômeurs, le taux de pauvreté est de 60 %,

Blocage du centre spatial de Kourou le 4 avril 2017 alors la délinquance est endémique (42 meurtres depuis le début de l’année). Ceci explique qu’un groupe, les « 500 frères », ait formé une sorte de milice, décidé à lutter lui-même contre cette délinquance. Il est très écouté par la population.

Il a pris partiellement la tête de la lutte, avec les syndicats dont l’UTG, et aussi un collectif, « Pou Lagwiyann Dékolé » (pour que la Guyane décolle), où l’on trouvait pèle-mêle : petits patrons en colère, salariés, élus locaux, personnels de santé, professeurs…

UNE LUTTE HÉTÉROGÈNE MAIS TRÈS DÉTERMINÉE

Les barrages furent très efficaces et la marche sur le centre spatial de Kourou un succès (10 000 personnes sur une population de 250 000). La grève touchait autant les services publics que les entreprises, et le centre spatial a été bloqué plusieurs fois. Le gouvernement a dû venir discuter de la plate-forme revendicative, et le 21 avril, un accord a été signé. Les grévistes ont obtenu un plan d’aide immédiate de 1,86 milliards d’euros. Une partie de cette aide va aller à des questions aussi diverses que le renforcement de « l’ordre public », mais le collectif a obtenu que ce soit un plan d’investissement et que 2 autres milliards soient engagés pour les écoles, la santé… Des terres vont aussi être mises à disposition des peuples autochtones et des municipalités. Mais il manque des choses pour répondre à l’urgence sociale, tant pour les écoles et la santé que pour les pêcheurs et les agriculteurs. Même si les barrages ont été levés, des grèves ont continué notamment à l’hôpital de Cayenne et les « 500 frères » se sont divisés, certains ne voulant pas soutenir les luttes qui continuaient.

Début mai, à l’appel de l’UTG, le personnel de l’hôpital de Cayenne a repris la grève pour obtenir 140 postes et le personnel d’EDF occupe deux sites stratégiques pour obtenir 84 postes vacants. En solidarité le 3 mai les salariés du port de Cayenne ont bloqué les installations.C’est le fondement même de la domination coloniale qui cause de telles inégalités en Guyane. Le combat est loin d’être fini !

MARIE-JOSÉ DOUET