Éruption des mouvements protestataires au Népal : quelle sera la suite ?

Le Népal rejoint désormais la longue liste des pays en développement qui se révoltent contre une élite dirigeante corrompue et pourrie. L’élément déclencheur a été la décision du gouvernement d’interdire 26 plateformes de réseaux sociaux le jeudi 04 septembre. Le lundi suivant, des manifestants ont commencé à se rassembler devant le Parlement népalais. En réponse, des policiers lourdement armés ont ouvert le feu sur la foule, tuant des dizaines de personnes et blessant des milliers d’autres. Selon les derniers chiffres, 72 manifestants auraient été assassinés de sang-froid au cours de cette journée et des événements qui ont suivi.

Article paru sur le site de notre parti international (en anglais) le 23 septembre : https://www.socialistworld.net/2025/09/23/nepals-eruption-of-mass-protest-what-is-the-way-forward

Or cette tentative brutale d’écraser le mouvement n’a fait que l’intensifier. Le lendemain, mardi 09 septembre, les rues de la capitale Katmandou ont été envahies par des dizaines de milliers de jeunes manifestants, appelés « génération Z » par les médias, bien qu’ils ne soient pas exclusivement issus de cette tranche d’âge. Dans un furieux mouvement de révolte, les manifestants ont pris d’assaut le bâtiment du Parlement, y ont mis le feu et  incendié des voitures de luxe. Ils ont enfoncé les barricades de la police et ont pénétré dans les bureaux du gouvernement, les somptueuses résidences des ministres, les domiciles des trois principaux dirigeants des partis – y compris la résidence du Premier ministre, et le siège de la coalition au pouvoir. De nombreux dirigeants et parlementaires se sont cachés, tandis que le Premier ministre lui-même s’est réfugié dans une caserne de l’armée pour se mettre en sécurité. L’un des principaux médias de droite, Kantipur Media House, a également été incendié.

Avec les démissions s’accumulant et la chute du gouvernement, un vide politique s’est créé. Alors que les manifestants célébraient leur victoire dans les rues, l’armée est intervenue, se présentant comme un médiateur. Le 11 septembre, les chefs militaires ont convoqué des pourparlers au quartier général de l’armée, réunissant des représentants du mouvement  protestataire et des vestiges de l’ancien régime, afin d’élaborer un accord provisoire. Quelques jours plus tard, l’ancienne présidente de la Cour suprême, Sushila Karki, a été nommée Première ministre par intérim. Elle a alors commencé à nommer des ministres afin de former un gouvernement provisoire.

Protestations au Népal, Septembre 2025 (Wikimedia Commons)

Les raisons de la colère

Cette explosion de colère n’est que le résultat de décennies de pillage et de corruption flagrante de la part du pouvoir en place et de ses alliés capitalistes, à une époque où d’innombrables travailleurs et jeunes étaient condamnés à des difficultés économiques croissantes. Comme toujours, les médias bourgeois et leurs « think tanks » ont cherché à minimiser la crise, en l’expliquant uniquement par la mauvaise gestion de quelques dirigeants et en présentant les manifestations comme « l’impatience de la génération Z, mécontente d’une interdiction des réseaux sociaux ».

La cause profonde tient de l’élite au pouvoir et ses collaborateurs, qui sont directement responsables de la détérioration des conditions qui ont alimenté la colère populaire. Les changements géopolitiques et la crise économique mondiale avaient déjà réduit à l’extrême certains investissements étrangers, augmentant encore la dépendance envers les transferts de fonds. La plupart des jeunes cherchent leur avenir et un emploi à l’étranger, car aucun investissement substantiel n’est mis en place pour créer des emplois. Le taux de chômage des jeunes dépasse les 20 %. Le ralentissement économique a également eu un impact sur le secteur des services et l’industrie agricole, dont dépend fortement l’économie népalaise. Les catastrophes naturelles liées à la crise climatique mondiale ont encore aggravé la situation.

Alors que l’économie s’effondrait, l’élite de son côté intensifiait les pillages et les manœuvres politiques pour protéger son emprise sur le pouvoir. Les réseaux sociaux sont devenus un champ de bataille où les histoires de corruption se sont répandues comme une traînée de poudre, notamment le tristement célèbre « scandale des visas de visite », dans lequel des fonctionnaires ont été accusés d’avoir vendu des documents et des visas falsifiés à des pays occidentaux en échange de pots-de-vin. Même lorsque des enregistrements audio ont été divulgués, les dirigeants de la coalition ont tout fait pour retarder ou étouffer toute investigation.

L’indignation publique a également été alimentée par le spectacle des « Nepo babies », ces enfants et proches de hauts responsables politiques qui affichent leur train de vie somptueux et leur richesse extraordinaire sur les réseaux sociaux. Cela a également contribué à déclencher des vagues de protestations en Indonésie. Le même phénomène existe en Chine parmi les descendants de hauts fonctionnaires, ce qui continue de provoquer la colère des jeunes qui luttent pour survivre. La même colère s’exprime aujourd’hui dans les rues des Philippines.

Les appels à manifester massivement contre le pillage des richesses et des ressources naturelles se propageaient déjà sur les réseaux sociaux lorsque le gouvernement a imposé une interdiction totale sur 26 grandes plateformes en ligne. Mais cette tentative visant à faire taire la dissidence et à freiner la propagation de la colère des jeunes s’est retournée contre le gouvernement népalais. Déterminés, les jeunes ont simplement adopté d’autres méthodes pour avoir accès aux réseaux sociaux et se sont mobilisés à une échelle encore plus large.

Cette explosion de colère n’est que le résultat de décennies de pillage et de corruption flagrante de la part du pouvoir en place et de ses alliés capitalistes, à une époque où d’innombrables travailleurs et jeunes étaient condamnés à des difficultés économiques croissantes. Comme toujours, les médias bourgeois et leurs « think tanks » ont cherché à minimiser la crise, en l’expliquant uniquement par la mauvaise gestion de quelques dirigeants et en présentant les manifestations comme « l’impatience de la génération Z, mécontente d’une interdiction des réseaux sociaux ».

La cause profonde tient de l’élite au pouvoir et ses collaborateurs, qui sont directement responsables de la détérioration des conditions qui ont alimenté la colère populaire. Les changements géopolitiques et la crise économique mondiale avaient déjà réduit à l’extrême certains investissements étrangers, augmentant encore la dépendance envers les transferts de fonds. La plupart des jeunes cherchent leur avenir et un emploi à l’étranger, car aucun investissement substantiel n’est mis en place pour créer des emplois. Le taux de chômage des jeunes dépasse les 20 %. Le ralentissement économique a également eu un impact sur le secteur des services et l’industrie agricole, dont dépend fortement l’économie népalaise. Les catastrophes naturelles liées à la crise climatique mondiale ont encore aggravé la situation.

Alors que l’économie s’effondrait, l’élite de son côté intensifiait les pillages et les manœuvres politiques pour protéger son emprise sur le pouvoir. Les réseaux sociaux sont devenus un champ de bataille où les histoires de corruption se sont répandues comme une traînée de poudre, notamment le tristement célèbre « scandale des visas de visite », dans lequel des fonctionnaires ont été accusés d’avoir vendu des documents et des visas falsifiés à des pays occidentaux en échange de pots-de-vin. Même lorsque des enregistrements audio ont été divulgués, les dirigeants de la coalition ont tout fait pour retarder ou étouffer toute investigation.

L’indignation publique a également été alimentée par le spectacle des « Nepo babies », ces enfants et proches de hauts responsables politiques qui affichent leur train de vie somptueux et leur richesse extraordinaire sur les réseaux sociaux. Cela a également contribué à déclencher des vagues de protestations en Indonésie. Le même phénomène existe en Chine parmi les descendants de hauts fonctionnaires, ce qui continue de provoquer la colère des jeunes qui luttent pour survivre. La même colère s’exprime aujourd’hui dans les rues des Philippines.

Les appels à manifester massivement contre le pillage des richesses et des ressources naturelles se propageaient déjà sur les réseaux sociaux lorsque le gouvernement a imposé une interdiction totale sur 26 grandes plateformes en ligne. Mais cette tentative visant à faire taire la dissidence et à freiner la propagation de la colère des jeunes s’est retournée contre le gouvernement népalais. Déterminés, les jeunes ont simplement adopté d’autres méthodes pour avoir accès aux réseaux sociaux et se sont mobilisés à une échelle encore plus large.

Magouilles politiques et jeux de trahison au sein des partis

Le Congrès népalais (NC), parti de droite désormais encore plus discrédité, a une longue histoire de trahison et de corruption. Ses dirigeants ont toujours entretenu des liens avec la monarchie et l’élite corrompue du pays. Lorsqu’une vague révolutionnaire a secoué le Népal en 2006, nombre de ses dirigeants ont compté sur la protection du gouvernement indien voisin.

Le Parti communiste (marxiste-léniniste unifié) népalais, communément appelé UML, est un ancien parti stalinien qui a souvent oscillé entre la droite et le centre – à l’instar de ses homologues du CPI (Parti communiste indien) et du CPI(M) (Parti communiste (marxiste) indien). L’UML a également une longue histoire de collaboration avec le NC dans ses manœuvres pour le pouvoir et la corruption.

Le mouvement de masse et la grève générale de 2010 ont temporairement privé le CN et l’UML du pouvoir. À cette époque, le mouvement était dirigé par les maoïstes, notamment le Parti communiste népalais (maoïste). Avec les masses de leur côté, les maoïstes avaient le potentiel de mettre en œuvre des politiques socialistes de grande envergure. Cependant, l’insuffisance de leur direction les a conduits à tomber dans le piège de négociations interminables avec des représentants bourgeois discrédités. Utilisant la méthode dite de la « théorie des étapes », les maoïstes ont invité le CN et l’UML, qui avaient été évincés, à conclure des accords de partage du pouvoir, sous la médiation du gouvernement indien et avec la participation du CPI et du CPI(M) en Inde.

Diverses factions du mouvement maoïste en Inde saluaient alors le CPN(M) comme leader révolutionnaire mondial. Les maoïstes eux-mêmes affirmaient mettre en œuvre une « voie népalaise vers le marxisme » unique, connue sous le nom de « voie Prachanda », du nom de leur leader Pushpa Kamal Dahal (Prachanda).

Voir la critique du CIO (non traduite) « Népal – The General Strike and the Permanent Revolution » : https://www.socialistworld.net/2010/06/29/nepal-the-great-general-strike-the-permanent-revolution/

Au lieu de faire avancer la révolution, les maoïstes se sont enlisés dans un bras de fer prolongé autour de l’assemblée constituante, de la rédaction de la constitution et d’interminables cycles de compromis : une occasion qu’ont saisi le CN et l’UML pour rétablir leur base de pouvoir. Les guérilleros maoïstes qui avaient risqué leur vie pour mettre fin à la monarchie et lutter pour un Népal socialiste ont quant à eux reçu l’ordre de s’intégrer dans l’armée et la police, contre lesquelles ils avaient combattu auparavant. Pendant ce temps, les dirigeants maoïstes ont priorisé le partage du pouvoir avec les partis de droite et ont progressivement abandonné une réforme après l’autre.

Cette trahison a entraîné des scissions, un mécontentement et une désillusion générale. De ces scissions est né l’actuel Parti communiste népalais – Centre maoïste (CPN-MC), dirigé par Prachanda. Des milliers d’anciens combattants maoïstes ont rejoint les forces armées de l’État ou sont retournés dans leurs villages, où ils ont été réduits à la pauvreté. Aujourd’hui, le Centre maoïste est devenu impossible à distinguer de l’UML ou même du NC.

Après des années de blocage, les classes dirigeantes ont obtenu ce qu’elles voulaient : une constitution bourgeoise qui consolidait leur emprise sur le parlement. Depuis les premières élections générales organisées sous la nouvelle constitution en 2017 jusqu’aux suivantes en 2022, aucun parti n’a réussi à obtenir la majorité. Le soutien au Centre maoïste a quant à lui continué de décliner.

Depuis cette faible position, les maoïstes ont conclu une alliance pré-électorale en 2022 avec le NC, pour finalement la rompre après les résultats et s’allier à l’UML, permettant ainsi à Prachanda de devenir Premier ministre. Puis, en 2024, Prachanda a abandonné l’UML et est retourné au NC pour rester au pouvoir. Mais à la mi-2024, l’UML et le NC ont conclu un accord contre lui, ce qui a conduit Prachanda à perdre un vote de confiance, et K.P. Sharma Oli, leader de l’UML, est redevenu Premier ministre.

Cette période a été marquée par de fréquents abandons, remaniements et alliances opportunistes, sans aucun égard pour la déontologie. Les maoïstes ont également connu des scissions internes répétées. Tout au long de ces années d’instabilité, tous les dirigeants politiques se sont enrichis grâce à la corruption et au pillage. Des petites formations régionales aux trois grands partis, tous se sont unis pour trahir le peuple qu’ils prétendaient représenter.

Il n’est donc pas surprenant qu’en 2025, des manifestants en colère aient non seulement attaqué des bâtiments gouvernementaux, mais aussi pris pour cible tous les partis, y compris le siège du Centre maoïste, brûlant publiquement le drapeau rouge dans les rues.

Caractéristiques d’un mouvement sans direction ni tête, et son avenir

Bien que plusieurs ONG, telles que Hami Népal (« Nous sommes le Népal »), aient appelé à une action de masse, aucune organisation n’a participé au lancement ou à l’organisation des manifestations. Une fois que la colère accumulée a commencé à se déverser dans les rues, des dizaines de milliers de personnes ont spontanément commencé à se rassembler. L’interdiction des réseaux sociaux n’a pas empêché la diffusion de l’information, car de nombreux jeunes avaient déjà commencé à utiliser divers moyens pour accéder à différentes plateformes en ligne. La colère contre tous les partis politiques et leurs dirigeants, ainsi que la détermination des jeunes à agir, étaient visibles dès le début. Mais rien n’indique qu’il y ait eu des tentatives de coordination ou d’extension des revendications au-delà du slogan anti-corruption. Le mouvement n’a pas non plus duré assez longtemps pour faciliter la coordination, car le gouvernement s’est effondré en quelques jours et l’armée a accompli la formalité de « faire participer le mouvement » en invitant quelques personnalités connues à négocier et à choisir le Premier ministre par intérim.

Le choix de Sushila Karki a apparemment été discutée et débattue sur Discord, une plateforme axée jeux vidéo que certains surnomment le « Parlement de la génération Z ». Le soi-disant « Premier ministre Discord » a alors pris la liberté de nommer des ministres. Plusieurs groupes de jeunes, dont Hami Népal, se plaignent déjà de ne pas avoir été consultés et ont même tenté d’organiser une manifestation contre Sushila Karki. À ce stade, aucune approche cohérente n’a été proposée ou mise en avant concernant la suite des événements, la direction que devrait prendre le mouvement ou le rôle que devrait jouer le gouvernement intérimaire. Une partie d’entre eux soutient Balendra Shah (connu sous le nom de Balen), ancien rappeur et maire de Katmandou, élu comme seul candidat indépendant du pays, sans lien avec les autres partis politiques. D’autres soi-disant « professionnels » ou personnalités populaires, comme Balen, n’ont aucune idée précise de la voie à suivre. Au-delà de la rhétorique de la « réforme », aucun d’entre eux n’a présenté de plan sur la manière dont ils entendent faire face à la détérioration de l’économie et aux conditions désastreuses dans tout le pays. En tant que maire, l’une des « revendications à la gloire » de Balen était le recours à la force policière brutale contre les vendeurs de rue dans le cadre de sa politique de « nettoyage de la ville ».

Alors que les soulèvements révolutionnaires précédents avaient émergé des zones rurales dans le cadre de la rébellion armée maoïste contre le régime monarchique, celui-ci était principalement centré sur la capitale, mené par de jeunes travailleurs et des couches petites-bourgeoises. Bien que plusieurs syndicats aient exprimé leur soutien à la protestation, ils sont restés largement en dehors de celle-ci. Beaucoup sont encore liés aux partis politiques au pouvoir. Le mouvement n’a pas repris les luttes et les revendications passées des syndicats en matière de sécurité de l’emploi, d’augmentations salariales et de meilleures conditions de travail. Aucune tentative n’a été faite pour établir des liens avec les travailleurs syndiqués. Bien qu’il existe un sentiment généralisé de rejet des riches et du pillage des capitalistes, aucun lien n’a été établi avec les causes de la corruption. Comme dans de nombreux autres mouvements interclasses, la solution présentée consistait à « nettoyer le gouvernement » et à le remplacer par de soi-disant « bonnes personnes ».

Compte tenu du chaos qui règne parmi les jeunes dans les discussions sur les réseaux sociaux, il est peu probable à ce stade qu’une structure organisationnelle cohérente émerge du mouvement. Seuls les bâtiments ont été incendiés, mais l’appareil d’État reste intact, désormais protégé par l’armée. Plus d’un demi-million de fonctionnaires seraient adhérents des partis parlementaires. Les trois principaux partis établis disposent également d’une base qui n’a pas été complètement ébranlée. Divers partis régionaux corrompus maintiennent leur soutien en s’appuyant sur l’ethnicité et les divisions régionales. Alors que le mouvement se retire des rues pour retourner dans les foyers, ces mêmes partis commencent déjà à refaire surface. Ils attendront leur tour. Les dirigeants dits « vétérans » du NC ou de l’UML l’ont déjà fait par le passé et sont prêts à le refaire. Des appels à la réintégration du parlement dissous ont déjà été lancés. Ils parlent également d’indemnisation pour les biens endommagés, ce qui coûtera des millions aux contribuables.

Prachanda, l’ancien rebelle armé maoïste aujourd’hui disgracié, a annoncé qu’ils allaient construire un quartier général encore plus grand à la place de celui qui a brûlé. Alors que les familles des personnes tuées par la police ne reçoivent que 7 000 dollars d’indemnité – apparemment le maximum autorisé par la loi –, de nouvelles lois vont être préparées pour indemniser les capitalistes pour leurs biens perdus. Le nouveau gouvernement intérimaire a déclaré que sa priorité était d’établir l’ordre public, puis d’organiser des élections en mars prochain. Tous les partis profiteront de cette période pour manœuvrer afin de revenir au pouvoir. Quel sera le résultat des élections soi-disant démocratiques de mars prochain ? Un autre gouvernement de coalition, un débat prolongé au parlement – peut-être maintenant sur la meilleure façon de lutter contre la corruption ? Qui représentera le mouvement, les jeunes, les travailleurs et toutes les couches opprimées du pays lors de ces élections ?

Néanmoins, la contestation des jeunes a semé la terreur au cœur de tous les partis traditionnels. Aucune mesure de sécurité, y compris les massacres, n’a pu contenir le déferlement massif de colère. Cela pourrait contraindre certains à faire des compromis par crainte de nouvelles explosions, mais cela ne représente toujours pas une menace existentielle pour l’establishment. À moins qu’une stratégie ne soit élaborée pour rassembler tous ceux qui luttent autour d’un programme clair et établir des cellules d’organisation à travers le pays sur cette base, aucun défi réel ne pourra être lancé à ce système pourri. Si nous voulons mettre fin à la corruption et à tous les maux enracinés dans le système capitaliste, et mettre en œuvre des politiques qui renverseront l’économie basée sur le profit et commenceront à utiliser les ressources au profit de tous, un programme socialiste révolutionnaire doit être adopté par le mouvement, parallèlement à la lutte pour un gouvernement dirigé par la classe ouvrière, capable de rassembler tous les jeunes, les pauvres et tous les opprimés, et qui mettra en œuvre un tel programme.

Le soulèvement populaire reflète-t-il également la fin de la soi-disant gauche au Népal ?

Il y a seulement dix ans, une situation révolutionnaire existait au Népal, qui promettait non seulement la fin de la monarchie et de l’exploitation, mais aussi la fin de l’emprise des capitalistes sur le pouvoir. Bien sûr, un pays enclavé entre deux grandes puissances régionales, la Chine et l’Inde, et dont le développement industriel était limité, devait faire face à d’énormes défis pour aller de l’avant. Cependant, ce ne sont pas seulement ces complications qui ont freiné le mouvement à l’époque, mais aussi la faiblesse idéologique de ses dirigeants. En substance, leur incapacité à rompre avec la théorie des deux étapes et à rompre complètement avec le capitalisme a conduit au début de la trahison du maoïsme.

Il est important de noter que ce n’est pas seulement la variante népalaise – la voie de Prachanda – qui a échoué, mais aussi l’idée maoïste en général sur la manière dont la révolution allait se dérouler. Les maoïstes de toutes tendances en Inde, ainsi que leurs alliés intellectuels et leurs sympathisants internationaux, ont salué les maoïstes népalais à l’époque, car ils partageaient la même faillite idéologique, consistant à collaborer avec la classe capitaliste comme première étape supposée pour établir une république capitaliste démocratique sur la voie de la révolution socialiste. En fait, cela a surtout permis aux capitalistes de se regrouper et de rétablir le pillage et la corruption.

Voir l’article du CIO (non traduit) « Népal – Turning back the wheel of history » https://www.socialistworld.net/2014/04/01/nepal-turning-back-the-wheel-of-history/

Le discrédit des dirigeants maoïstes tels que Baburam Bhattarai et Pushpa Kamal Dahal (mouvement Prachanda) est alors entamé, d’abord parmi les membres et les cadres de leur propre parti. Leur collaboration avec les capitalistes a encore érodé le soutien des travailleurs et de la génération montante. Ceux qui sont nés avant ou pendant la période révolutionnaire au Népal, qui ont vécu sous le soi-disant « gouvernement démocratique », n’ont été témoins que de manœuvres politiques prolongées et d’une détérioration des conditions de vie. La génération qui s’était jointe à la lutte armée pour établir un nouveau Népal a vu son esprit et sa vigueur révolutionnaire s’estomper, remplacés par la désillusion et le désespoir.

La trahison et la défaite finale des maoïstes ont également contribué à la confusion idéologique qui se reflète dans le soulèvement populaire actuel. Le mouvement n’était ni une offensive claire et décisive contre le néolibéralisme ou le capitalisme, ni l’expression illusoire de la capacité du capitalisme à tenir ses promesses.

Au Népal, le discrédit du socialisme est venu de l’expérience de la trahison maoïste, mais cet état général de confusion n’est pas propre au mouvement de masse népalais. Aucun mouvement de masse n’est jamais pur, surtout à ses débuts. Du Soudan au Sri Lanka, il y a eu des confusions idéologiques, un caractère interclassiste, un manque de leadership et une incapacité à proposer des stratégies pour la prochaine étape de la lutte. Dans le même temps, au sein de tous ces mouvements, l’expérience de ce qu’ils appellent le « pouvoir du peuple » s’est incontestablement imposée comme une puissante force de changement. Elle a semé la peur dans le cœur de nombreux gouvernements corrompus et classes dirigeantes de la région et au-delà. Ces mouvements sont également animés par une détermination sans faille à renverser les régimes auxquels ils s’opposent. Les explosions de colère, souvent imputées à des « éléments minoritaires violents », sont en quelque sorte le reflet de cette détermination. Souvent, ces explosions de violence ont été une réaction logique à la violence contre-révolutionnaire des régimes.

Cette force a jusqu’à présent réussi à atteindre son objectif immédiat, à savoir mettre fin au règne des élites corrompues. Cependant, il s’agit là d’un gain temporaire, car aucune stratégie ni perspective permettant de maintenir le pouvoir populaire n’a encore vu le jour. Les arrangements temporaires qui ont suivi ces mouvements, tout en prétendant écouter la rue, les ont vidés de leur substance revendicatrice et ont repoussé toute nouvelle escalade par la force. À l’instar du gouvernement provisoire au Sri Lanka, le gouvernement intérimaire dirigé par Sushila Karki parle également de rétablir l’ordre public et promet la justice. Pourtant, elle est une défenseuse de l’économie capitaliste et ses opinions ne diffèrent en rien de celles des dirigeants discrédités. Ses actions, au nom du mouvement, ne feront que contribuer à le diviser et à le réduire au silence, laissant ainsi tout le temps nécessaire à l’élite au pouvoir pour rétablir son autorité, même par de nouveaux moyens.

Ce vide est également exploité par des forces populistes qui prétendent lutter contre la corruption, mais qui jouent soit un rôle bonapartiste – en funambule entre la colère populaire et la protection des profits capitalistes –, soit ouvrent la voie au retour de l’ancien régime. Les forces réactionnaires telles que le Rastriya Prajatantra Party, un parti nationaliste hindou et monarchiste, sentent l’opportunisme dans cette période. Elles reçoivent également le soutien de leurs homologues en Inde, qui se rallient au régime Modi. Une partie des super-riches soutient également leurs opinions, bien qu’elle ne soit pas directement impliquée.

Si le mouvement veut conserver son pouvoir et mettre fin au cercle vicieux de la corruption, du pillage et de l’exploitation, il doit prendre des mesures décisives pour conserver le pouvoir. Les explosions de violence suscitent l’effroi parmi l’élite et apportent des bénéfices temporaires en la mettant en fuite, mais elles ne donnent pas de résultats durables. Au contraire, elles peuvent être contre-productives, en particulier sans le soutien de forces organisées au sein de la société. Une telle violence est souvent utilisée par les régimes pour intensifier la répression, ce qui conduit soit à réduire le mouvement au silence, soit à des situations comme celle du Myanmar, où l’opposition est engagée dans une lutte meurtrière et prolongée.

Il convient donc de mettre en avant la stratégie consistant à unir tous les jeunes, les militants et les travailleurs qui participent au mouvement. Les appels à la création d’une plateforme commune de lutte qui ont émergé le jour même du mouvement de masse au Népal ont été rejetés à tort par certains « leaders » autoproclamés. Au contraire, des organes de coordination démocratiques du mouvement devraient être mis en place sur les lieux de travail, dans les villes et dans les régions. Aucun régime ni aucun représentant du capitalisme ne pourra continuer à régner sans le soutien ou l’aval de la classe ouvrière. Il faut lancer des appels à l’union des différentes couches de la société : travailleurs, agriculteurs, jeunes et toutes les couches opprimées. Ils doivent non seulement rompre avec les partis pourris, mais aussi avec les politiques capitalistes. Cependant, pour y parvenir, il faut une force révolutionnaire qui ait à la fois un programme clair et soit capable de proposer des mesures concrètes pour construire un mouvement capable de mettre en œuvre le changement révolutionnaire nécessaire.

Il n’existe aucune solution ayant pour base le capitalisme. Comme nous le voyons au Sri Lanka et au Bangladesh, les petites économies peuvent temporairement retarder les attaques contre les conditions de vie et mettre en œuvre quelques politiques populistes, mais les attaques reviendront inévitablement faute de perspective de croissance capitaliste en cette période de crise. Il est essentiel de créer des institutions démocratiques ancrées dans la participation des travailleurs, permettant à ceux qui produisent et font tourner la société d’exercer un pouvoir réel. La mise en place d’un gouvernement dirigé par les travailleurs est la voie la plus viable vers une véritable démocratie, la justice sociale et l’égalité économique, mettant fin au cercle vicieux de la crise et de l’oppression, et donnant l’exemple aux travailleurs et aux jeunes d’autres pays.