Tremblement de terre en Turquie/Syrie : bâtiments mal construits, corruption, profit, manque de coordination et de ressources

Un tremblement de terre dévastateur – d’une magnitude de 7,7, à une profondeur relativement faible – a frappé le sud-est de la Turquie aux premières heures du 6 février, faisant à ce jour plus de 36 000 morts en Turquie et en Syrie, et plus de 150 000 blessés. Ce tremblement de terre a été suivi de plus de 680 répliques, dont une presque aussi importante que la première. L’épicentre du tremblement de terre se trouve à Kahramanmaraş, une ville proche de la Syrie.

Article publié le 9 février sur www.socialistworld.net. Les chiffres du terrible bilan ont été mis à jour dans le premier paragraphe. Les chiffres dans le reste de l’article datent du 9 février.

Le bilan officiel du séisme du 6 février s’élève désormais à 36 000 morts, près de 150 000 blessés et plus de 195 000 personnes déplacées

L’Organisation mondiale de la santé estime que 23 millions de personnes sont touchées par ce tremblement de terre dans l’une des régions les plus défavorisées de Turquie et dans le nord de la Syrie déchiré par la guerre.

Il s’agit du tremblement de terre le plus important et le plus destructeur en Turquie depuis celui d’Izmit en 1999, près d’Istanbul, qui avait fait plus de 17 000 morts.

Ce récent tremblement de terre montre que rien n’a fondamentalement changé en 24 ans. Une fois de plus, des milliers de bâtiments non conformes aux normes de construction se sont effondrés et l’État n’a pas réagi pour secourir les gens et fournir les produits de première nécessité aux personnes qui ont survécu.

L’agence d’aide gouvernementale a déclaré que plus de 12 000 bâtiments se sont effondrés, seuls 6 000 ont été confirmés jusqu’à présent.

Les hôpitaux, les hôtels de ville, les églises se sont également effondrés, et les aéroports et les autoroutes n’ont pas pu être utilisés au cours des premiers jours car ils ont été gravement endommagés.

De manière choquante, les habitants signalent l’effondrement de bâtiments récemment construits. Malgré l’adoption tardive de nouvelles normes de construction après 1999, les gouvernements corrompus ont fermé les yeux sur les violations. Les promoteurs immobiliers et les entreprises de construction, cherchant le profit, ont utilisé des raccourcis et des matériaux bon marché pour réduire les coûts au lieu de construire des bâtiments résistant aux tremblements de terre.

De plus, des vidéos montrant des patients attendant dehors dans un froid glacial, sans aucune aide de l’État ou des autorités locales, sont devenues virales sur les réseaux sociaux dès le premier jour.

Mais ils ne sont pas les seuls. On estime que 13,5 millions de personnes en Turquie sont touchées par ces tremblements de terre dans 10 villes. Dans ces villes et villages dévastés par les tremblements de terre, plus de 150 000 personnes seraient encore coincées sous les décombres.

L’incapacité du gouvernement à envoyer des équipes de secours adéquates est criminelle. De nombreuses personnes piégées sous les décombres sont en train de mourir en attendant les secours. Les habitants et les bénévoles tentent d’aider leurs familles, dans la plupart des cas à mains nues, faute d’outils ou d’équipements fournis par les autorités.

Hatay, ville multiculturelle frontalière de la Syrie, a été l’une des villes les plus touchées, avec des milliers de personnes encore sous les décombres des bâtiments effondrés, et attendant toujours l’arrivée des équipes de secours.

L’ensemble des engins de chantier (chariots élévateurs et autres véhicules et équipements) qui pourraient être utiles devraient être expropriés des entreprises de construction.

Il y a de graves pénuries de carburant, de nourriture, d’eau, de toilettes, de médicaments, de tentes, d’électricité et de nombreux autres produits de première nécessité dans les régions touchées.

La plupart des gens dorment encore dans leur voiture ou restent dehors dans un froid glacial. Les propriétés vides et les chambres d’hôtel doivent être récupérées pour loger les nombreuses personnes sans abri.

Dans son discours télévisé du troisième jour, le président turc Recep Tayyip Erdoğan a admis que le gouvernement n’avait pas pu réagir efficacement les deux premiers jours. Cependant, c’est au cours de ces deux jours qu’une planification, une coordination et des opérations de sauvetage adéquates ont été nécessaires pour sauver des vies dans les décombres.

Il a fallu 60 heures pour que des mineurs expérimentés et spécialement formés de Zonguldak (une ville minière du nord de la Turquie) soient transportés dans la région touchée.

Trois jours seulement après le tremblement de terre, les équipes de secours se sont multipliées, les équipes d’aide internationale ayant atteint la Turquie. Pourtant, de nombreuses familles attendent encore l’arrivée des équipes de secours.

Inévitablement, de nombreuses questions sur les bâtiments et la façon dont le gouvernement a réagi à cette crise seront posées. Une enquête indépendante devrait être menée par les syndicats et les communautés locales afin d’identifier les promoteurs immobiliers et les fonctionnaires responsables de cette catastrophe.

La Turquie et la Syrie sont des pays sujets aux tremblements de terre. Mais ce ne sont pas nécessairement les séismes qui tuent : ce sont les bâtiments mal construits, le mercantilisme et le manque de planification, de coordination et de ressources qui tuent. En d’autres termes, c’est le capitalisme qui tue.

Les scènes horribles auxquelles nous assistons sont une nouvelle mise en cause des défaillances du système capitaliste pourri qui privilégie le profit plutôt que la sécurité des personnes.

« Où est l’État ? »

La question « Où est l’État ? » est répétée à maintes reprises par les habitants de Turquie. Le manque d’application des normes de construction et la réponse abyssale de l’État, ainsi que la mauvaise planification et coordination, sont susceptibles d’amplifier la colère et le ressentiment croissant contre Erdoğan. Sa popularité était déjà historiquement basse en raison de l’inflation élevée qui, selon les prévisions, devrait atteindre 121 % en janvier 2023.

Dès le premier jour du séisme, ce sont les travailleurs organisés qui ont été sur place afin d’aider les populations victimes du séisme. Des syndicats, des organisations de gauche, des groupes communautaires et des milliers de bénévoles tentent de sauver les personnes piégées dans les décombres et de fournir des produits de première nécessité aux personnes qui ont survécu. Ces initiatives sont très prometteuses et peuvent servir de tremplin à la formation d’équipes locales de quartier démocratiques composées de travailleurs et de communautés locales pour une meilleure coordination des opérations de sauvetage et la fourniture de produits de première nécessité dans l’immédiat.

On assiste à une incroyable mobilisation de personnes ordinaires à travers la Turquie, mais aussi dans d’autres parties du monde, pour envoyer des produits de première nécessité dans les zones touchées. Les gens ordinaires font des dons aux organisations non gouvernementales qui n’ont pas de liens avec le gouvernement. Bien que le parti d’Erdoğan soit toujours en tête des sondages avec une faible marge, cela reflète le faible niveau de confiance dans le gouvernement après le tremblement de terre.

Bien qu’elle soit l’un des pays les plus riches du monde et qu’elle dispose d’énormes ressources et compétences, la Turquie a lamentablement échoué à répondre à cette catastrophe. Plutôt que d’investir dans les communautés et de s’assurer que tous les bâtiments résistent aux tremblements de terre, les riches profiteurs ont empoché l’argent. Il n’y a eu aucun plan ni aucune préparation pour faire face à un tel événement, le gouvernement et les grandes entreprises ne s’intéressant qu’à leurs intérêts à court terme.

Non seulement le gouvernement a ignoré les entreprises de construction qui ont violé les codes de construction, mais le gouvernement d’Erdoğan a publié une amnistie de zonage en 2018 pour les bâtiments construits illégalement sans s’assurer qu’ils peuvent être habités en toute sécurité. Le gouvernement a réalisé 3 milliards de dollars de recettes auprès des demandeurs qui ont enregistré leurs bâtiments illégaux.

L’état d’urgence

Le président Erdoğan a déclaré l’état d’urgence dans les villes touchées par le tremblement de terre. L’état d’urgence couvrira 10 villes et durera 3 mois, se terminant juste avant les élections présidentielles et parlementaires qui doivent avoir lieu le 14 mai.

Le gouvernement veut faire taire toute opposition et ne veut pas que soient diffusées des informations qui dénoncent l’incompétence du gouvernement. Cette mesure confère à la police des pouvoirs étendus lui permettant de procéder à des interpellations et des fouilles dans la région, et elle interdit toute manifestation ainsi que la production et la distribution de journaux et de tracts non autorisés. Erdogan a d’ailleurs rapidement exprimé des menaces contre toute l’opposition et la population 2 jours après le séisme : “ceux qui tentent de diviser le peuple par de fausses informations seront suivis de près […] les procureurs feront le nécessaire contre ceux qui tentent de créer un chaos social”.

Par ailleurs, une propagande ultra-raciste a été propagée par le Président d’extrême-droite du Parti de la Victoire Umit Ozdag envers la population syrienne accusée de pillage alors qu’ils osent à peine demander de l’aide par peur des représailles. [NDLR: ces deux dernières phrases ont été rajoutées par rapport à l’article original.]

Erdoğan et le parti au pouvoir vont profiter du tremblement de terre pour accroître leurs pouvoirs et bafouer les droits démocratiques. Compte tenu de la réponse consternante du gouvernement, il n’est pas exclu que les élections de mai soient annulées ou reportées.

L’échec d’un système capitaliste en déliquescence est illustré graphiquement par ce tremblement de terre qui a frappé la Turquie et la Syrie. Les responsables de ces deux pays n’ont pas réussi à fournir des maisons, une sécurité et des ressources de base aux personnes touchées par de telles catastrophes.

Dans la Syrie déchirée par la guerre, les infrastructures étaient déjà très faibles en raison de la guerre civile. Et les zones du nord de la Syrie tenues par le gouvernement et les rebelles n’ont pas su répondre à la crise. Des milliers de personnes sont mortes à ce jour et les survivants dorment dehors dans le froid. Des rapports font état d’un manque d’accès à l’eau potable.

Les gouvernements occidentaux et les médias ont largement ignoré ou traité comme secondaire la détresse de la population syrienne frappée par le tremblement de terre. Pourtant, les interventions militaires des puissances occidentales dans la longue guerre civile ont contribué à mettre la Syrie à genoux. L’administration Biden maintient ses sanctions contre le régime du président Assad, ce qui empêche les secours d’atteindre les zones sinistrées par le séisme.

En Turquie, l’ampleur de cette catastrophe a été aggravée par l’incompétence du régime d’Erdoğan qui a ignoré les codes de construction et n’avait aucun plan pour secourir les gens. De plus, il a dressé des obstacles bureaucratiques devant les personnes et les organisations qui voulaient aider en bloquant l’accès des camions de fournitures et des engins de chantier.

Pour commencer à guérir cette tragédie, il faut des politiques socialistes, telles qu’un programme de construction de logements d’urgence de masse, résistants aux tremblements de terre et abordables, et un service national de santé entièrement financé avec des augmentations de salaire à l’abri de l’inflation pour les travailleurs de la santé. Parallèlement à ces mesures immédiates, la nationalisation des industries du logement, de l’alimentation et de l’approvisionnement en eau sous le contrôle démocratique de la classe ouvrière est nécessaire, afin de mettre un terme aux profits des grandes entreprises.

Sans aucun doute, ce tremblement de terre va approfondir la crise pour le régime d’Erdoğan et le capitalisme turc. Il est trop tôt pour évaluer l’humeur de la société turque, mais la colère contre le régime est déjà clairement visible.

Ce n’est que dans une économie socialiste planifiée, avec la production et la distribution sous le contrôle de la classe ouvrière, que nous pouvons créer un monde où les besoins de la société sont satisfaits plutôt que ceux des milliardaires, afin d’éviter ces tragédies, en premier lieu.