Il y a 100 ans maintenant, la Russie a été secouée par une onde de choc révolutionnaire sans précédent. Durant toute une année, la classe ouvrière s’est mobilisée par des grèves dures remettant en cause le système féodal. Pour les marxistes d’aujourd’hui, l’expérience et les enseignements de cette vague révolutionnaire sont essentiels.
Article paru dans l’Egalité n°112
Contrairement aux pays d’Europe occidentale, la Russie de 1905 n’a pas de classe capitaliste nationale capable de porter et de mettre en œuvre une révolution démocratique aboutissant à un système parlementaire, comme la France de 1789. Mais en même temps, l’introduction de capitaux occidentaux dans l’économie russe permet qu’il s’y développe une importante industrie et une classe ouvrière. Le capitalisme naissant en Russie a déjà des caractéristiques du capitalisme des vieilles nations d’Europe de l’ouest comme l’Angleterre : concentration du capital dans les mains d’une poignée de capitalistes et concentration ouvrière dans des industries de grande envergure. Trotsky décrit cela comme le développement inégal et combiné du capitalisme. Dans des situations telles que celle qui prévalait en Russie, la bourgeoisie ne veut pas remettre en cause l’ancien régime, c’est à la classe ouvrière de mener à la fois la révolution démocratique et la révolution socialiste. C’est l’un des points de la théorie de la révolution permanente.
Le dimanche sanglant. L’année révolutionnaire débute dés le 3 janvier, lorsque des ouvriers d’une seule usine se mettent en grève. Quatre jours plus tard, il y a 140 000 travailleurs en grève. D’une grève économique, la lutte se transforme en une lutte politique. Lorsque le 9 janvier, plusieurs centaines de personnes marchent en direction du Palais d’hiver du Tsar à Saint-Petersbourg, ils réclament l’amnistie, les libertés publiques, la séparation de l’Eglise et de l’Etat, une journée de travail de 8 heures, un salaire digne et une réforme agraire. Ils réclament aussi l’élection au suffrage universel d’une Assemblée constituante. Malgré la répression sanglante, la vague de grèves et de manifestations s’élargit encore à travers le pays.
Face à cette montée fulgurante de la lutte, les classes dirigeantes ne comprennent pas la situation, d’autant que les oscillations continuelles des capitalistes entre la carotte et le bâton donnent une plus grande confiance aux travailleurs. Leur conscience de classe augmente rapidement : régulièrement ils se retrouvent, pour la première fois, dans les universités, seuls endroits où les réunions publiques ne sont pas illégales, pour des meetings où sont discutés des questions de tactique, de politique ou d’économie.
La lutte s’intensifie
Tour à tour les typographes, les ouvriers boulangers et les cheminots se mettent en grève. Puis ce sont les autres secteurs qui les rejoignent. Très vite les travailleurs refont tourner les machines au profit du mouvement révolutionnaire : lorsqu’un bulletin a besoin d’être édité, les typographes ouvrent les imprimeries. Les télégraphistes diffusent des informations utiles à la grève via le télégraphe. Les cheminots font rouler les trains pour transporter les grévistes. Le 13 octobre la réunion constituante des soviets (conseils ouvriers) se tient à Saint-Petersbourg. Les travailleurs considèrent désormais les soviets comme leur gouvernement. Une situation de double pouvoir s’installe dans le pays. Comprenant que la paysannerie, qui représente encore la plus grande partie de la population, peut être un allié de poids dans la lutte contre le vieux régime réactionnaire, des ouvriers parcourent les campagnes afin de pousser les paysans à s’organiser et à revendiquer l’abolition de la propriété privée de la terre aux mains des propriétaires terriens.
Le mouvement révolutionnaire commence à refluer en décembre 1905, lorsque le pouvoir d’Etat arrive à désarmer les forces révolutionnaires au sein de la classe ouvrière, de la paysannerie ou de l’armée. Face au pouvoir et aux milices réactionnaires armées par l’Etat et recrutées dans la faction la plus désocialisée du peuple, les révolutionnaires sont incapables de défendre les acquis de la révolution. En conséquence, incapables de renverser l’Etat féodal, les travailleurs ne trouvent ni de perspective et ni de débouché à leur révolution. Le dernier pas qui peut les amener à réaliser la révolution sociale n’est pas franchi. Durant plusieurs années, une répression féroce va s’abattre sur le mouvement ouvrier.
En ce sens, la révolution de 1905 a été une révolution bourgeoise, car le système féodal ne convenait plus au développement du capitalisme. En fait seuls les rapports sociaux ont changé dans le seul but de développer au maximum le capitalisme. La première leçon de la révolution de 1905 en Russie sera théorisée par Trotsky : dans les pays dominés, la classe ouvrière a une double tâche : mener à bien la révolution démocratique que la bourgeoisie locale ne peut réaliser et en même temps réaliser la révolution sociale qui renverse le capitalisme. Trotsky écrit en 1905 : « Bilan et perspectives » qui est la première formulation achevée de la théorie de la Révolution permanente, une méthode d’action concrète en situation pré-révolutionnaire dans les pays dominés.
La théorie de la Révolution permanente revient sur la question de l’organisation des ouvriers, de l’Etat, du pouvoir, du socialisme et sur la révolution dans tous les pays du monde. Deux axes sous-tendent la révolution permanente ce qu’appelle en fait Trotsky la double tâche. Tout d’abord la nécessité de faire une révolution démocratique si on est dans un pays où la révolution démocratique n’est pas encore en place et une révolution socialiste. En effet, la révolution démocratique nécessaire cependant, ne remet pas en cause le système capitaliste ni l’Etat bourgeois. Concrètement, dans tous les pays dominés qui ont connu des situations révolutionnaires, la bourgeoisie locale préfère faire alliance avec les vieilles classes dirigeantes (propriétaires terriens…) et l’impérialisme aux moyens de dictatures souvent militaires (Chili, Irak…) ou religieuses (Iran).
Comme en France lors de la Commune en 1871, il a manqué à la classe ouvrière russe de 1905 un parti capable de donner des perspectives et d’être le véritable fer de lance de tous les opprimés. Lénine et le parti Bolchevik comprennent que la spontanéité des masses n’est pas suffisante pour faire aboutir un mouvement révolutionnaire et qu’il est nécessaire de construire un parti de masse révolutionnaire organiquement attaché à la classe ouvrière. Ainsi structuré, le parti Bolchevik pourra jouer le rôle central en 1917, lorsque les travailleurs s’élèveront à nouveau contre le système tsariste.
La forme la plus aboutie de la démocratie ouvrière se trouve dans l’auto-organisation des travailleurs et de tous les opprimés au sein des soviets : véritables organes politiques, législatifs et exécutifs chargés de détruire l’ancien Etat et de le remplacer. Trotsky explique, avec la nécessité de la double tâche c’est à dire la révolution socialiste, il est indispensable que celle-ci ait un caractère international. Car aussitôt la révolution socialiste faite dans un pays, tous les capitalistes des autres pays s’empresseront d’écraser ce pays de peur que les travailleurs de leur propre pays se réveillent, se battent pour conquérir le pouvoir et construisent un Etat socialiste.
La compréhension de cette double tâche a permis et permet à tous les militants révolutionnaires de toujours voir le but de leur travail : la révolution socialiste. Elle permet de structurer notre travail au quotidien et est un vrai outil quelle que soit la situation objective dans laquelle on vit.