Libéria : un accord de paix fragile

Un accord de cessez le feu a été signé cet été entre le gouvernement libérien et les groupes rebelles avec pour objectif d’arrêter la guerre civile dans laquelle le pays avait sombré. D’après les accords, un nouveau gouvernement excluant le président Charles Taylor a été installé. Cet accord doit être mis en place par une force ouest-africaine de maintien de la paix, qui comporte au moins 2000 soldats.

Article paru dans l’Egalité n°103

Le Libéria est la plus vieille « république » d’Afrique fondée par des esclaves américains affranchis. Avec une population de 3,3 millions, elle est aujourd’hui composée principalement d’Africains d’origine. Les descendants d’esclaves représentent 5% de la population mais l’ont pendant longtemps dominé en asservissant les populations locales. Le Libéria était plutôt calme jusqu’à 1980, quand le sergent Samuel Doe a renversé le président William Tolbert par un coup d’état militaire suite à des émeutes contre le prix de la nourriture. Le coup d’Etat de Doe a marqué la fin de la domination des colons Afro-américains, mais a aussi ouvert une période d’instabilité. Ces vingt dernières années, le pays a été dans une guerre civile permanente.

Le régime Doe était lui même marqué par une grave crise économique et une mauvaise gestion. Taylor a servi dans le gouvernement Doe et fut accusé de fraude, après quoi il fuit aux Etats-Unis où il fut arrêté. il s’échappa et organisa une révolte contre le gouvernement Doe en 1989. La guerre civile causa des milliers de morts et 500 000 réfugiés. Les gouvernements d’Afrique de l’Ouest formèrent une force d’intervention militaire appelée ECOMOG pour arrêter Charles Taylor. Des groupes rebelles opposés à Taylor se sont aussi formés. Finalement cette force imposa un « accord de paix » mais aux élections suivantes de 1997, Charles Taylor fut élu comme président.

En 1999, des combattants du LURD (Libériens Unis pour la Réconciliation et la Démocratie), dont certains qui s’étaient opposés à Taylor pendant la guerre civile, lancèrent des attaques contre les territoires libériens du nord et de l’ouest à partir de bases en Guinée. Récemment un autre groupe, le MODEL (Mouvement pour la Démocratie au Libéria), a émergé et a pris le contrôle de régions stratégiques dans le sud et l’est du pays. Début juin 2003, les rebelles du LURD ont atteint Monrovia, la capitale du Libéria. Il y avait un chaos total et des milliers de personnes, y compris des étrangers, essayaient de quitter le pays. On assiste à un réel désastre humanitaire à cause du manque de nourriture. Environ 5000 réfugiés, principalement des Nigérians mais aussi d’autres ressortissants d’Afrique de l’Ouest ont été rapatriés à Lagos.

La rébellion actuelle au Libéria n’est qu’une partie d’un réseau complexe de conflits dans lesquels cette région de l’Afrique de l’Ouest est plongée depuis plus d’une décennie. Au Libéria, en Côte d’Ivoire, en Sierra Leone, en Guinée, les guerres civiles ont fait rage sans répit entre les gouvernements et les groupes rebelles, avec les pays voisins s’accusant mutuellement d’être à l’origine des rebellions. En Côte d’Ivoire, une paix délicate a été mise en place et un gouvernement « d’unité » nationale a été formé après une rébellion militaire en septembre 2002 qui avait divisé le pays en deux. Quand la rencontre entre Taylor et les groupes rebelles était sur le point de commencer à Accra (capitale du Ghana), le tribunal de crime de guerre des nations unies en Sierra Leone accusa Taylor d’avoir soutenu les rebelles du RUF pendant la sanglante guerre civile en Sierra Leone et ordonna son arrestation. Il dut repartir rapidement pour Monrovia. Une des peurs des impérialistes et des dirigeants d’Afrique de l’ouest est que le conflit au Libéria ne rallume la guerre civile en Sierra Leone et ne déstabilise encore plus la région.

Certains commentateurs capitalistes donnent l’impression que le retrait de Taylor suffisait pour en finir avec la guerre civile au Libéria, mais cela est une vision très simpliste des choses. Les racines de ces conflits incessants sont dans le sous-développement chronique de cette région, produit lui-même de décennies d’exploitation capitaliste. C’est l’incapacité du capitalisme à développer ces pays qui est responsable de la pauvreté, de l’illettrisme, de la famine, des maladies et d’un chômage énorme surtout dans la jeunesse. Au Libéria l’espérance de vie est de 41 ans pour les hommes et 42 pour les femmes, le salaire moyen est de 140 $ par an (selon les sources de la Banque Mondiale, 2001). D’après les rapports sur le développement des Nations Unies, la Sierra Leone est le pays le plus pauvre du monde. Telles sont les causes premières des oppositions, des divisions et des guerres à caractère ethnique. Beaucoup des rebelles sont des adolescents qui espèrent un futur meilleur. Les différentes factions capitalistes sont engagées dans des luttes mortelles pour se partager les ressources naturelles de ces pays.

Bien que ce gouvernement soit signataire du traité de paix, Taylor a dit plus tard à la télévision qu’il ne démissionnerait pas de son poste de président. Même s’il a été forcé à le faire, et qu’un accord de paix est mis en place cela ne donnera pas une solution durable à la crise du Libéria et des pays voisins. Seul le renversement du capitalisme dans les différents pays de la région et la prise de contrôle des ressources par les travailleurs, l’utilisation de ces ressources pour le développement de la région, pour pourvoir aux besoins réels de la population, à travers une fédération socialiste volontaire des pays d’Afrique de l’ouest peut garantir une paix durable et mettre un terme au cauchemar et à la misère que les travailleurs subissent.

Par Friday Foluso (Democratic Socialist Movement – section nigériane du CIO) traduit par Virginie Prégny