La directive « Frankenstein » : reculer pour mieux sauter

La directive européenne sur la libéralisation des services, surnommée par ses opposants directive Frankenstein, dérivée du nom de son créateur Fritz Bolkestein, a donnée des sueurs froides aux dirigeants politiques de l’Union européenne.

Article paru dans l’Egalité n°113

Suite à l’opposition croissante à cette directive (60 000 manifestants à Bruxelles le 19 Mars) et à la montée du Non pour le référendum sur la Constitution européenne en France, les dirigeants européens, Chirac et Schröder en tête, ont décidé de « remettre le texte à plat ». Mais on ne doit pas s’y tromper, ce recul n’est qu’une apparence car tous les gouvernements s’accordent à dire qu’il est nécessaire de libéraliser le commerce des services à l’échelle européenne.

Le principe du « pays d’origine »

Le point principal de la directive Bolkestein est d’établir « le principe du pays d’origine ». c’est à dire qu’une entreprise de services qui va s’installer dans un pays membre de L’Union européenne n’a pas besoin d’appliquer les règles sociales, de travail, de rémunération, du pays dans lequel elle s’installe. Elle peut appliquer les conditions de son pays d’origine. Donc une entreprise anglaise qui s’installerait en France pourrait d’une part venir avec des employés anglais, et d’autre part embaucher du personnel en France mais qui serait régi selon les lois anglaises (congé de maternité de maximum 6 semaines, salaire minimum de 5€/h en moyenne pour les plus de 21 ans, couverture sociale minimum voire inexistante, embauche de CDD illimitée, temps de travail de 48h/semaine en moyenne…)

L’hypocrisie des gouvernements

Les hommes politiques européens font semblant de découvrir la directive Bolkestein, alors que la libéralisation des services était déjà inscrite dans le traité de Rome dès 1957, dans l’Acte Unique de 1986, dans la Constitution européenne et qu’elle a été adoptée par le parlement européen en Mars 2004 à une écrasante majorité. La constitution se fonde sur deux principes fondamentaux : l’Union Européenne constitue  » un marché intérieur où la concurrence est libre et non faussée  » et la principale  » liberté fondamentale  » est : « la libre circulation des personnes, des services, des marchandises et des capitaux, ainsi que la liberté d’établissement…garanties par l’Union… « . C’est sur ces principes que s’est appuyé Bolkestein pour produire sa circulaire. De plus la libéralisation des services (c’est à dire la mise en concurrence et la privatisation) a commencé avant que cette directive ne soit produite. C’est le cas pour les transports, l’énergie, et les services postaux par exemple, qui ne sont d’ailleurs pas inclus dans la directive puisque les accords concernant ces branches ont déjà été signés (traités, de Nice, Barcelone et Lisbonne, entre autres) et ils l’ont été par les gouvernements de droite comme de gauche. On se souvient encore de Chirac et Jospin signant ensemble la libéralisation de l’énergie à Barcelone.

La loi du capitalisme : diviser pour mieux régner (et s’enrichir !)

La directive Bolkestein démontre de façon évidente la logique interne du capitalisme, système fondé sur l’exploitation et la division des travailleurs, dans le but unique de faire le maximum de taux de profit. Ce que veulent les patrons, c’est mettre les travailleurs en concurrence non plus à l’échelle nationale mais à l’échelle européenne et mondiale. Cette directive va faciliter la pression sur les salaires, les conditions de travail. Les travailleurs et les jeunes se verront forcés à accepter des conditions de travail misérables par peur de se retrouver au chômage, et les patrons pourront encore amplifier le chantage à la délocalisation ou à l’embauche de personnel d’autres pays où les conditions sont encore plus précaires.

Dans un système dont la seule loi est de générer le maximum de profits, les droits des travailleurs ne peuvent pas être respectés. Les acquis sociaux des travailleurs en France et dans d’autres pays n’ont pas été donnés généreusement par le patronat, ils ont été gagnés de hautes luttes. Aujourd’hui seule une riposte concertée des travailleurs dans chaque pays et au niveau européen permettra de stopper les attaques, et de construire une lutte pour des conditions de travail et de vie dignes dans tous les pays.

Par Virginie Prégny