Immeubles effondrés à Marseille : une politique criminelle dont les priorités assassinent

Le matin du lundi 5 novembre, deux immeubles s’effondraient au cœur de Marseille, suivis de près par un troisième. Deux de ces immeubles appartenaient à la mairie. A cette heure huit victimes ont été retrouvées.

Pour le moment on accuse le coup, on est sous le choc. Il y a la peur de retourner vivre dans un logement potentiellement mortel et le sentiment d’abandon aussi, parmi toutes les personnes qui se retrouvent aujourd’hui sans toit et dans l’attente de savoir si elles pourront être relogées.

Et puis en fond, la colère gronde

D’abord parce que les autorités savaient et ont délibérément choisi de ne rien faire. Ensuite, parce que ces immeubles ne sont que la partie immergée de l’iceberg de logements insalubres à Marseille.

Près de 100 000 personnes vivent dans des immeubles insalubres et dangereux, soit 1 marseillais sur 10. Dans les quartiers nord c’est parfois un habitant sur 3 qui vit dans des bâtiments extrêmement précaires. “Dans le centre ville de Marseille, 13% de l’habitat est indigne”1. Christian NICOL, inspecteur général de l’équipement avait recensé en 2015, 40 000 logements insalubres à Marseille. Aujourd’hui, le ministre de l’intérieur annonce un nombre atteignant 44 400, soit un dixième de plus en trois ans.

Un danger avéré et reconnu depuis plusieurs années

“Au pouvoir depuis 25 ans, la municipalité Gaudin refuse obstinément une rénovation au profit des habitants. Il s’oppose à la lutte contre l’habitat dégradé et les marchands de sommeil et à la production de logement social pour les familles modestes qui y vivent.”2

A peine quinze jours avant la tragédie, la cage d’escalier d’un des immeubles écroulés s’était effondrée sans que soit enclenché un Arrêté de péril comme c’était le cas pour premier immeuble tombé, le numéro 63. L’effondrement de ce dernier, appartenant à la ville, est le troisième dans l’arrondissement en 5 ans ! La cartographie des immeubles en péril ou en état de grave insalubrité dans le quartier est affolante. Et plus de la moitié des immeubles de ce périmètre n’ont pas été traités.

Plus de vingt ans d’immobilisme

Selon Philippe Langevin, économiste à l’Université d’Aix-Marseille : «Les 10 % des ménages les plus riches gagnent plus de 15 fois plus […] que les plus pauvres. Cet écart ne se constate nulle part ailleurs. Plus qu’une ville pauvre, Marseille est une ville éclatée, dont l’unité de façade ne doit pas faire illusion.»3

La mairie de Marseille pratique une politique consciente d’abandon totale des quartiers populaires de la ville tout en injectant des millions dans des projets d’aménagements coûteux ne profitant qu’à la minorité nantie. (voir plus bas)

L’abandon des quartiers populaires à Marseille n’est lui même que le symptôme d’une désertion totale de la part de la mairie vis à vis de tout ce qui concerne les services à la population. Les écoles, les transports, le traitement des déchets, la circulation, les chaussées, … tout est sous financé, non investi, laissé à sa douce mort…

Le collectif du 5 novembre l’exprime ainsi dans sa pétition : « Habitants du centre de Marseille, nous sommes quotidiennement confrontés à l’état de délabrement de notre ville. Transports, propreté, écoles, circulation, tout est difficile pour ceux qui y vivent. Dans les rues de Marseille, tous les jours, notre vie est mise en danger par l’inefficacité des autorités municipales. Nous ne sommes pas en sécurité et nous nous sentons abandonnés par ceux que nous avons élus. »4

Manque d’argent ? Une question de priorité.

La Soleam, la société publique locale d’aménagement de la Ville qui gère notamment le projet “grand centre-ville”, était en charge de la rénovation de ces bâtiments depuis 2011.

La Soléam, c’est cette même société qui gère le grand projet de réaménagement de la Plaine, tant contesté depuis trois ans puisque imposé aux habitants en totale opacité. Le projet était chiffré au départ à 11 millions d’euros et fut revu à la hausse à 20 millions. Un projet de gentrification dont le seul but, à peine caché, est de virer les classes populaires du centre ville pour les remplacer par des commerces de luxe destinés au tourisme et aux classes aisées.

La lutte des habitant a dû s’accélérer lorsque la mairie, sourde aux demandes de transparence et de discussions, a trahi ses faibles promesses, en virant les forains du marché (destinés à être replacés) et en abattant les arbres de la plaine (destinés à être replantés) pour lancer ses grands travaux coûteux et inutiles.

“ Mardi 11 octobre, après une dizaine de jours suspendus aux tergiversations de la mairie (…) les forains ont remballé pour de bon. (…)Grâce au blocage de la foire et des accès autoroutiers, ils avaient obtenu de ne pas être dispersés aux quatre vents. Mais les deux sites de repli obtenus n’étaient pas prêts. Les services imposaient donc 15 jours de chômage forcé à ceux et celles qui avaient osé défier le caciquisme municipal.”5

Alors, la Soleam, avec l’aide de la préfecture, a pensé judicieux d’investir 1000 tonnes de murs de béton de 2,50 de haut pour un coût de 390.000€ et dans des escadrons de CRS sur les dents, afin de tenir à distance les contestataires.

Et puis il y a la tour La Marseillaise aussi, qui va coûter 75 millions d’euros aux marseillais.

Enfin, on voit où sont les priorités pour Gaudin et sa clique ! Ça n’est ni l’argent qui manque ni la pluie qui sont responsables des morts que nous déplorons. C’est bien une politique délibérée et criminelle.

« Dépenser 20 millions d’euros pour gentrifier une place qui ne nécessite que quelques réparations et ne rien investir dans la rénovation d’immeubles délabrés, c’est un choix. De la farce grotesque au drame, il n’y a qu’un pas que la SOLEAM franchit allègrement en réaffirmant son mépris des classes populaires, et en assumant le fait que ses profits valent plus que nos vies ! »6

L’arbre qui cache la forêt

Malheureusement cette tragédie n’est pas un cas isolé et ne concerne pas que Marseille. Elle est l’arbre qui cache une forêt gigantesque en France et bien au delà.

« En France, le gouvernement recense 450 000 logements classés “indigne”. A Paris, près de 7,2 % des logements privés sont estimés comme potentiellement indignes, ce qui représente plus de 66 000 logements, et l’Île-de-France comporterait près de 180 000 logements concernés. »7

Cette catastrophe n’est pas sans rappeler celle qu’a connue l’Angleterre lors de l’incendie de  la tour de logements du Lancaster West Estate, immeuble de logements sociaux dans un quartier populaire de Londres. Un incendie meurtrier pourtant prévisible, conséquence une fois de plus de l’abandon des classes populaires dans les politiques de ville.

Et nous repensons à la tragédie, plus récente, du pont de Gêne effondré par manque d’investissement et d’entretien qui a tué 43 personnes.

Tous ces drames sont les conséquences tragiques et mortelles d’un désintérêt de nos dirigeants à mettre en œuvre des politiques au service de la population. Les priorités restent toujours les mêmes : servir l’intérêt des plus riches, assurer des contrats publics juteux aux copains dans le privé, investir dans des grands projets coûteux et inutiles plutôt que dans la sécurité et le bien être des habitants, laisser pourrir les quartiers pauvres jusqu’à ce qu’il n’en reste plus rien ou dégager les pauvres de ces quartiers pour les offrir à ceux qui ont déjà tout.

Solidarité avec les habitants de Noaille

Il est temps que la peur change de camp, il est temps de reprendre en main nos villes et nos quartiers et de décider de la façon dont doit être dépensé l’argent de nos impôts.

Organisons nous, soyons solidaires. Rassemblons nous au côté du collectif d’habitants et de l’assemblée de la Plaine, menons des actions conjointes. Unissons-nous.

Gaudin et sa clique doivent démissionner après avoir fait déjà trop de victimes.

Une marche blanche, organisée par le collectif des habitants du quartier, prendra place samedi à 15h au métro Notre Dame Dumont.

 


1 https://www.lemonde.fr/societe/article/2018/11/06/habitat-indigne-dans-le-centre-ville-de-marseille-comment-en-est-on-arrive-la_5379674_3224.html?fbclid=IwAR1fpCScprkdX_Z6IH87MwSsGvrK5WbtipGJAo4Ni9BwvJt6NIYgCyD7KFQ)

2 Communiqué de l’association « Centre ville pour tous »

3 https://www.liberation.fr/france/2018/11/06/marseille-ville-a-deux-vitesses_1690367?fbclid=IwAR3Pav9-Ay_J81WWBCwoheZOYw5exgj4fhzdfNAIk5MY0gh1KBByPcR4t7E

4 https://www.change.org/p/collectif-5-novembre-2018-marseille-sous-les-pierres-collectif-du-5-novembre-2018-pour-prot%C3%A9ger-les-habitants-de-marseille?recruiter=35312168&utm_source=share_petition&utm_medium=facebook&utm_campaign=share_petition&utm_term=Search%3ESAP%3EFR%3EBrand%3EPetition%3EExact&utm_content=fhtdec-13831924-fr-fr%3Av5&fbclid=IwAR2SO0YTLJhhbm20r123asyxlhSa1tAWYMxZ5hBhfO813Ol2yT3cj8q7ZWQ

5CQFD, N° 170, novembre 2018, page 5.