La grève de novembre-décembre 1995 fut un événement social majeur, comparable par son ampleur à Mai 68, qui a marqué toute une génération. Pendant près d’un mois, cheminots, postiers, enseignants, hospitaliers, agents des télécoms et salariés de nombreux secteurs publics, rejoints par des salarié·e·s du privé, cessèrent massivement le travail. Cette lutte est la dernière grève de masse du XXᵉ siècle en France.
Le contexte des années 1990 est celui d’un virage néolibéral accentué après la chute de l’URSS. En France, le Parti socialiste, depuis le second mandat de Mitterrand, mène une politique d’austérité et de dérégulation ; la droite poursuit la même voie. Les réformes de Rocard et Bérégovoy (CSG, privatisations, restructuration de la Poste et de France Télécom) affaiblissent les services publics. La crise économique de 1993 et les fermetures d’usines accentuent la précarité. Le gouvernement Balladur impose 40 annuités de cotisation dans le privé, sans réelle opposition syndicale, puis tente en 1994 d’instaurer un « SMIC jeune », qui est retiré après une vaste mobilisation étudiante et lycéenne.
Les prémices de la grève !
En 1994-95, des grèves locales (Alsthom, Renault, Air France) témoignent d’une colère montante face aux profits patronaux et à la stagnation des salaires. Lors de la présidentielle de 1995, Chirac, élu sur le thème de la « fracture sociale », confie à Alain Juppé un programme d’austérité s’attaquant frontalement à la protection sociale et aux services publics. Le « plan Juppé » prévoit la réforme de la Sécurité sociale, l’allongement de la durée de cotisation des fonctionnaires, la hausse des cotisations et un contrôle accru de l’État sur les caisses, tout en amorçant le démantèlement de la SNCF.
Ignorant la colère sociale, le gouvernement provoque une explosion. Dès octobre 1995, des universités de province (Rouen, Nancy, Metz, Tours) se mettent en grève contre le manque de moyens. Le 10 octobre, une journée de grève de la fonction publique mobilise 55 % des agents : c’est un raz-de-marée. Sous la pression de la base, les syndicats (CGT, FO, FSU, CFDT) appellent à une nouvelle journée d’action le 14 novembre, encore plus massive. Les cheminots organisent des assemblées générales et se coordonnent localement, préparant la grève reconductible.
Les grévistes défient le gouvernement
Le 16 novembre, Juppé présente son plan, « droit dans ses bottes ». L’indignation est générale. Le 24 novembre, la grève reconductible démarre à la SNCF : dépôts, ateliers, triages sont bloqués. Rapidement, la RATP, EDF-GDF, la Poste, les hôpitaux et les enseignants rejoignent le mouvement. Le pays est paralysé. La population soutient massivement les grévistes ; la solidarité s’organise, les piétons et cyclistes envahissent les rues de Paris dans une ambiance presque festive. Le slogan « Tous ensemble ! Grève générale ! » devient l’étendard du mouvement. Le 25 novembre, une marche pour les droits des femmes rassemble des foules impressionnantes, signe que la grève dépasse le cadre syndical.
Juppé, face à la rue en ébullition, annonce qu’il démissionnera si les manifestations atteignent les 2 millions de personnes. Dès lors s’instaure la volonté de dépasser ce chiffre pour virer Juppé : « le Juppéthon ». Les revendications s’élargissent : maintien des 37,5 annuités pour tous, retrait du plan Juppé, voire chute du gouvernement. Juppé tente de temporiser mais finit par reculer sur l’essentiel : le démantèlement de la SNCF est suspendu et la réforme des retraites du public abandonnée. Le gouvernement ressort affaibli ; en 1997, Chirac dissout l’Assemblée, ouvrant la voie à la « gauche plurielle » de Jospin, qui poursuivra paradoxalement les privatisations.
L’auto-organisation comme moyen de la lutte
La force du mouvement de 1995 réside dans son auto-organisation démocratique : assemblées générales, comités de lutte interprofessionnels, coordination entre secteurs, comme le comité unitaire à Rouen. Les directions syndicales, notamment la CGT et FO, accompagnent plus qu’elles ne dirigent ; la base impulse le rythme. La CFDT nationale, plus conciliante, se marginalise, même si ses militants de terrain restent actifs. L’extrême gauche (LO, LCR) reste prudente, n’analysant pas pleinement la portée politique du mouvement, qui exprimait une remise en cause globale du capitalisme.
En décembre, malgré une mobilisation record (plus de deux millions de manifestants le 16), les directions syndicales appellent progressivement à la reprise. Mais l’essentiel est acquis : le plan Juppé est en grande partie retiré, et la grève laisse une empreinte durable. Elle sauve des milliers d’emplois, préserve les régimes de retraite et démontre la puissance collective des travailleurs. Pour toute une génération, 1995 constitue la preuve qu’une grève générale peut faire plier un gouvernement.
Cette victoire partielle marque la fin d’un cycle historique mais aussi l’ouverture d’une perspective : celle d’un mouvement social capable, par l’unité, la démocratie de base et la solidarité, de remettre en cause l’ordre capitaliste. L’expérience de 1995 reste un modèle de mobilisation et une leçon politique : seule l’auto-organisation des travailleurs et une orientation clairement anticapitaliste peuvent transformer la révolte en changement durable.
Article paru dans l’Égalité n°231, par Yann Venier
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