Tensions grandissantes entre les puissances occidentales et Moscou

rusland1-300x200
Le dimanche 3 mars, des protestations anti-guerre ont eu lieu en Russie, mais de nombreux manifestants ont été arrêtés, dont des camarades de la section russe du Comité pour une Internationale Ouvrière (photo)

Au moins 6.000 soldats russes ont pris position dans la péninsule de Crimée, officiellement république autonome de l’Ukraine. Le régime russe affirme que cette mesure a été prise à la demande du gouvernement de Crimée, désireux que la Russie intervienne pour défendre les droits des citoyens russes. Le Kremlin a explicitement indiqué qu’il envisageait d’envoyer des troupes dans d’autres régions d’Ukraine si les droits de l’ethnie russe étaient «lésés», même si Vladimir Poutine a déclaré que pareille mesure ne serait prise qu’en ‘‘dernier recours’’.

Le régime de Poutine s’est vu servir sur un plateau le prétexte pour son intervention : la décision hautement provocatrice du nouveau gouvernement de Kiev de diminuer les droits linguistiques de la population russe et d’autres minorités. Le parti d’extrême-droite antisémite Svoboda dispose de quatre postes ministériels au sein du nouveau gouvernement de Kiev, dont celui de vice-premier ministre. Un co-fondateur de Svoboda dirige également le Conseil national de sécurité et un de ses adjoints est à la tête du mouvement paramilitaire et fasciste Secteur Droit. Le ministère de l’Intérieur a affirmé que la milice instaurée par Secteur Droit allait être intégrée dans les forces de police. La Douma russe s’est précipitée pour décréter une nouvelle loi permettant de délivrer des passeports russes à tout membre de l’ethnie russe en Ukraine. Une loi a également été adoptée pour autoriser qu’une région d’un autre pays soit annexée à la Russie pour autant que le gouvernement de ce pays soit considéré comme ‘‘instable’’.

Ces mouvements militaires russes surviennent après l’éviction du président ukrainien Ianoukovitch et l’arrivée au pouvoir d’un régime pro-occidental. L’ingérence irresponsable des puissances occidentales en Ukraine et la riposte de la Russie ont créé la plus grave crise militaire en Europe depuis la guerre russo-géorgienne en 2008. Ces dernières semaines, un mouvement de masse s’est développé contre le régime corrompu et autoritaire de Ianoukovitch et des oligarques. Ce mouvement avait les traits d’une révolution, et la force des masses a conduit à la désintégration du régime de Ianoukovitch et de l’appareil d’Etat. Mais en l’absence d’organisations représentant les intérêts de la classe des travailleurs, le vide politique a été occupé par des politiciens réactionnaires de l’opposition, des nationalistes ukrainiens radicaux et par le parti d’extrême-droite Svoboda ainsi que par le groupe Secteur Droit, ce qui a suscité de profondes craintes au sein de l’ethnie russe.

L’hypocrisie US

Avec une hypocrisie à peine masquée, le Secrétaire d’État américain John Kerry a condamné ‘‘la violation de la souveraineté et de l’intégrité territoriale de l’Ukraine’’. Mais lorsque leurs intérêts impérialistes sont en jeu, les États-Unis n’hésitent pas à intervenir militairement et à violer des territoires ‘‘souverains’’. La superpuissance US a ainsi envahi et occupé l’Irak et l’Afghanistan, interventions au coût humain désastreux. Les puissances occidentales hurlent de rage au sujet de la prise de contrôle de la Crimée par les forces russes, mais les forces de l’OTAN ont occupé le Kosovo après avoir armé et soutenu militairement l’Armée de libération du Kosovo dans son conflit avec le régime serbe en 1999.

Face à des mouvements de troupes russes en Crimée, l’impérialisme occidental s’est trouvé militairement paralysé et divisé quant aux mesures à adopter. Les gouvernements européens résistent à la prise de sanctions graves. De nombreux pays européens comptent beaucoup sur le commerce avec la Russie (l’Allemagne reçoit par exemple 40% de son gaz et de son pétrole à partir de la Russie) et ils sont réticents à prendre des mesures qui aggraveraient les problèmes économique de l’Union Européenne. Une photographie d’un document secret détaillant les délibérations des autorités britanniques a révélé une proposition visant à ‘‘ne pas soutenir, pour l’instant, des sanctions commerciales (…) ou à fermer le centre financier de Londres aux Russes.’’

Le nouveau gouvernement de Kiev a déjà de graves problèmes à gérer qui auront une grande incidence, et pas uniquement concernant les droits des russophones, mais concernant ceux de l’entièreté des travailleurs en Ukraine. L’économie est au bord du gouffre et le gouvernement a annoncé d’importantes réductions des dépenses de l’État. Toute aide financière de l’ouest s’accompagne invariablement de sévères exigences en termes d’application de l’austérité.

Afin de mobiliser un soutien à son intervention militaire, des manifestations ont été organisées dans plusieurs villes russes, dont l’une forte de 20.000 à 30.000 personnes à Moscou. Le régime de Poutine instrumentalise les inquiétudes des Russes et promeut un patriotisme très cru alimenté par les sentiments anti-occidentaux qui vivent parmi la population. De nombreux Russes sont, bien entendu, véritablement préoccupés par le sort de l’ethnie russe en Ukraine étant donné le caractère totalement réactionnaire du nouveau régime ukrainien. Mais l’intervention militaire russe n’est pas motivée par le souci du bien-être des travailleurs russophones, de même que les manœuvres cyniques des puissances occidentales ne visent en rien à aider la classe des travailleurs de langue ukrainienne. Le Kremlin est gravement préoccupé par l’arrivée d’un régime pro-Otan et pro-occidental à Kiev, aux frontières occidentales de la Russie. Cela menace les intérêts géostratégiques et économiques vitaux de l’impérialisme russe.

L’intervention de Poutine en Crimée est à considérer dans le cadre des tentatives visant à restaurer le pouvoir et l’influence de l’élite russe qui, après l’effondrement de l’ancienne Union soviétique, s’est transformé en élite capitaliste. En réponse, l’Union européenne et les États-Unis menacent de prendre des sanctions économiques. Le régime ukrainien soutenu par l’Occident a quant à lui ordonné la mobilisation générale pour contrer l’intervention. Les travailleurs d’Ukraine auront cher à payer pour toute escalade du conflit.

Conflits ethniques et nationaux

Le Comité pour une Internationale Ouvrière (CIO) appelle à mettre fin à toute ingérence impérialiste et à toute intervention militaire en Ukraine. Ces forces réactionnaires menacent de pousser la crise jusqu’à la guerre, avec la terrible perspective de conflits ethniques et nationaux similaires ceux qui ont démembré la Yougoslavie dans le sang au cours des années 1990. Le CIO appelle à la constitution de comités anti-guerre en Russie et en Ukraine, y compris en Crimée. Des comités au fonctionnement démocratique peuvent organiser la défense inter-ethnique de n’importe quel groupe de la population menacé par l’extrême-droite ou le chauvinisme russe.
Il y a une semaine, un sondage d’opinion indiquait que 73% de la population russe était opposée à une intervention russe. Ce dimanche 3 mars, des manifestations anti-guerre ont eu lieu, mais des centaines de personnes ont été arrêtés par la police, y compris des membres du CIO. Tout comme cela avait été le cas en Ossétie du Sud avant la guerre avec la Géorgie, le régime russe a intensifié sa campagne pour la ‘‘défense’’ de l’ethnie russe en Ukraine. Cette rhétorique va très probablement pouvoir profiter d’un soutien temporaire en Russie tandis que la répression s’abattra sur les voix d’opposition.

Des dizaines de milliers de manifestants pro-russes ont défilé le week-end dernier dans la ville portuaire de Sébastopol, base de la flotte russe en mer Noire, ainsi qu’ailleurs en Crimée et ailleurs et à l’Est de l’Ukraine, notamment à Donetsk. Des groupes ‘‘d’autodéfense’’ apparemment soutenus par Moscou ont été instaurés et ils ont saisi les offices gouvernementaux. Les dirigeants locaux et régionaux ont été rapidement remplacés par d’autres, pro-russes. Un référendum sur la sécession de la Crimée est en préparation. La mobilisation de jusqu’à 130.000 troupes russes à la frontière avec l’Ukraine a rapidement suivi.

En l’absence d’un mouvement indépendant des travailleurs, le danger est réel que de nouvelles manifestations de masse à travers l’Ukraine adoptent de plus en plus un caractère ethnique.

Même si nombreux sont les travailleurs à l’Est du pays à craindre la politique du nouveau régime de Kiev et notamment la participation de l’extrême-droite, l’inquiétude est également grande face à l’intervention russe en Crimée et face au risque de guerre en Ukraine et dans la région. Beaucoup de villes de l’Est ont connu des mobilisations restreintes mais néanmoins importantes contre l’escalade du conflit. Les autorités russes affirment que les russophones fuient la région vers la Russie et que plus de 140.000 personnes ont déjà demandé asile en Russie.

La Crimée doit pouvoir si elle le désire faire usage de son droit à l’auto-détermination. Cette région a longtemps été un pion dans le jeu d’intrigues des élites dirigeantes des grandes puissances. En 1944, Staline a expulsé par la force la population tatare de la péninsule. En 1954, le dirigeant soviétique Khrouchtchev a remis la Crimée et ses habitants à l’Ukraine, sans qu’aucune consultation ne soit organisée. Les peuples de l’ex-Union soviétique n’ont pas non plus été consultés quand leurs dirigeants régionaux ont décidé de prendre le pouvoir au début des années 1990 au sein de nouvelles républiques.

Le CIO soutient le droit du peuple de Crimée de décider librement de son avenir, sans aucune coercition, que ce soit vers une autonomie accrue ou carrément jusqu’à l’indépendance. Une assemblée constituante démocratiquement organisée, représentant toutes les couches de la classe ouvrière, permettrait d’assurer qu’un référendum sur l’avenir de la Crimée soit supervisé par des comités démocratiquement élus de travailleurs. Les droits de 300.000 Tatars de la région et de toutes les autres minorités doivent également être pleinement garantis, y compris concernant leur langue et leur religion. Tout cela est impossible en restant au sein du système capitaliste avec sa pauvreté, son chômage et son exploitation, de même qu’en raison de la logique des élites concurrentes de ‘‘diviser pour régner’’. Seul un gouvernement des travailleurs pourra remplacer ce système capitaliste pourri par une société garante des intérêts des masses, y compris en termes de droits des nationalités et de protection des minorités, dans le cadre d’une fédération socialiste des Etats de la région.

Ce qui se déroule actuellement sous nos yeux ne conduira à aucune réelle autodétermination. La Crimée deviendra simplement un protectorat russe, à l’instar de l’Ossétie du Sud, ou, pire encore, une région occupée sous la poigne d’autorités dictatoriales, comme c’est le cas en Tchétchénie avec le gouvernement Kadyrov. L’expérience du Kosovo et de l’Ossétie du Sud illustrent que l’impérialisme, qu’il soit russe ou occidental, est incapable d’assurer la sécurité économique ou l’unité entre les différents groupes ethniques.

Il existe sans aucun doute une profonde atmosphère d’opposition au nouveau régime de Kiev parmi les Russes ethniques de Crimée. Mais le référendum proposé par le gouvernement pro-russe de Crimée, soutenu par les forces armées russes, ne prendra pas place dans une atmosphère de débat réellement libre, sans considération pour les autres groupes ethniques de Crimée, comme les 300.000 Tatars.

Les travailleurs ont bien plus en commun que de choses qui les séparent

La pauvreté, le chômage, l’exploitation et la dévaluation de la monnaie affectent tous les travailleurs. Les élites dirigeantes des deux pays sont prêtes à instrumentaliser les différences ethniques pour empêcher les travailleurs de s’unir au sein d’une lutte commune. Il semble maintenant qu’elles sont préparées à aller jusqu’à la guerre pour défendre leurs intérêts. Les travailleurs et les jeunes doivent s’unir à travers l’Ukraine pour riposter contre les attaques économiques et sociales qui vont arriver de la part du nouveau gouvernement. Cette lutte ne sera couronnée de succès que si la classe ouvrière est unie contre les oligarques et leurs amis d’extrême-droite actuellement dans le gouvernement de Kiev.

La question clé aujourd’hui est celle de la construction d’un parti de masse des travailleurs armé d’un programme socialiste et internationaliste et visant à la mise sous propriété publique des secteurs-clés de l’économie et des richesse des oligarques et hauts fonctionnaires, afin de garantir à chacun un bon niveau de vie, de bonnes pensions, des soins de santé, un enseignement de qualité et un logement, dans le cadre d’une économie socialiste démocratiquement planifiée.