Mort de Mandela, quelle situation en Afrique du sud? Interview exclusive de Sebei Mametlwe, un des porte-parole du WASP

GetAttachment.aspxLe lendemain de l’annonce de la mort de Nelson Mandela et après deux années de luttes intensives en Afrique du Sud, nous avons interviewé Sebei Mametlwe, un des porte-parole du Workerssocialistparty , parti initié après la grève des mineurs de Marikana par les comités indépendants des mineurs et le Democratic Socialist Movement DSM section sœur sud-africaine CWI/CIO.

Un jour après l’annonce de la mort de Nelson Mandela, que reste-t-il des vingt dernières années ?

En 1994, la fin de l’apartheid a été un changement historique important pour la classe ouvrière d’Afrique du Sud, dans sa lutte contre le racisme, l’impérialisme et le colonialisme, la victoire héroïque contre un régime d’apartheid d’une brutalité extrême.
Dès le départ, le mouvement ouvrier très conscient, avec son syndicat la COSATU et l’ANC, a lancé un ultimatum au premier président noir pour qu’il abolisse les lois passées par le régime de l’Apartheid. La classe ouvrière noire était très consciente que pour elle la fin de l’apartheid était nécessairement liée à la fin du capitalisme, apartheid et capitalisme étant perçus comme les deux faces d’une même pièce. Le poids de la classe ouvrière et sa conscience socialiste ont pris corps à travers la naissance d’abord illégalement puis officiellement de son syndicat la COSATU, sous l’impulsion des mineurs.
Dans le front ouvrier quand la COSATU est créée, les noirs n’avaient alors pas le droit de s’organiser. Très rapidement, la COSATU a rassemblé au- delà des travailleurs noirs une partie des ouvriers blancs qui avaient des droits syndicaux et qui ont dissout leur syndicat. La COSATU était très militante et très socialiste à tel point que la droite du syndicat se disait marxiste. Il était bien plus qu’un syndicat mais en fait l’expression politique indépendante de la classe, le parti des travailleurs. La grève des mineurs à la fin des années 80 a donné une grande expérience aux travailleurs qui ont compris qu’il faudrait une second tour dans la lutte les amenant à fonder la COSATU.
Ce n’est pas un hasard si les négociations se sont d’ailleurs ouvertes avec Mandela en prison à la même période. Quand Mandela est arrivé au pouvoir il y a eu de grands espoirs avec l’idée que la fin de l’apartheid signifierait la fin de l’exploitation capitaliste. Les 20 ans passées ont été celles de promesses non tenues et au-delà, d’un désabusement et très brutal face à l’ANC au pouvoir.

Quelle est la situation du pays aujourd’hui ?

40 % de la population active est au chômage. La pauvreté est gigantesque à tel point que plus de deux tiers des chômeurs sont des jeunes, le chômage est chronique et structurel. Les jeunes n’ont pas vu leur niveau de vie s’améliorer, 14 % des jeunes accédaient à l’université pendant le régime d’apartheid, ils sont 16 % aujourd’hui en majorité des blancs.
Le gouvernement de réconciliation a donné les droits basiques démocratiques, mais économiquement les capitalistes blancs continuent leur monopole et l’ont préservé en s’accommodant d’une classe moyenne noire très petite de l’ordre de 5 % qui sert de caution démocratique.
Avec l’ANC au pouvoir, la richesse énorme du pays est restée dans les mêmes mains et la société sud-Africaine est l’une des plus inégalitaires au monde. Fondamentalement les raisons de la révolte sont là. La richesse s’enfuit à grandes vitesses. Et l’élite noire est une image très limitée et artificielle qui n’a pas de racines dans la société. Une politique de quotas dans les managements des entreprises entretient l’illusion d’une ascension sociale des Noirs possible. Parmi les millionnaires plus récents une majorité est noire aujourd’hui. En effet, la corruption est massive dans la société et le gouvernement de l’ANC a mené des politiques anti ouvrières et libérales conséquentes.
Le fossé se creuse davantage entre les classes et cet écart entre les classes est encore raciste. Le gouvernement avec sa politique de réconciliation a entraîné une polarisation plus forte des classes. Ainsi on a vu la résurgence des syndicats blancs 20 ans après la fin de l’apartheid.

Une nouvelle ère s’est ouverte avec la grève des mineurs en 2012 et le massacre de Marikana, pourquoi ont-ils eu un rôle tellement central dans la société ?

Le massacre en août 2012 de Marikana qui a entraîné la mort de 34 mineurs tués par plusieurs tirs de la police du gouvernement de l’ANC a été décisif. Il y a eu un avant et un après Marikana. Dès le début de la révolte des mineurs, les classes dirigeantes ont compris que l’éruption était colossale et que même avec l’appui de la bureaucratie syndicale de la COSATU et de l’ANC, il serait difficile d’en terminer avec la révolte. La répression brutale et sanglante s’explique ainsi, de même que l’alliance des patrons, de l’ANC et la bureaucratie syndicale contre les travailleurs en grève.
En réalité, les luttes ne se sont jamais arrêtées en Afrique du Sud, grève sur les salaires, les conditions de vie …La lutte de Marikana et des autres mineurs a fait coïncider la conscience des travailleurs avec les conditions objectives.
Historiquement la COSATU a conservé ses traditions radicales continuant à se revendiquer marxiste, socialiste. Pour correspondre à la conscience il fallait être très à gauche. Il faut se rappeler que la chute du stalinisme a coïncidé en Afrique du Sud avec la montée des luttes. Les travailleurs ont donc été moins affectés par cet effondrement politique, même si les directions syndicales et de l’ANC ont dû être davantage percutées. Le mouvement ouvrier n’a pas été autant affecté. Il y a en plus une continuation des conditions de travail difficile et très réprimées depuis 1994 sans interruption.

Les années 2012 et 2013 ont été marquées par des luttes permanentes dans le pays et le lancement en mars 2013 d’un nouveau parti le WASP. (Workers And Socialist Party) Pourquoi avoir lancé le WASP ?

La politique de l’ANC pro capitaliste a été révélée peu à peu mais elle est apparue au grand jour avec le massacre de Marikana qui a été un catalyseur. La COSATU est historiquement affiliée à l’ANC mais dans la situation plus récente, elle a été traversée par la question d’avoir un nouveau parti sous la pression des travailleurs à la base.
En raison de l’intensité de la lutte des classes et de la conscience socialiste très présente parmi les travailleurs, aucun parti ne pouvait être à droite. C’est la raison pour laquelle la création du parti a été repoussée par la bureaucratie syndicale pourtant très sous pression. S’ils avaient à construire un parti, il serait trop radical et ils ne pourraient pas limiter son devenir à un parti réformiste. Cette idée du socialisme et du marxisme a survécu car la conscience de classe est restée très haute. Elle est restée populaire et crédible. Aujourd’hui, la question de savoir ce que veut vraiment dire être marxiste et expliquer ce qu’est le socialisme est cruciale. C’est le sens de la création du WASP, un parti militant de la classe ouvrière consciente.

Quelles sont les perspectives pour 2014 ?

La colère a bouilli et l’explosion a eu lieu l’an dernier. La bureaucratie de la COSATU a été sur les dents n’hésitant pas à démettre certains syndicats qui avaient posé la question de se désaffilier de l’ANC. Les locaux de ces syndicats ont même été fermés.
Nous savions que la période ouverte était cruciale et qu’il fallait permettre la ré-accession de la classe ouvrière à une expression indépendante. Toutes les classes ont compris à ce moment l’enjeu.
Nous avons décidé de lancer le WASP pour créer un point de référence concret pour les travailleurs, une traduction politique de la conscience. La COSATU est divisée sur la question, contrainte de s’engager. Le WASP est devenu incontournable car il a été lancé l’an dernier et la COSATU ne peut pas justifier de faire autre chose ou alors une initiative qui va dans le sens du WASP et d’une alliance plus large.
L’an prochain, les élections nationales et provinciales auront lieu, le WASP aura sa conférence nationale probablement en février prochain. Ce sera une opportunité pour les travailleurs de généraliser les intérêts, de tourner la lutte sur la scène politique pour être une alternative aux partis de la classe dirigeante. Nous n’avons pas d’illusions démesurées mais la volonté d’en faire une vraie plate-forme qui reflète la vitalité de la classe avec tous les éléments qui la composent. Les luttes ne sont d’ailleurs pas finies et après trois mois de grèves, les mineurs sont entrés 3-4 jours en action ensuite et ils viennent de voter une nouvelle grève sur les salaires.

Sebei Mametlwe, interviewé par Leïla Messaoudi, Gauche révolutionnaire, France.

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