Effondrement de Daesh et grandes manoeuvres pour dépecer la région

34d2df0be2a6ba84ee753af644527La situation, déjà très complexe dans la région, a vu les anciennes alliances reprendre le dessus. Cette guerre, très compliquée à comprendre tant son déroulement et ses nombreux retournements d’alliance sont complexes reste cyniquement très simple pour ce qui est des enjeux. Il s’agit du contrôle d’une région à la fois riche et zone de passage des gazoducs et oléoducs d’une part, et de la tentative de certains peuples (principalement les Kurdes et une partie des rebelles syriens) de se débarrasser des régimes ou des forces qui les oppriment et détruisent leurs droits et leurs conditions de vie. Mais à la différence des guerres précédentes (principalement les deux guerres du Golfe en 1991 et 2003), les impérialistes (États-Unis et Europe) sont beaucoup moins puissants et leurs alliés traditionnels dans la région jouent désormais leur propre carte.

Article tiré de l’Egalité #179 (septembre-octobre 2016)

Tous ont des pions intégristes

C’est ainsi que lors de la révolte contre le régime dictatorial syrien, la Turquie et l’Arabie Saoudite (et aussi le Qatar) ont pu tenter d’aider des forces qui rouleraient pour elles. Daesh s’est ainsi retrouvé aidé par le régime d’Erdogan qui, de plus, a laissé le trafic de pétrole transiter par la frontière turque. L’Arabie Saoudite ou le Qatar ont quant à eux pu aider autant Daesh que le Front Al Nosra (la branche d’Al Qaïda dans la région). Des pays comme la France, les USA ou la Grande Bretagne hésitaient entre Al Nosra et une « opposition syrienne » très divisée, et elle aussi, dominée par des courants fondamentalistes, appuyant par ailleurs un gouvernement irakien complètement corrompu qui continuait ses exactions contre la population.

Il a donc été très facile à Daesh de s’imposer comme la principale force et de se proclamer « état islamique » tout en n’étant en fait qu’une organisation criminelle ayant le monopole sur tous les trafics de la région, y compris celui des êtres humains.

Victoires contre Daesh

Ce n’est que la résistance des Kurdes et de leurs milices des YPG/YPJ qui va stopper Daesh à Kobané et montrer de victoire en victoire que Daesh ne repose sur rien de solide. Mais ces victoires ne marquent pas la fin du drame régional. D’une part, la direction politique des YPG, le Parti de l’Unité Démocratique (PYD), malgré un programme politique et social très progressiste (et même révolutionnaire en comparaison avec les régimes de la région) n’a rien retenu du passé et a commencé à croire en l’aide que pouvaient apporter les impérialistes US ou français, ou encore dans celle de la Russie de Poutine.

Ceci a amené à amoindrir le programme révolutionnaire du Rojava, le Kurdistan syrien, et écarte la menace pour les régimes turc, syrien ou irakien. Si la « révolution de Kobané » s’inscrit finalement dans le jeu des super pouvoirs, qu’est ce que les peuples de la région auraient à y gagner ?

Même si sur le plan militaire il n’y a aucun problème politique à accepter une aide technique dans ce genre de situation face à un régime aussi réactionnaire que Daesh, cela ne peut se faire qu’en gardant la plus totale indépendance politique. Car les capitalistes n’ont que faire des intérêts des peuples, notamment du peuple kurde qu’ils ont soigneusement ignoré dans le partage du monde au 20ème siècle, préférant soutenir ou créer des régimes à leur botte : Turquie, Syrie, Iran ou Irak.

C’est ce qui se reproduit actuellement : après des tensions, les puissances régionales semblent retrouver leurs anciens accords. Turquie et Russie sont à nouveau « amies », et tout le monde semble décidé à ne plus soutenir Daesh. La Turquie a mis sur pieds une force militaire turkmène en Syrie et a fait pénétrer une partie de son armée pour empêcher la création d’un Kurdistan syrien unifié et prendre la ville de Jarablous, proche de sa frontière, et séparant ainsi les cantons kurdes d’Afrin à l’ouest et de Kobané à l’est. Les autorités turques tentent également de construire un mur à la frontière située au nord de Kobané, pour empêcher le ravitaillement de cette ville meurtrie par les destructions faites par Daesh.

Les USA, la France et la Russie n’ont protestéque pour la forme. Ils ne disent d’ailleurs rien sur l’effroyable guerre que continue de mener le régime d’Erdogan contre les Kurdes de Turquie qui a fait des milliers de morts en moins de deux ans et a vu la destruction de quartiers entiers dans les villes de Cizre ou Diyarbakir.

Erdogan, un dictateur agité et docile
Erdogan a même pu faire lever l’immunité parlementaire des députés du HDP (parti démocratique des peuples, seule force d’opposition non nationaliste au régime d’Erdogan) et multiplier les arrestations de milliers de personnes après le coup d’État manqué du 15 juillet par une partie de l’armée. Aucun gouvernement impérialiste ne proteste réellement.

Il faut dire que même s’il joue son propre jeu en ayant pris pieds en Syrie, Erdogan donne le gage aux impérialistes d’être une force stable dans la région : relations renouées avec Israël, assurance de ne plus vouloir la chute du régime syrien…

Autant de choses que tant la Russie, que l’Europe et les USA attendent des puissances régionales. Il est encore temps pour les YPG/YPJ et leurs alliés, les forces syriennes démocratiques, de remettre en avant le programme d’égalité sociale qui a fait la force de la résistance de Kobané et de son soutien de part le monde.

Car c’est d’un programme de libération sociale et démocratique que les peuples de la région ont besoin, d’Istanbul à Bagdad. L’avertissement est clair : Poutine, Obama, Hollande… laisseront tous tomber les «Kurdes» dès qu’il s’agira de rediscuter rééquilibrage des rapports de force et ils ont commencé à le faire.

Par Alex Rouillard