École d’été du CIO. Exemples historiques du potentiel de la lutte de masse

L’école d’été annuelle de notre in28479449536_3e27fc9e0e_zternationale, le Comité pour une Internationale Ouvrière, comprend à chacune de ses éditions un meeting central qui aide à souligner quelques lignes centrales dans la foule des thèmes abordés au cours de ces 6 jours de discussion. Cette année, beaucoup d’attention a été accordée à l’instabilité mondiale mais aussi à quelques événements historiques d’importances. Cette année est en effet le centenaire des «Pâques Sanglantes», le soulèvement de Dublin de 1916. Mais nous fêtons également les 80 ans des développements révolutionnaires survenus en Espagne mais aussi en France en 1936. Avec ce meeting, le CIO tenait à souligner l’importance pour les travailleurs de disposer d’une politique indépendante des partis bourgeois. Notre camarade Geert Cool nous livre un rapport de cette discussion.

80 ans après la révolution espagnole

La première oratrice était Viki, une camarade de notre section espagnole. Elle est revenue sur quelques grandes lignes de la situation révolutionnaire qu’a connue l’Espagne dans les années 1930, les années 1936 et 1937 en constituant le point culminant. En 1931, les anti-monarchistes avaient remporté les élections et obtenu l’abdication du roi. Mais le gouvernement républicain n’a pas répondu aux attentes concernant la réforme agraire et de meilleures conditions de vie. Cela a conduit à une lutte radicale, avec notamment la Commune Asturienne et des mouvements de grève qui ont secoué toute l’Espagne. En 1936, les élections apportent le Front populaire au pouvoir. Les masses n’attendent pas les décisions d’en haut pour obtenir des changements, les travailleurs et les pauvres s’y mettent eux-mêmes. C’est ainsi que des ouvriers se sont mis à occuper les usines. Quand il est devenu clair que le Front populaire refusait d’armer les ouvriers et les paysans pauvres contre la menace fasciste, ils se sont armés eux-mêmes.

Le Front populaire était une initiative unitaire initiée par le sommet du Parti communiste, des sociaux-démocrates et de diverses forces libérales. Dans le cas de l’Espagne, ces dernières ne représentaient pas les «éléments progressistes» de la bourgeoisie, mais plutôt l’ombre de la bourgeoisie. Cette unité fut rendu possible par le tournant opéré par l’Internationale communiste stalinisée (la IIIe Internationale) qui avait mis fin à son cours ultra-gauche qui lui faisait s’opposer à tous les autres, y compris à la base de masse des partis sociaux-démocrates, pour adopter une approche contraire. Il fallait désormais rechercher l’unité avec les dirigeants non seulement de la social-démocratie, mais aussi avec toutes sortes de forces libérales. Selon le parti Communiste stalinisé, il s’agissait de la première phase de la lutte : tout d’abord vaincre le fascisme. Une deuxième phase de la lutte mettrait à l’ordre du jour la combat pour le socialisme. Cela a dans les faits signifié que le Front Populaire s’est retourné contre les aspirations révolutionnaires de la base de la société.

La soulèvement de Franco et des fascistes contre les masses révolutionnaires a finalement pu l’emporter, mais il a fallu des années. Sans la lutte héroïque des travailleurs et leur soutien international, Franco aurait probablement immédiatement pris le pouvoir. Les travailleurs ont développé leurs propres milices et même organisé leurs propres soins de santé. Barcelone a été reprise en 24 heures par ces milices agissant comme une véritable armée de libération sociale, ce qui a conduit à une situation de double pouvoir. La classe ouvrière avait le potentiel d’étendre et de consolider cette prise de pouvoir, mais elle s’est heurtée aux autorités du Front Populaire qui voulaient rester dans les limites du capitalisme. À cette fin, le gouvernement a brisé les milices ouvrières et a repris le contrôle de certains endroits stratégiques contre les travailleurs. A ce titre, la conquête sanglante de la centrale téléphonique de Barcelone en mai 1937 a constitué un point tournant. La centrale était gérée par les travailleurs, sous une forte influence du syndicat anarchiste CNT.

La situation est évidemment différente aujourd’hui. Mais nous devons tirer la leçon que les alliances et coalitions avec des partis capitalistes sont utilisés pour défendre les intérêts de la bourgeoisie et non pas ceux de la classe ouvrière. Des coalitions de forces de gauche avec des partis austéritaires pour au final appliquer elles-mêmes des économies budgétaires sont désastreuses pour les conditions de vie de la majorité de la population, et elles ne peuvent pas stopper l’extrême droite, au contraire. Mais il ressort de l’expérience espagnole de 1936 que la classe ouvrière dispose d’une puissance tout bonnement phénoménale. Pour peu qu’elle soit organisée et qu’elle développe sa propre alternative sur cette base, rien ne peut lui résister. Cela vaut toujours à l’époque actuelle.

100 ans après les «Pâques Sanglantes»

Le deuxième orateur était Paul Murphy, membre du Parlement irlandais et l’un des principaux dirigeants de la campagne contre la taxe sur l’eau. Des commentateurs de presse irlandais l’ont appelé le «Boris Johnson irlandais» à cause de son opposition à l’Europe du capital. La comparaison est bien entendu parfaitement erronée : il y a peu de choses en commun entre un populiste réactionnaire de Londres et un défenseur intransigeant des intérêts de la classe ouvrière.

Le soulèvement irlandais de Pâques 1916 était une révolte contre l’impérialisme britannique. Mais selon le dirigeant socialiste James Connolly, il pouvait également mettre le feu à la mèche d’une révolte européenne contre la guerre pour renverser la classe dirigeante brutale. La justesse de cette perspective ne deviendra apparente qu’un an plus tard, lorsque la Révolution russe a conduit à une vague révolutionnaire dans toute l’Europe. En Irlande aussi le soutien fut énorme pour la Révolution russe, avec des réunions de masse, des occupations d’usines et une période révolutionnaire qui allait durer jusqu’en 1923.

Malheureusement, le soulèvement de Pâques de 1916 était prématuré et la base sur laquelle il reposait trop limitée pour obtenir une victoire. Ses différents dirigeants ont été exécutés, parmi lesquels James Connolly. La classe ouvrière s’est donc retrouvée sans direction lors de la période révolutionnaire qui a suivi 1917. Connolly et ses associés étaient particulièrement impatients. Ils n’ont pas adopté de position politiquement indépendante de la classe ouvrière, mais ont au contraire soutenu une déclaration nationaliste bourgeoise. Connolly, qui était président du plus grand syndicat, n’a pas appelé à la grève générale parce qu’il savait qu’il serait isolé. Sa réaction peut se comprendre en raison du désespoir et de la désillusion consécutive à la trahison de la direction de la Deuxième Internationale qui avait décidé de rejoindre la barbarie de la guerre mondiale au lieu de s’y opposer.

Cela confirme par la négative tout l’intérêt pour un parti révolutionnaire de disposer d’une direction collective ainsi que la nécessité de l’internationalisme révolutionnaire. Au sein de la Deuxième Internationale, Connolly se tenait aux côtés de Lénine & Co mais, après 1914, il n’a plus eu aucun lien avec ses alliés dans d’autres pays. Il appartenait toutefois à cette petite minorité de dirigeants de gauche qui ne se sont pas compromis dans la trahison et se sont opposés à la guerre, à l’instar d’autres dirigeants tels que Lénine, Trotsky, Luxembourg, Liebknecht et l’Ecossais John MacLean. Connolly s’était précédemment prononcé contre l’adhésion de socialistes à des gouvernements capitalistes. Lors du congrès de la IIe Internationale de 1900, une discussion avait éclaté au sujet de la participation des sociaux-démocrates français au gouvernement de 1898. Pour Kautsky, il s’agissait d’une question de tactique et non de principe. Connolly lui a répondu que les masses révolutionnaires ne devait pas accepter de «fonctions gouvernementales qu’ils n’avaient pas obtenues sur base de leurs propres forces.»

Cette indépendance de la classe ouvrière est une question fondamentale pour la victoire des mouvements sociaux. C’est ce que nous avons encore pu constater dans le combat contre la taxe qui visait à en finir avec la gratuité de l’eau en Irlande. Tandis que d’autres ont recherché à conclure une unité par le sommet en essayant d’attirer des parties de l’establishment, nous avons défendu des méthodes radicales reposant sur la base en appelant à une campagne de non-paiement de la taxe dirigée par des activistes locaux. Avec actuellement 73% de la population ayant refusé de payer la dernière facture, il est clair que cet appel et l’organisation du boycott de masse a été d’une grande importance. La suspension de la taxe d’eau (survenue après la tenue des dernières élections anticipées) est une défaite majeure pour le gouvernement et une source de confiance pour la classe ouvrière. Cela instaure l’idée que des victoires sont possibles. Cela sera utile autour d’autres thèmes, comme au sujet du droit à l’avortement, toujours illégal en Irlande.

Une commentateur bourgeois a écrit dans un journal à diffusion nationale qu’une «petite clique de trotskystes clique qui défend ouvertement le renversement du système politique réussit à déterminer l’agenda politique.» Pour la classe dirigeante, notre position est en effet effrayante. D’où la répression que subissent les militants qui s’opposent à la taxe sur l’eau. En avril prochain se déroulera un procès contre les activistes de Jobstown. Ces militants, parmi lesquels Paul Murphy lui-même et deux conseillers locaux de l’Anti-Austerity Alliance, sont accusés de «séquestration» par l’ancienne vice-Premier ministre Joan Burton dont la voiture a été bloquée pendant deux heures à cause d’une manifestation spontanée. Les arrestations, survenues un mois après notre victoire lors d’une élection parlementaire intérimaire, étaient une manière pour l’establishment d’envoyer un signal clair : «n’allez pas plus loin!» Le procès d’avril prochain prévoit des peines allant jusqu’à l’emprisonnement à vie ! Nous mènerons campagne avec acharnement, tant en Irlande qu’au niveau international, contre cette répression politique. Comme Connolly l’avait fait remarquer : «Nous devons mettre en garde la classe dirigeante: vous pouvez nous emprisonner ou nous assassiner. Mais à partir de prison ou du cimetière, nous continuerons à construire la force par laquelle vous serez assommés. »

80 ans après la grève générale de 1936 en France

En 1936, la France a été agitée, dans une période de révolution et de contre-révolution, comme l’a noté Leila, de la Gauche Révolutionnaire. France avait été plus tardivement affecté par la crise mais elle a connu une explosion du nombre de chômeurs. Jusqu’à un million de Français sont devenus sans emploi. Cela a conduit à de grandes marches de chômeurs.

En février 1934, des milices fascistes ont tenté de prendre le pouvoir avec des groupes de droite. Ils ont marché sur le parlement. La journée fut marquée par des émeutes et des morts. Les contre-révolutionnaires ont éveillé le mouvement ouvrier et un mouvement antifasciste s’est développé. L’appel à une réponse forte contre la menace fasciste a été utilisé pour constituer un Front Populaire entre les dirigeants sociaux-démocrates et ceux du Parti communiste avec le Parti radical, un parti bourgeois.

Le Front Populaire n’a pas cherché à renforcer la lutte révolutionnaire pour un autre système, l’objectif était de sauver le système capitaliste et l’Etat bourgeois. Pourtant, de nombreux travailleurs se sont sentis encouragés par le Front Populaire et par le gouvernement du Front Populaire. Plus d’actions contre les patrons ont eu lieu. En mai 1936, un grand mouvement de grève a commencé au Havre après le licenciement de deux travailleurs. Ce mouvement de grève a été caractérisé par des actions de masse, y compris à l’initiative de travailleurs peu rémunérés. Les serveurs des cafés se sont par exemples mis en grève.

Le Premier ministre Léon Blum a reconnu que des concessions étaient nécessaires, d’autant plus que l’on craignait que la grève devienne un véritable mouvement révolutionnaire sur lequel les directions syndicales n’auraient plus de prise. L’élite dirigeante a pris peur parce qu’elle a pu voir de ses yeux la puissance du mouvement ouvrier. Les directions des partis communiste et sociaux-démocrates ont cherché à entraver la poursuite du mouvement à partir de leurs positions au gouvernement. Le Parti communiste a défendu que la révolution n’était pas à l’ordre du jour parce qu’il fallait tout d’abord combattre le fascisme.

La menace de la révolution a conduit à des concessions importantes telles que les congés payés, la semaine de travail des 40 heures et la reconnaissance des droits syndicaux. Le mouvement fut également une source d’inspiration pour d’autres mouvements, y compris le mouvement de grève générale révolutionnaire en Belgique en mai-juin 1936. Bien plus était possible à obtenir à partir du mouvement de grèves de 1936, mais il aurait alors fallu une direction révolutionnaire capable de mener le combat pour arracher le pouvoir des mains de l’élite capitaliste.

Apprendre des leçons du passé pour vaincre à l’avenir !

Le meeting a été clôturé par Peter Taaffe, du Secrétariat international du Comité pour une Internationale Ouvrière. Il a souligné l’importance d’étudier les mouvements du passé à tous les niveaux de notre organisation afin de renforcer le cadre de nos partis afin d’être en mesure de gagner la bataille. Dans une période turbulente telle qu’aujourd’hui, comme l’a encore illustré le coup d’Etat manqué en Turquie, d’autres développements sociaux importants ne sont pas inimaginables.

Aujourd’hui, la conscience, y compris parmi l’avant-garde du mouvement ouvrier, a considérablement reculé par rapport aux années 1930. A ce moment-là, l’idée de former une coalition avec des partis bourgeois était immédiatement assimilée à une trahison. La situation est différente aujourd’hui. Beaucoup peuvent considérer qu’une telle coalition serait un pas en avant, un moyen d’instaurer des politiques progressistes au moins partiellement. Nous avons besoin de regarder ces expériences historiques dans leur contexte, mais aussi d’en tirer les leçons pour aujourd’hui.

En France et en Espagne, nous avons vu en 1936 que les graines de la révolution étaient présentes. Trotsky avait fait remarqué qu’en Espagne il n’y avait pas eu une, mais au moins dix opportunités révolutionnaires. Ce potentiel n’a pas été exploité, à cause de la tactique du Front Populaire et d’autres facteurs. Selon Trotsky, le Front Populaire a agit comme un briseur de grève pour stopper la radicalisation du mouvement. Le caractère inachevé des révolutions de 1936 a fait dévier l’Histoire. Le massacre de la seconde guerre mondiale aurait pu être évité en cas de victoire de la révolution en France et en Espagne.

Une des principales raisons de ce caractère inachevé a été l’imposition d’un Front Populaire par en haut. La prise du pouvoir par les nazis en Allemagne fut un choc pour le mouvement ouvrier et a conduit à une aspiration unitaire. Trotsky a réitéré son appel au front unique: marcher séparément, frapper ensemble. En d’autres termes : unité d’action, tout en maintenant ses propres programmes et propositions. Au lieu de cela, le Parti communiste a préconisé une caricature d’unité, y compris avec les radicaux français envers lesquels les masses n’avaient à juste titre aucune confiance.

Les mouvements de 1936 ont été stimulés par le choc de l’arrivée au pouvoir du régime nazi en Allemagne, mais aussi par le contexte économique. Ainsi, les salaires des travailleurs français avaient diminué de 30% entre 1931 et 1936. En 1936, les partis du Front populaire recueillaient 5,5 millions de voix contre 4,5 millions pour la droite. Les radicaux avaient perdu un demi-million de voix, tandis que le Parti communiste avait doublé son résultat.

Le mouvement de masse en France était énorme: 500.000 personnes avaient participé à un rassemblement pour commémorer la Commune de Paris. Le mouvement de grève de mai et juin a impliqué 3 millions de travailleurs, soit bien plus que le nombre de syndiqués. Le Premier ministre Léon Blum s’est retrouvé dans une position difficile. Il a fait remarqué qu’il craignait être dans la même position que Kerenski en Russie et que la situation conduirait à l’arrivée d’un Lénine français.

Ce mouvement a eu un impact international, jusqu’en Allemagne. Tout d’abord, la presse allemande a parlé du «chaos» des grèves françaises. Mais quand les travailleurs ont commencé à prendre confiance et à se sentir enthousiasmés, toutes les nouvelles venues de France ont été censurées. Un mois plus tard à peine, la question du pouvoir était posée en Espagne. Une victoire dans ces deux pays aurait pu poser les bases d’une fédération socialiste, ce qui aurait eu un impact dans toute l’Europe et au-delà.

Il était alors possible aux travailleurs de prendre le pouvoir de manière relativement pacifique. Si cela n’a pas été le cas, cela est dû à l’attitude de la direction du mouvement ouvrier. Le Parti communiste a fait remarquer qu’il «fallait savoir finir une grève», slogan qui sera répété par le PCF en 1968. Pourtant, des concessions importantes ont été arrachées, même si celles-ci ont été rapidement minées par l’inflation. En 1938, la social-démocratie a disparu du gouvernement.

Les dirigeants du mouvement ouvrier ont à peine tiré les leçons de ces évènements. Au Chili, en 1973, les mêmes erreurs ont été répétées avec des conséquences sanglantes. Il est nécessaire d’être intransigeant en termes de coalitions et de refus d’appliquer la politique bourgeoise. Les coalitions avec les partis bourgeois sont similaires à la relation qu’un cavalier entretient avec son cheval, mais c’est la bourgeoisie qui est en selle et tient les rênes en mains. Mais il faut bien entendu toujours expliquer cette attitude de façon tactique. Il suffit de penser à la façon dont Lénine avait articulé ses slogans contre le gouvernement provisoire en Russie après février 1917: «A bas les 10 ministres capitalistes», plutôt que «A bas le gouvernement provisoire.»

Dans la nouvelle période d’instabilité mondiale et de recherche d’alternatives qui nous fait face, le mouvement ouvrier a d’énormes défis à relever. Fort de l’expérience du passé récent et un peu plus lointain, nous pouvons relever ces défis et développer dans ce cadre des tactiques combatives ainsi qu’un programme avec lequel nous pouvons vaincre.