[INTERVIEW] Grèce : Que défend “l’Unité Populaire”?

UnitepopulaireAprès que 43 députés de SYRIZA (sur 149) aient refusé de soutenir le troisième mémorandum (un nouvel ensemble de mesures d’austérité) à la mi-août, Alexis Tsipras a démissionné de son poste de premier ministre. Son idée était de renforcer son soutien avec de nouvelles élections.

Interview d’Andros Payiatsos, (Xekinima, section grecque du Comité pour une Internationale Ouvrière), par Lucy Redler, (SAV, section allemande du Comité pour une Internationale Ouvrière).

Une nouvelle force de gauche lancée à la suite de la trahison de Tsipras

De nombreux Grecs soutiennent encore le gouvernement, les nouvelles mesures antisociales incluses dans le mémorandum ne devant faire ressentir leurs effets qu’à l’automne. Directement après cette annonce, 25 députés, membres de la «Plate-forme de gauche» du parti pour la plupart, ont rompu avec SYRIZA pour former «l’Unité Populaire» (Laiki Enotita). Cette nouvelle force est soutenue par nos camarades grecs de Xekinima. L’entretien suivant donne la parole à Andros Payiatsos, secrétaire général de Xekinima.

Que défend “Unité Populaire”?

«l’Unité Populaire» est une réflexion de l’état actuel de la conscience de classe qui évolue rapidement en Grèce. Au cours de ces trois ou quatre dernières années, le soutien à SYRIZA a massivement augmenté : de 3-4% à 36% aux élections de janvier 2015. Après la trahison de la direction de SYRIZA le 12 juillet, une scission est apparue au sein du parti. De nombreux membres de la base du parti lui ont tourné le dos. «L’Unité Populaire» est une nouvelle formation créée à la gauche de SYRIZA.

Son message central est le rejet de de la trahison de SYRIZA envers son programme électoral et ses principes de gauche afin de rester dans la zone euro. Cette question de la position à adopter à l’égard de la zone euro est une question centrale pour «l’Unité Populaire» et sa position est très claire: nous avons besoin d’un programme de défense des intérêts des travailleurs. Si cela doit conduire à sortir de l’euro, alors nous devons le faire sans hésiter. «l’Unité populaire» défend dont une rupture avec la zone euro. Il ne s’agit cependant pas d’une formation nationaliste ralliée autour d’un programme de «retour à la drachme».

Le programme actuellement discuté par «l’Unité Populaire» est un programme anticapitaliste. Il appelle à l’annulation de la dette, à la nationalisation du système bancaire et à la prise sous propriété publique des secteurs-clés de l’économie. Il soulève également la question du contrôle et de la gestion de l’économie et de la société par les travailleurs et reprend l’idée d’une économie planifiée afin de développer celle-ci avec un accent particulier sur l’agriculture, les matières premières et l’industrie. Au lieu d’orienter l’économie vers les services et, surtout, le tourisme, comme ce fut le cas par le passé, «l’Unité populaire» veut se concentrer davantage sur la production de produits réels.

Quelles organisations se trouvent parmi les fondateurs?

«L’Unité Populaire» a à l’origine été créé par les forces regroupées autour de la «Plate-forme de gauche» (de SYRIZA); de quatre autres forces issues de «l’Initiative des 1000» dont Xekinima, de deux groupes originaires du KKE (le Parti communiste grec), de la «Gauche Socialiste – DIKKI» et de trois groupes issus d’Antarysa bien que ne représentant actuellement pas une majorité au sein d’Antarsya.

Selon l’état actuel des discussions, il ressort déjà nettement que son programme sera beaucoup plus progressiste et plus clair que les programmes précédents de SYRIZA. Il n’y a pas d’ambigüité ou d’éléments sujets à des interprétations différentes, contrairement aux programmes adoptés par SYRIZA dans le passé qui essayaient de trouver un compromis entre les ailes droite et gauche du parti pour un résultat devant satisfaire «tous les goûts ».

Il est également clair que les revendications développées dans ce programme ne pourront pas être satisfaites au sein de la zone euro. Le retour à une monnaie nationale ne constitue pas une fin en soi, mais est considéré comme un moyen nécessaire pour sortir l’économie de la crise et la mettre ainsi sur le chemin de la croissance tout en l’orientant vers les intérêts de la classe des travailleurs.

Quel est le potentiel de «l’Unité Populaire» aux élections de septembre?

Les sondages d’opinion suggèrent qu’il s’agit d’une force importante capable d’atteindre les 7 à 8%. Il n’y a cependant aucune garantie que cela soit le cas, mais cela reflète approximativement son potentiel actuel, cela pourrait même être un pourcentage plus élevé. Ce soutien fait écho à celui de SYRIZA, qui a baissé de façon similaire. Il est également important de noter que beaucoup de gens n’iront pas voter. Il est probable que les abstentionnistes constituent le plus grand «parti», en raison de la démoralisation massive qui a pris place.

“L’Unité Populaire” endommage-t-elle les perspectives électorales d’Aube Dorée ?

Je pense que oui. Il est très important que «l’Unité Populaire» se soit développé pour prendre part aux élections. Si cela ne s’était pas produit, Aube Dorée aurait certainement profité de de la trahison de SYRIZA. Nous nous attendons à ce qu’Aube Dorée augmente son soutien électoral avec cette élection, mais cette hausse aurait été beaucoup plus grande si «l’Unité Populaire » n’avait pas été lancé.

Il y aura-t-il des sections locales de «l’Unité Populaire»?

Pour le moment, il n’y a pas de sections locales. «Unité populaire» est une alliance de différentes organisations sans section, ni adhésion individuelle, ni structures propres. Ceci est partiellement dû au fait qu’il s’agit d’une très jeune formation. Xekinima défend la création de sections locales et le lancement d’un appel ouvert aux travailleurs et aux jeunes pour rejoindre l’initiative sur base d’adhésions individuelles, afin que le plus de personnes possible puissent y participer. Inutile de dire que la construction d’un régime interne et de structures démocratiques est cruciale pour l’avenir de «l’Unité Populaire».

Xekinima participe à cette formation, mais aussi à «l’initiative du 17 juillet». Pourquoi ?

C’est vrai. «L’initiative du 17 juillet» a vu le jour le mois dernier, avant la fondation de «l’Unité Populaire» et s’est développée comme un appel à la création d’une nouvelle force de gauche. Sur base de cet appel et d’un programme très radical, «l’initiative du 17 juillet» a attiré un certain nombre de forces différentes. Un mois plus tard environ, «l’Unité Populaire» a été constituée, mais la plupart des forces impliquées dans «l’initiative du 17 juillet» ne sont pas prêtes à rejoindre. Elles proviennent d’horizons politiques différents, sont prêtes à électoralement soutenir «l’Unité Populaire», mais pas à rejoindre.

Actuellement, SYRIZA connait des démissions en masse, mais tous ces gens ne rejoignent pas «l’Unité Populaire». Le noyau de «l’Unité Populaire» se compose de la Plate-forme de gauche de SYRIZA, qui puise ses origines dans le Parti communiste. La gauche en Grèce est large, et tout le monde ne s’identifie pas à ce courant de la gauche grecque, qui n’a pas une forte tradition de démocratie interne ou d’implication dans les mouvements sociaux.

Deux autres facteurs expliquent pourquoi certains de ceux qui quittent SYRIZA hésitent à rejoindre «l’Unité Populaire». Il y a tout d’abord une démoralisation massive et une perte générale de confiance envers les formations politiques à la suite de la trahison de Tsipras. Ensuite, certains des principaux membres de «l’Unité Populaire» étaient ministres dans le gouvernement SYRIZA jusqu’à la création de «l’Unité Populaire» et cela suscite des doutes dans l’esprit de certains militants.

Xekinima participe à «l’Unité Populaire» et fait des suggestions sur la manière dont ce qui jusqu’à présent n’a été qu’une alliance de différentes organisations peut être structuré de manière démocratique, sans être dominé par un groupe, ainsi que sur la manière dont des discussions libres et démocratiques doivent se produire, de même que la possibilité de rejoindre individuellement l’initiative doit être concrétisée. Ce sont d’importantes conditions pour assurer le succès de «l’Unité Populaire». La nouvelle formation doit s’orienter vers les mouvements de la classe des travailleurs afin de les soutenir et d’aider à les développer sur base de son programme. Nous allons maintenir Xekinima en tant qu’organisation révolutionnaire et œuvrer au développement d’une force révolutionnaire de masse à partir de «l’Unité Populaire».

En Allemagne, des représentants de DIE LINKE (Parti de gauche) tels que Gysi, Riexinger et Kipping se sont rangés du côté de Tsipras. Quelle est la tâche de partis comme Die Linke à l’échelle internationale?

Dans ces circonstances, soutenir Tsipras est une terrible erreur. Il a changé de camp. En Grèce, la classe dirigeante est soudainement tombée amoureuse de Tsipras. Les médias, sous le contrôle de la classe dirigeante (les armateurs, les banquiers et les grands capitalistes) se tiennent derrière Tsipras et attaquent «l’Unité Populaire».

La Nouvelle Démocratie (ND), le PASOK et To Potami se disent ouverts à l’idée d’un «gouvernement d’unité nationale» avec Tsipras. En dépit de la propagande de la classe dominante et des espoirs de la direction de SYRIZA, Tsipras ne parviendra probablement pas à avoir un gouvernement majoritaire, de sorte que la possibilité de rejoindre ses ennemis d’hier dans un même gouvernement est très réelle.

Aujourd’hui, Tsipras instaure des mesures que la Nouvelle Démocratie n’aurait pas osé introduire dans la deuxième partie de l’année 2014, comme le plus grand programme de privatisation de l’histoire du pays. Le gouvernement Tsipras a réduit la pension minimale de 490 à 360 euros par mois, ce que n’avait pas osé faire la Nouvelle Démocratie. En outre, Tsipras a accepté que la moindre loi soit préalablement approuvée par la Troïka. Cela signifie que Tsipras est lié au troisième mémorandum et n’a aucune liberté de faire quoi que ce soit qui puisse aller à l’encontre de la volonté de la Troïka.

Enfin, Tsipras a balayé de la manière la plus cynique et brutale qui soit chaque aspect de respect de la démocratie tant vis-à-vis de la société dans son ensemble (en ignorant le magnifique et historique «Non» du référendum du 5 juillet) qu’envers son propre parti, en signant le troisième mémorandum et en appelant à des élections anticipées sans laisser le parti avoir le moindre mot à dire. Ni le Comité central, ni le Secrétariat politique du parti n’ont jamais été autorisés à exprimer une opinion tandis que la décision adoptée par le Comité Central CC d’appeler à un congrès d’urgence du parti dans le courant du mois de septembre a simplement été jetée à la poubelle par Tsipras.

Certains font écho aux arguments du groupe autour de Tsipras et utilisent les chiffres de l’excédent budgétaire primaire pour justifier le mémorandum. C’est également une déception parce que les excédents primaires pour les deux prochaines années seront plus bas (en raison de la pagaille dans laquelle l’économie est à l’heure actuelle) mais, immédiatement après, ils vont augmenter à 3,5% – environ le même chiffre que ce que la Nouvelle Démocratie avait accepté avec le deuxième mémorandum en 2012. Ces arguments veulent nous faire oublier que la dette nationale, après les «réalisations» de Tsipras, va augmenter de 86 milliards d’euros (soit environ 47%) en plus de la dette existante de 180% du PIB.

Malgré tout cela, les masses grecques continueront de se battre. Mais elles ne peuvent pas mener ce combat toutes seules. Elles ont besoin du soutien des travailleurs en Europe et à l’échelle internationale. Les expériences de la Grèce, contiennent d’autre part de précieuses leçons pour la gauche internationale, en particulier en ce qui concerne la question du genre de programme nécessaire pour sortir un pays de la crise. Seul un programme socialiste peut sauver les gens en Grèce, en Europe et dans l’ensemble de la planète de la barbarie du système capitaliste.

Glossaire:

  • Antarsya: Coopération anticapitaliste de gauche pour le renversement, alliance de gauche radicale à l’extérieur de SYRIZA
  • Dikki: Gauche Socialiste, une scission du Pasok de 1995 qui participle actuellement à «Unité Populaire».
  • «L’initiative des 1000” : Initiative fondée en novembre 2012 par 1200 signataires en faveur de l’unité de la gauche grecque et d’un gouvernement de gauche sur base d’une rupture anticapitaliste.
  • Initiative du 17 juillet : Cette initiative est née d’une rencontre à Athènes quelques jours après que Tsipras ait accepté le troisième mémorandum, pour lancer un appel visant à la construction d’une nouvelle force de gauche. Xekinima participe à cette initiative. Entre 250 et 300 personnes ont participé à la rencontre initiale.
  • KKE: Parti communiste grec, organisation stalinienne et fortement sectaire.
  • ND: Nouvelle Démocratie, parti bourgeois conservateur qui a dirigé le précédent gouvernement avant la victoire de SYRIZA aux élections de janvier dernier, en coalition avec le Pasok
  • Pasok: Parti social-démocrate grec, fondé en 1974. Il a constitué son premier gouvernement en 1981 après avoir recueilli 48% des voix. En dépit de son programme “de gauche”, il a oeuvré au sein du capitalisme et est maintenant un parti bourgeois qui a massivement perdu son soutien électoral, jusqu’à obtenir moins de 5% aux élections de janvier 2015. Le Pasok a été au gouvernement avec la Nouvelle Démocratie et a soutenu l’austérité.
  • To Potami: “La rivière”, parti bourgeois libéral fondé en 2014.