Interview d’un jeune étudiant militant de Boston

Brian est un jeune étudiant en littérature et philosophie à Boston, aux Etats-Unis. Il est militant de Socialist Alternative.  Une camarade de la gauche révolutionnaire a profité de son séjour linguistique en France pour lui poser quelques questions sur la situation des étudiants dans son pays.

RM : Comment décrirais-tu la génération de jeunes américains qui font actuellement des études ? Sont-ils confiants dans la société dans laquelle ils vivent ?

Brian : Ma génération est caractérisée par son cynisme et son attitude ironique vis-à-vis de la superstructure politique et économique des Etats-Unis. Personne n’ a aucun espoir dans le fait qu’un parti traditionnel, ou même qu’un quelconque parti, fasse réellement évoluer notre vie. Et parallèlement, la pression augmente doucement. Alors qu’il est évident que ma génération n’atteindra jamais le même niveau de vie que ses parents, les jeunes n’en n’ont pas vraiment encore pris conscience. Il y a toujours l’espoir de parvenir à un avenir brillant sous le capitalisme si nous travaillons suffisamment. Mais en même temps, quand les étudiants sortent de la fac, il est de moins en moins probable qu’ils trouvent un travail qui leur permette de subvenir à leur besoins quotidiens. La panique et la recherche d’une alternative prend place quand les jeunes réalisent que depuis 2008, en tant que jeunes travailleurs pauvres, ils sont à peine capables de payer leur dettes et que leur chance d’atteindre la classe moyenne est des moindres. Il risque d’y avoir une réelle protestation une fois que les jeunes travailleurs et les étudiants réaliseront qu’ils ne pourront jamais faire partie de la classe moyenne comme ils l’espèrent.

RM : Les Etats-Unis sont réputés pour avoir un accès aux études supérieurs très sélectif et particulièrement onéreux. Qu’en est-il réellement ? La question financière est-elle un frein pour beaucoup d’étudiants potentiels ?

Brian : Le prix de l’université aux Etats-Unis n’est pas comparable ce qu’on rencontre en Europe. Les étudiants s’endettent de 100 000 $ ou plus en espérant pouvoir rembourser leur crédit après l’université. Une année à l’université publique aux Etats-Unis coûte plus de 20 000 $ mais la plupart des universités privées renommées demandent plus de 50 000 $ par an. Le coût des études a énormément augmenté sur les 20 ou 30 dernières années. Par exemple, mon père a été capable de payer sa formation dans le nord-est dans les années 80’, en travaillent comme éboueur, alors que les frais de scolarité de cette même université seront cette année de 42 534 $. Il y a un grand système d’aides financières et de bourse mais cela est loin de suffire à créer une égalité d’accessibilité aux études. Les jeunes issus de la classe ouvrière sont coincés avec des dettes à long terme et sont généralement moins susceptibles de recevoir des bourses pour l’université car ils viennent souvent d’établissements scolaires moins performants. Même s’il y a une illusion d’égalité, la réalité est un système stratifié de privilèges au sein même des universités.

RM : Dans ton université, le sentiment anticapitaliste est-il présent chez beaucoup de jeunes ? Les étudiants s’impliquent-ils en politique ou dans des luttes quelconques ?

Brian : Il y a un rejet massif des politiques capitalistes mais sans réelle conscience de ce qu’elles sont et du contexte dans lequel elles prennent place. Il y a un groupe écologiste assez fort sur le campus qui est antilibéral mais très peu d’étudiants en général parlent d’anticapitalisme. L’absence d’une forte conscience anticapitaliste dans les universités américaines est en partie due à la popularisation de la conception individualiste des anarchistes et libertaires et nous avons très peu d’exemples effectifs de solidarité entre travailleurs.

Pour tenter d’y remédier, un groupe d’étudiants dont je fais partie, a instauré un groupe appelé « Students for a Democratic Society » (SDS, Etudiants pour une société démocratique), en souvenir de l’organisation radicale des étudiants dans les années 60’, pour unifier toutes les tendances socialistes, communistes et sociaux démocrates, alors que rien de tel n’existait.

Nous tenons des réunions hebdomadaires et planifions des événements pour rendre les idées socialistes plus accessibles sur le campus.

En tant que membre d’Alernative Socialiste (SA) et étant un des membres les plus actifs de SDS, c’est un bon forum pour parler du socialisme et de la perspective de l’internationale du CIO. L’année prochaine, je vais mener un groupe de lecture au sein de SA, en lien avec SDS.

Un des exemples d’action que nous avons mené sur l’année dernière concerne une lutte contre la fermeture d’un hôpital régional. Après que la compagnie privée North Adams Regional qui possédait l’hôpital ait décidé de le fermer, toute la communauté du campus était révoltée.

Cette fermeture soudaine aller coûter 600 emplois à notre petite ville et reporter le service d’urgence le plus proche à 30 minutes de là, ce qui peut poser des questions de vie ou de mort pour des personnes sérieusement atteintes. Mais la logique aveugle du capital ne prend pas cela en compte et se fiche de causer du tort à une communauté déjà pauvre en services et en emplois : l’hôpital n’était juste pas rentable.

Des 1 500 étudiants du campus, seulement 6 d’entre nous, tous issus du SDS, se sont ralliés aux syndicalistes et aux habitants pour sauver l’hôpital. Même si pour ces 1500 étudiants, la fermeture était le sujet de conversation principal et que la colère était généralisée, il fallait déjà une bonne compréhension de ce qu’est le capitalisme pour convaincre quelques uns de sortir des classes et prendre clairement position dans la protestation. Cela illustre la situation de paralysie que connaissent les étudiants dans mon université : ils n’ont rien à perdre mais n’ont aucune idée de comment lutter.

D’un point de vue plus encourageant, les étudiants sont de plus en plus enclins à une vision socialiste, à la fois pour comprendre le système capitaliste et pour penser une alternative.

Quand les politiciens clament « communisme » comme étant un mauvais mot, les étudiants rient de leur côté démodé et de l’ignorance des ces politiciens conservateurs peu instruits. Il est aisé de parler du socialisme grâce à cette ouverture d’esprit mais aussi parce que les étudiant n’ont pas de conception claire de ce qu’est le capitalisme. Les étudiants américains ont suffisamment de jugeote pour comprendre la conception sociale de ce qu’est le capitalisme et comprendre alors pourquoi nous avons besoin de nous battre pour le socialisme puisque la structure de base du capitalisme est défectueuse. Pour booster cela, nous avons besoin d’un parti de lutte qui aille à la rencontre des étudiants.

RM : Dirais-tu que les idées marxistes se développent en ce moment parmi les jeunes ? Si non, quel est le frein principal ?

Brian : Les étudiants et la classe des travailleurs aux Etats-Unis sont aujourd’hui prêts à entendre ce qu’est le socialisme s’il n’est pas dilué et s’il vient d’une organisation qui cherche réellement à défendre leurs intérêts. Socialist Alternative (section sœur de la Gauche Révolutionnaire) est une organisation sans chef, entièrement construite et portée par ses membres, sans direction externe arbitraire. Les étudiants n’ont aucune expérience de telles organisations. Si nous avons le courage de leur dire qu’il n’y aura aucun compromis avec le capitalisme, nous pouvons les convaincre de se tourner vers le socialisme et de se battre pour cette alternative.

Retrouvez également cette interview dans le numéro d’été de l’Egalité